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by Missé Nanando, Tchad, décembre 1999
THEME = DEVELOPPEMENT
Quelques échos d'une querelle byzantine
Le 9 novembre 1999, la radio nationale tchadienne, par la voix du ministre du pétrole Abdoulaye Lamana, informe la nation que les sociétés Shell et Elf décident de ne plus participer au financement du projet pétrolier de Doba (sud du Tchad). La nouvelle soulage certains Tchadiens et en déçoit d'autres. Pour la première fois, une richesse nationale divise les Tchadiens, regroupés au sein de quatre fronts antagonistes: le pouvoir politique, l'opposition politique, la société civile et les populations de la zone pétrolifère.
Il faut rappeler que, pendant la campagne présidentielle de 1996, le président de la République a fait de la question de l'exploitation du pétrole son cheval de bataille. Aujourd'hui, il tente de tenir parole. Plusieurs manifestations soutiennent son vþu de voir couler l'or noir du Tchad. Les mois d'octobre et novembre ont été particulièrement riches en réunions, meetings et communiqués de presse appuyant le chef de l'Etat. On aurait dit que le Tchad était en pleine campagne électorale. Tel groupe socio-professionnel, tel parti politique, tel clan, tel village a pris officiellement position en faveur de l'exploitation immédiate du brut de Doba. Mais d'autres Tchadiens s'opposent à ce projet pétrolier ou émettent des réserves.
La nouvelle du retrait de Shell et Elf du consortium décourage le pouvoir qui voit dans cette décision une victoire du camp opposé à l'exploitation du pétrole. Moussa Dago, ministre de l'information, la qualifie de "lâchage", de volonté manifeste "tendant à compromettre la réalisation du projet et à mettre en difficulté le gouvernement vis- à-vis de l'opinion publique". Dès lors, on comprend que le pétrole tchadien divise effectivement les Tchadiens.
Ce schisme entre frères s'est nettement perçu pendant les débats de la rencontre tripartite gouvernement, Banque mondiale et société civile à Bébédja, le 30 octobre 1999. Face à M. Serge Michaïlof, directeur de l'oléoduc Tchad-Cameroun, M. Beassoumnda, porte-parole de plus de 20 organisations non gouvernementales (ONG) et associations de la défense des droits de l'homme (ADH), déclare: "Nous ne sommes pas contre l'exploitation du pétrole, contrairement aux déclarations du gouvernement. Nous sommes pour l'exploitation à condition que l'environnement et les droits humains soient respectés, et que les garanties sur la gestion des revenus soient données".
Cette position a été rendue publique dans un mémorandum signé par les ONG et les ADH, où les questions d'environnement, d'indemnisation des victimes du futur pipeline, et surtout de la gestion de la rente pétrolière ont été stigmatisées.
A entendre certains Tchadiens, tout porte à croire que les préoccupations de la société civile sont légitimes. En effet, la corruption, la délinquance financière à grande échelle, la mainmise sur les structures économiques et financières par une oligarchie, ont déjà entraîné la faillite d'unités industrielles comme la société sucrière du Tchad (SONASUT) et la société cotonnière du Tchad (Cotontchad).
Les ONG et les ADH se posent des questions sur la répartition équitable de la rente pétrolière. L'Association jeunesse et action (AJAC), l'Association tchadienne pour la promotion des droits de l'homme (ATPDH) et l'Entente des Eglises et missions évangéliques (EEMET) émettent également des réserves quant à la gestion saine et consensuelle des revenus pétroliers.
La gestion saine de la rente pétrolière, c'est aussi le vþu des partis politiques d'opposition qui considèrent que "les gesticulations actuelles du pouvoir au Tchad (marches de soutien, meetings) et à Washington (rencontre sur le projet pétrole tchadien) sur les questions du projet pétrolier ne sont ni plus ni moins qu'une pure manipulation de l'opinion publique nationale et internationale". Les 13 partis politiques signataires de ce texte mettent en garde la Banque mondiale contre cette manipulation. Selon le député fédéraliste Yorongar, déjà les dépenses engagées par Elf sont allées exclusivement au bénéfice des dirigeants actuels: voitures Safrane et Laguna sont "distribuées à la pelle aux proches du régime".
Quant aux populations de la zone pétrolifère, victimes du tracé du pipeline, elles sont à leur tour divisées entre les hommes politiques et la société civile. Les associations de développement du Logone oriental (région pétrolifère) prennent elles aussi position. Celles qui sont plus proches du pouvoir ou créées par les pontes du régime originaires de la région sont pour l'exploitation immédiate du brut. C'est le cas de l'Association pour le développement du Logone oriental (Adelor) qui appelle à une mobilisation générale pour favoriser l'exploitation de l'or noir tchadien.
L'Entente des populations de la zone pétrolifère (EPOZOP) quant à elle, va à l'encontre des positions du régime. A la rencontre de Bébédja, elle a réaffirmé sa conviction sur l'incapacité du gouvernement à respecter les recommandations des séminaires de Donia relatifs au projet pétrolier. Elle dénonce aussi la non représentation de la population de la zone productrice dans le collège de décision de l'octroi de bourses d'études liées au projet pétrole et l'insuffisance du quota (5%) alloué à la région pour son développement. Il n'est pas question d'exploiter le pétrole en portant préjudice à la zone, comme c'est le cas dans le delta du Niger, au Nigeria, où Shell a mis la région en coupe réglée.
Au-delà de toutes ces querelles de clocher, que veulent les Tchadiens? Pourquoi, avant même de couler, l'or noir de Doba constitue-t-il une pomme de discorde? Ce qui est sûr, c'est que le pétrole, que ce soit au Tchad ou ailleurs, est toujours une question hautement politique.
Pour l'opposition et pour certains milieux tchadiens favorables à la bonne gouvernance, il faudra profiter de l'exploitation du pétrole pour créer une alternance politique dans le pays, parce que "le régime actuel s'illustre dans la concussion et le détournement des maigres ressources financières du pays". C'est pourquoi le terme "gestion saine" apparaît dans tous les communiqués et opinions nationales sur la question pétrolière.
Le consensus national est loin d'être trouvé. La marche populaire organisée par la mairie de N'Djaména le 16 novembre 1999 pour manifester contre le retrait de Shell et Elf du consortium pétrolier n'a pas pu rassembler l'ensemble des sensibilités tchadiennes. Elle est apparue plutôt comme une manifestation exclusive du parti au pouvoir. Contrairement au consensus tant recherché, la guerre du pétrole divise les Tchadiens.
L'atmosphère actuelle ressemble à une sorte d'affaire Dreyfus à la tchadienne, où tous ceux qui osent se poser des questions sur l'exploitation de cette richesse nationale sont rangés du côté de l'ennemi. Dans cette croisade pour l'exploitation du pétrole, la décision de Shell et Elf de se retirer du consortium fait le bonheur des uns et le malheur des autres. Mais après tout, c'est le développement du pays qui est en train d'être retardé à travers ces querelles byzantines.
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