ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 384 - 15/02/2000

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Burundi

Arusha: de Nyerere à Mandela


by Gérard Mfuranzima, Burundi, janvier 2000

THEME = GUERRE CIVILE

Quelques défis posés au nouveau médiateur
dans un processus de paix compliqué

Depuis juin 1998, Arusha, une ville du nord de la Tanzanie, abrite les négociations de paix sur le Burundi, impliquant une grande partie de la classe politique burundaise. Arusha n'est pas inconnue des Burundais: elle est le siège du Tribunal pénal international pour le Rwanda et avait également accueilli les négociations de paix inter-rwandaises de 1993, dont les accords ont été rendus caducs par la guerre de juillet 1994. Et comme la politique rwandaise se répercute souvent sur la politique burundaise, et vice- versa, les Burundais sont frès vigilants sur ce qui se passe à Arusha.

A l'avènement de l'actuel régime burundais issu du coup d'Etat du 25 juillet 1996, qui a ramené au pouvoir le major Pierre Buyoya, les dirigeants avaient promis un dialogue politique avec tous les protagonistes de la vie nationale. Des voix se sont alors élevées pour contraindre le régime à refuser de s'asseoir autour d'une même table avec les responsables des "bandes armées" qualifiées de "génocidaires". "Bandes armées", c'est la terminologie officielle pour désigner au Burundi les groupes militaro-politiques qui ont pris les armes pour combattre le régime du major Buyoya. Il s'agit du Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD, dirigé par un ancien ministre de l'Intérieur, Léonard Nyangoma); du Parti pour la libération du peuple hutu (Palipehutu), et du Front pour la libération nationale (Frolina).

Sous la pression de la communauté internationale, surtout des pays voisins qui imposèrent un embargo très sévère, (de juillet 1996 à janvier 1999), le major Buyoya accepta d'abord des pourparlers secrets à Rome, sous les auspices de la communauté catholique de San Egidio, avec le plus fort des mouvements de l'opposition armée, le CNDD de Léonard Nyangoma. La signature en mai 1997 de la première mouture d'un protocole d'accord sur lequel les deux parties allaient continuer à travailler, scandalisa une partie de la classe politique, qui cria alors à la trahison.

Entre-temps, le gouvernement burundais organisait un grand débat intérieur avec l'opposition non armée qui aboutit à la signature, le 8 juin 1998, d'une convention de gouvernement entre l'Assemblée nationale, élue en juin 1993 mais en fin de mandat, et le gouvernement issu du coup d'Etat du 25 juillet 1996, mais en mal de popularité. Cette convention de gouvernement afficha clairement son intention d'aller vers les Burundais de la diaspora, et accepta des négociations sans exclusion avec toute la classe politique dans sa grande diversité, y compris ceux qui ont pris l'option militaire comme moyen d'expression et de revendication politique.

Négociations à Arusha

C'est ainsi qu'en plus du CNDD, seize autres forces politiques furent conviées à Arusha à la table de négociations, sous la médiation de l'ancien président tanzanien Julius Nyerere. Pour le gouvernement du major Buyoya, c'était la seule voie possible pour résoudre le conflit, dès lors que militairement ses forces armées s'avéraient incapables de gagner une guerre civile. En effet, une grande partie de la population se reconnaissait dans les revendications des "bandes armées", c.à.d. plus de démocratie, plus de respect des droits de l'homme, plus d'espaces de liberté d'expression et d'opinion, un partage équitable du pouvoir et des responsabilités au sein de l'appareil de l'Etat et des forces armées.

C'est ainsi qu'un consensus s'était dégagé dès les premiers contacts d'Arusha, afin qu'un accord de paix puisse intervenir le plus rapidement possible sur cinq questions dites très sensibles au Burundi: la nature du conflit burundais, la question du génocide, les systèmes constitutionnels et institutionnels, la démocratie et la bonne gouvernance, la paix et la sécurité pour tous, le développement économique et social. Cinq commissions de travail ont été créées pour accélérer le rythme des négociations. Aujourd'hui, les débats sont très avancés, même s'il persiste des points sur lesquels les négociateurs ne sont pas encore tout à fait d'accord.

En résumé, ils sont d'accord que le conflit burundais est de nature politique, mais avec une forte connotation ethnique. Depuis l'indépendance du Burundi en 1962, le pays a connu plusieurs crises politiques (1961, 1965, 1972, 1988, 1993) qui ont emporté des milliers de vies humaines pour leur seule appartenance ethnique. C'est pour cela que plusieurs délégations à Arusha parlent de génocide au Burundi, sans qu'il y ait toutefois de consensus sur les auteurs de ce génocide. La clarification de ce problème a été laissée à une commission internationale d'enquête sur les différents massacres qu'a connus le pays depuis son indépendance.

S'agissant du système institutionnel et constitutionnel, tout le monde - sauf un parti pro-monarchique - s'accorde sur un régime républicain, avec limitation de mandat du président de la République. La durée des mandats varie selon les partis politiques. La question de la paix et de la sécurité préoccupe tout le monde, d'autant plus que les corps de défense et de sécurité font l'objet d'une spéculation tendancieuse: les Hutus - numériquement majoritaires dans le pays - les accusent d'être mono- ethniques tutsis, tandis que les Tutsis - minoritaires - les considèrent comme leur dernier rempart.

Mais l'opinion intérieure s'interroge sur le processus d'Arusha. D'abord parce que jusqu'à la fin de l'année 1999, deux branches armées dissidentes du CNDD et du Palipehutu n'avaient pas encore été invitées à la table de négociations, alors que ce sont elles qui mènent la véritable guerre contre les positions militaires au Burundi. Ensuite, il y a une opinion politique qui continue à bouder Arusha: le parti du Ralliement pour le droit et le développement économique et social (RADDES) persiste à dire qu'il n'est ni nécessaire ni utile de poursuivre les négociations de paix à l'étranger. Pour les leaders de ce parti, le Burundi dispose d'hommes de valeur en suffisance, capables d'arbitrer le conflit politique actuel.

D'autres vont jusqu'à dire que c'est une honte nationale d'avoir fait appel à Julius Nyerere comme médiateur dans le conflit burundais, étant donné que cet homme politique a économiquement échoué chez lui et affamé son peuple avec son "socialisme africain". Ce groupe n'a d'ailleurs pas regretté la disparition de ce leader pourtant charismatique, l'un des pères de l'indépendance africaine. C'est une opinion qui avait toujours ouvertement critiqué la méthode de travail de Nyerere, l'accusant d'être partial et antigouvernemental, et de soutenir les rébellions armées. De surcroît, selon elle, la Tanzanie abrite des réfugiés burundais parmi lesquels se recrutent les bandes armées qui viennent attaquer régulièrement le Burundi.

Le nouveau médiateur

Quant au nouveau facilitateur dans le conflit burundais, l'ancien président sud-africain Nelson Mandela - désigné le 1er décembre 1999 lors d'un sommet régional de chefs d'Etat d'Afrique centrale et orientale - , il part favori dans sa prochaine médiation. Il a d'ailleurs confirmé que les pourparlers de paix reprendront à Arusha en février 2000. Mandela reprend le témoin de feu Julius Nyerere qui, en septembre 1999, n'avait pas pu contenir sa fureur face aux négociateurs burundais qui "ont usé la patience et de l'argent de la communauté internationale". Julius Nyerere n'a pas pu terminer sa médiation même si, de tous les chefs d'Etat de la sous-région des Grands Lacs, il comprenait sans doute le mieux la nature du conflit burundais. Il aimait dire qu'il connaissait bien le peuple burundais, pour avoir notamment oeuvré avec le père de l'indépendance burundaise, le prince Louis Rwagasore, dans la recherche de la souveraineté du pays.

Nelson Mandela va faire face à deux grands problèmes: faire taire les armes, et amener les chefs de guerre, qui n'avaient pas encore été invités à Arusha, à venir siéger parmi les autres négociateurs. Nyerere n'y était pas parvenu. Par ailleurs, Nelson Mandela est un homme très respecté au Burundi et dans le monde. Il sera extrêmement difficile de s'opposer à lui, d'autant plus que son pays, l'Afrique du Sud, a les capacités militaires de se faire respecter par les protagonistes burundais.

Il faut également reconnaître l'opiniâtreté d'un Nelson Mandela qui ne se laissera certainement pas dicter les solutions par les Européens ou les Américains dans ce dossier. Enfin, son dernier atout, c'est que les Burundais eux-mêmes sont fatigués de la guerre qui n'a que trop duré et qui a miné l'économie nationale. Tout le monde souhaite la fin de la guerre, sauf bien sûr les négociants qui ont su tirer profit de l'économie de guerre: notamment les marchands d'armes et les narcotraficants.

Cependant, Mandela n'a pas que des atouts. Il n'est plus jeune. A 82 ans, il avait souhaité prendre sa retraite politique en confiant les affaires de l'Etat sud-africain à son dauphin Thabo Mbeki. Et voilà qu'il est rappelé pour arbitrer un conflit on ne peut plus compliqué. Pourra-t-il amener les Burundais à s'entendre sur un système démocratique et un système électoral, une transition vers des élections justes libres et démocratiques? Pourra-t-il imposer un cessez-le-feu immédiat? Pourra-t-il imposer à cette classe politique si compliquée une réorganisation des forces de défense et de sécurité? Voilà les défis majeurs que doit relever le nouveau médiateur, en qui est placé l'espoir que le processus de paix d'Arusha aboutisse enfin à un accord de paix dans les premiers mois de l'an 2000.

END

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