CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS
by Aurélien Limbion, Congo-Brazza, décembre 1999
THEME = DEVELOPPEMENT
Le malheur des pays en développement, en particulier ceux de la
région subsaharienne,
ne vient pas seulement du poids de leur dette extérieure, mais aussi
des dépenses militaires auxquelles ils consacrent le gros de leurs revenus.
"Que les organisations non gouvernementales demandent, sous la bannière de la coalition 'Jubilé 2000', l'effacement de la dette des pays pauvres, c'est une bonne chose, mais il reste à savoir si le poids de la dette est la seule cause du malheur de ces pays". Ces propos d'un maître-assistant de l'université de Brazzaville, pessimiste quant à l'avenir radieux de l'Afrique après la réduction de la dette, trouvent leur sens dans le contexte actuel des pays en développement.
En effet, même si les risques d'entrer en guerre contre un pays voisin sont minimes, on constate avec amertume que ces pays investissent beaucoup plus dans le secteur militaire que dans le secteur social. Or, l'accroissement de la population, la malnutrition, le sida, les maladies endémiques, l'analphabétisme et la détérioration des économies, auxquels ils sont confrontés, révèlent qu'ils ont bien plus besoin de médecins, d'éducateurs, d'ingénieurs et d'une grande aide sociale, que de soldats.
La vieille logique d'accéder au pouvoir par la force, banie à la veille de l'avènement de la démocratie, a revu le jour dans la plupart de ces pays. Les milices privées, le secteur militaire et le secteur civil sont en rude concurrence. Le déséquilibre entre budgets militaires et budgets sociaux pèse lourd sur les populations qui ont besoin d'être mieux soignées, nourries et éduquées, et sur les Etats qui devraient développer leurs économies.
En 1997, le Fonds monétaire international (FMI) rapportait que la dette extérieure des pays en développement atteignait 2.066 milliards de dollars, et que ces pays ont remboursé 272 milliards à leurs créditeurs et aux institutions financières internationales. L'Afrique subsaharienne à elle seule atteignait 330 milliards de dollars de dettes, alors qu'elle en rembourse 33 millions par jour pour le service de la dette. Mais cette dette, qui est une entrave au redressement de leurs économies, n'empêche pas ces pays de consacrer d'énormes dépenses au secteur militaire qui ne contribue ni à l'accroissement de la capacité de production, ni à la consommation directe. Par contre, selon une récente étude prospective du FMI, la réduction des dépenses militaires pourrait entraîner la réduction des taux d'intérêts et accélérer les dépenses de consommation et les investissements privés dans un pays.
En 1994, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) relevait dans son rapport que de 1960 à 1987 les dépenses militaires des pays en développement étaient passées de 24 à 145 milliards de dollars, soit une augmentation de près de 7,5% par an, contre 2,8% dans les pays industrialisés. Entre 1987 et 1991, les dépenses militaires dans le monde ont baissé de 15%, contre 10% seulement dans les pays en développement, soit de 145 à 130 milliards de dollars. En Afrique subsaharienne, elles sont passées de 0,7% du PIB en 1960 à 3% en 1991, soit des dépenses en armement estimées à 8 milliards de dollars par an. Les pays qui consacrent le plus aux dépenses militaires sont, entre autres, le Soudan, l'Ethiopie, le Tchad, le Burkina Faso, le Mozambique, le Mali, l'Angola, la Somalie, le Congo-RDC, le Congo-Brazzaville.
Certes, les besoins en matière de sécurité et les contraintes budgétaires sont différents d'un pays à l'autre. Lorsqu'un gouvernement envisage une révision de son budget de défense ou des effectifs militaires, il examine avant tout la sécurité nationale et les ressources dont il dispose avant de prendre une décision. Mais toujours est-il qu'en prenant ces décisions, les dirigeants africains ne semblent pas accorder autant d'attention au secteur civil, qui est pourtant prioritaire.
Entre 1990 et 1991, par an et habitant, le Soudan a consacré 23 dollars aux dépenses militaires; l'Ethiopie, où chaque année des milliers d'enfants meurent de maladies bénignes, 15 dollars; le Tchad, plus de 10 dollars; le Mozambique, aussi plus de 10 dollars; le Mali, plus de 7 dollars. L'Angola a consacré 20% de son PIB à l'armée, et compte une proportion de 200 militaires pour un médecin.
Le Congo-Brazzaville, qui comptait plus de 80.000 cas de VIH depuis 1993 et plus de 100.000 cas actuellement, possède six milices privées (Ninjas, Cocoyes, Mambas, Zulus, Aubévillois, Cobras) bien armées et bien entretenues. On ignore d'ailleurs où leurs chefs puisent les fonds. Après la guerre de 1997, à Makélélé, quartier sud de Brazzaville, fief de l'ancien Premier ministre Bernard Kolélas, la Direction du renseignement militaire a découvert, en novembre 1998, une importante cache d'armes de guerre: 83 caisses de balles pour kalashnikov, 19 caisses de grenades offensives, 6 caisses d'obus de 82 mm.
L'ancien chef de l'Etat, M. Pascal Lissouba, en visite d'Etat en Israël en 1994, aurait proposé à ses hôtes l'achat d'armes israéliennes contre du pétrole. La nouvelle fit l'objet de commentaires sur les antennes de radios étrangères. Le service de presse présidentiel y avait apporté un démenti, mais toujours est-il que le patron des hydrocarbures, M. Benoît Koukébéné, faisait partie de la délégation. Deux ans et demi plus tard, la guerre du 5 juin 1997 éclatait.
L'aide militaire française au Congo s'élevait à 6 milliards de francs cfa en 1994. L'accord qui l'accompagnait stipulait que 100 stagiaires militaires congolais devaient être accueillis chaque année dans des écoles françaises, aux frais de la France, et que 21 coopérants militaires français devaient être mis à la disposition des autorités congolaises pour la formation et l'instruction des Forces armées congolaises. Et si ces 6 milliards avaient été consacrés à la reconstruction de l'université Marien Ngouabi, actuellement au bord de l'agonie, ou à l'élargissement des branchements d'eau potable ou d'électricité dans des zones qui n'en ont pas? Si ces 100 stagiaires militaires congolais ou ces 21 coopérants militaires français avaient été des enseignants, des médecins ou des ingénieurs? L'université aurait pu accueillir chaque année tous les effectifs d'étudiants qui se présentaient et améliorer leurs conditions d'étude. La société de distribution d'eau potable ou d'électricité aurait vu accroître sa clientèle et ses revenus, et le secteur sanitaire ou éducatif aurait eu un nouveau souffle en s'approvisionnant de médicaments ou de matériels didactiques.
Voilà le genre de dépenses qui contribuent à l'accroissement de la capacité de production ou à la consommation directe. Les dépenses militaires, à quoi contribuent-elles? A ce vieillard de répondre: "Aujourd'hui, en Afrique, les armes ne contribuent à rien sinon qu'à une chose: la destruction, au cours d'une guerre civile, de ce qu'on avait construit hier, ensemble, au prix de mille et un sacrifices".
L'aube de l'année 1990 a révélé un horizon politique mondial fort éclairci du fait des changements politiques intervenus dans le monde. Les dépenses militaires qui totalisaient 662 milliards de dollars en 1992 ont diminué de près de 25% par rapport au PIB total en 1994. Aux Etats-Unis, par exemple, le budget militaire est passé de 6,5% en 1986 à 5,2% du PIB en 1992, et selon les estimations du FMI, il devait tomber à 3,2% en 1998.
Dans les pays en développement, les dépenses militaires en 1994 n'ont pas sensiblement changé. De 110 milliards de dollars en 1992, elles ont légèrement diminué. En Afrique, elles représentaient 2,3% du PIB, avec cependant des écarts importants entre les pays. Alors que le Ghana, le Nigeria et l'Ile Maurice affichaient un ratio inférieur à 1%, le budget de défense de plusieurs pays de la région dépassait encore les 4% de leur PIB.
Certains pays donateurs ont néanmoins réalisé d'énormes efforts dans la réduction de leur aide militaire à l'Afrique subsaharienne. C'est le cas des Etats- Unis. L'aide militaire des Etats-Unis à l'Afrique subsaharienne, qui s'élevait à 150 millions de dollars par an, n'était plus que d'une dizaine de millions en 1994. Les pays du bloc communiste, autrefois grands pourvoyeurs d'aide militaire, ne donnent plus grand chose par rapport aux années antérieures.
Mais l'espoir semble s'assombrir à nouveau aujourd'hui, par l'accession au pouvoir par la force et l'émergence de milices et bandes armées à la solde de ceux qu'on appelle déjà en Afrique les "nouveaux dictateurs". Le cas du Congo-Brazzaville, de l'Angola, du Congo-RDC, du Libéria, pour ne citer que ceux-là, sont des repères de l'échec de la démocratie en Afrique.
D'aucuns estiment qu'il faudrait que les créditeurs des pays en développement, les institutions financières internationales et les pays ou organismes donateurs, fassent de la réduction des dépenses militaires l'une des conditions fondamentales d'octroi d'argent à ces pays, afin qu'ils envisagent des politiques vouées au développement réel et harmonieux.
L'on ne perd pas de vue, certes, les effets que peut engendrer, chez des militaires ou dans le pays, la compression des effectifs militaires ou du budget de défense. Mais cette politique rentre dans le cadre de la démocratisation d'un pays. Car démocratie et développement sont indissociables.
END
SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS
PeaceLink 2000 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement