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by Dossier ANB-BIA, janvier 2000
THEME = ECONOMIE
L'exploitation du pétrole tchadien, impliquant un pipe-line à
travers le Cameroun,
tarde depuis des années à se réaliser, alors que des tensions politico-militaires
se ravivent dans ce pays lassé des guerres internes.
Le Tchad est un pays de 1.284.000 kmý, avec une population de près de 7 millions d'habitants. Il est réparti sur trois régions naturelles: le sud tropical (agricole), la région sahélienne (agriculture et bétail) et la zone saharienne (les provinces de Borkou, Ennedi et Tibesti, avec une population nomade). "Pays mosaïque enfermé dans des frontières trop bien tracées... Multitude de langues, d'ethnies, de cultures, de clans préfigure ce qu'on appellera la fracture Nord- Sud", a-t-on écrit. Ces fractions feront du Tchad, après son indépendance en 1960, un des pays à l'histoire la plus tumultueuse de l'Afrique.
Durant des siècles, le nord du pays fut dominé par l'empire du Kanem-Bornou (fondé au 9e siècle) et les royaumes de Baguirmi et Ouaddai (fondés au 16e et 17e siècle), tous fidèles à l'islam. Leur pouvoir économique reposait sur la traite des esclaves pris dans le sud, incapable de se défendre. La colonisation française changea le rapport des forces. Centrée sur le sud, elle y introduisit non seulement la culture du coton, principale richesse du pays, mais aussi l'enseignement. C'est grâce à cette formation reçue, que le sud prit la direction des mouvements nationalistes et du gouvernement après l'indépendance, sous la présidence de François Tombalbaye. Divers mouvements de rébellion conduisirent finalement à l'assassinat de Tombalbaye en 1975, suivi de luttes entre clans du nord, qui se disputaient le pouvoir, avec l'aide du Soudan et de la Libye. Après Hissène Habré et Goukouni Oueddei, c'est Idriss Déby qui prit le pouvoir en 1990, dans un pays ruiné et las des luttes intestines. Cette victoire de Déby fut, dit-on, tributaire de l'aide de la France et de la compagnie pétrolière Elf - le pétrole interférant déjà dans la politique. La France a toujours un petit millier de soldats stationnés au Tchad.
Si quelques mouvements rebelles se pointent encore, comme récemment celui de Youssouf Togoïmi, ancien dignitaire qui, en 1998, a pris le maquis dans le Tibesti, une certaine démocratie s'est installée. Cependant, Amnesty International et d'autres accusent régulièrement le Tchad d'un manque de respect évident des droits de l'homme.
Pays sahélien, le Tchad se classe parmi les pays les plus pauvres du monde. L'indice de développement humain le place au 163e rang sur 175 pays. 80% de l'activité économique dépendent de l'agriculture, essentiellement l'élevage et le coton. D'autre part, le manque d'infrastructures est criant. Le cas du transport en est un exemple: sur l'ensemble du territoire, seuls quelque 300 km sont asphaltés.
Dans ce contexte, la venue du pétrole est plus que bienvenue pour sortir le pays de son sous-développement.
Dès la fin des années '60, il existait des indices de gisements de pétrole dans le sud du Tchad. C'est en vain cependant que le président Tombalbaye fit d'abord appel à la France pour explorer le sous-sol. Il se tourna alors vers une compagnie américaine, la Continental Oil Company (Conoco), qui en 1969 obtint un permis de recherche sur plus de 600.000 kmý, du lac Tchad à la région de Doba. Du coup, l'année suivante, une entreprise française acquit un permis sur 152.000 kmý. Le projet était toutefois trop important pour la Conoco, qui l'ouvrit à d'autres associés, formant un consortium. Après de multiples changements, celui-ci était composé, depuis décembre 1992 jusque tout récemment, de trois compagnies pétrolières: Exxon et Shell possédant chacune 40% des parts du projet et Elf 20%. Mais, politiquement, le poids d'Elf dans ce pays francophone est plus important que sa part ne laisserait supposer.
La commercialité de ce pétrole, découvert en 1974, restait encore à prouver, ce qui prit une vingtaine d'années. Le Tchad est un pays enclavé. L'exportation du pétrole demande donc la construction d'un oléoduc de plus de 1.000 km, une entreprise très coûteuse qui exige la production d'une quantité suffisante de pétrole pour être rentable. Actuellement, trois zones d'exploitation sont prévues dans la région de Doba: Kome, Bolobo et Miandoum. Des reconnaissances menées en 1996 et 1997 ont confirmé des réserves de brut d'environ 150 millions de tonnes.
Il fallait également l'accord d'un pays côtier. Le Cameroun, dont la propre production pétrolière est en baisse constante, accepta sans trop de difficultés le passage d'un oléoduc sur son territoire. En février 1996, un accord-cadre fut signé entre les deux pays et le consortium pétrolier, fixant les conditions de transport. Le droit de péage, fixé après de dures négociations à 0,41 $ le baril, devra permettre de renflouer les caisses publiques camerounaises.
Le tracé de l'oléoduc va du bassin de Doba, au Tchad, jusqu'à la ville côtière de Kribi, au sud du Cameroun. Long de 1.076 km, dont 90% en territoire camerounais, il suppose notamment la construction de pistes, de trois stations de pompage et d'un terminal de chargement en mer à Kribi. L'oléoduc lui-même sera composé de tubes d'acier de 76 cm de diamètre, posés dans une tranchée de 2 mètres de profondeur et 15 de large. D'après les experts, les travaux seront plus faciles au Tchad, où le terrain est assez plat, mais plus difficiles au Cameroun, où il faudra traverser les montagnes et la forêt.
Le coût total du projet est estimé entre 3,2 et 3,7 milliards de dollars. Les investissements de production seront financés entièrement par le consortium; les investissements connexes (essentiellement l'oléoduc) incombent pour 20% aux deux pays (5% au Tchad, 15% au Cameroun), le reste au consortium. Le financement des Etats sera appuyé par des organismes internationaux, dont la Banque mondiale. Cette dernière est censée garantir le contrôle de l'usage des richesses générées par le projet et de l'impact sur l'environnement. Le directeur général d'Exxon au Tchad a même dit: "Nous voulions ce partenariat pour que la Banque mondiale puisse dire que les meilleures conditions possibles ont été réunies. Que ce soit sur le plan de l'implantation, en prenant toutes les précautions nécessaires pour éviter un désastre écologique, mais aussi pour que l'on ne nous reproche pas d'avoir déversé une manne qui ne profite pas à tout le pays".
Cependant, il est clair que l'exploitation du pétrole et l'oléoduc auront des conséquences sur les populations, leur environnement et leurs conditions de vie. Aussi, de nombreuses ONG de développement et de défense des droits de l'homme, tant nationales qu'internationales, se sont mobilisées à ce sujet.
A la demande expresse de la Banque mondiale, une étude d'impact sur l'environnement a été commencée dès 1995, commanditée par Exxon et réalisée par le cabinet Dames & Moore. Mais l'impartialité de cette étude a été vivement contestée. Pour éviter autant que possible les déplacements de populations, le tracé de l'oléoduc traverse des zones écologiquement sensibles. Les populations tributaires de la forêt seront particulièrement touchées. En 1998, les experts de la Banque mondiale eux-mêmes ont exprimé de sérieuses réserves sur cette étude.
Les dangers de pollution sont également très réels. L'exemple de l'exploitation pétrolière au Nigeria en est la preuve. Un ingénieur américain, spécialiste des oléducs, affirme que les systèmes les plus sophistiqués de détection des fuites laissent tout de même passer en moyenne 0,002% du pétrole. Ce qui, pour l'exploitation de Doba et le pipeline, signifie que quelque 10.000 litres de pétrole brut s'échapperaient journellement dans la nature. Les problèmes de fuites, même le long de l'oléoduc, sont a priori insolubles. A cela il faut ajouter les risques de pollution sur les côtes de Kribi.
Autre problème: les compensations accordées aux habitants pour les expropriations et les dommages subis. Une première liste d'indemnités a été jugée totalement insuffisante. Elle a été revue ensuite, mais reste contestée. Par contre, les avantages fiscaux accordés aux compagnies pétrolières sont jugés exorbitants. Le député fédéraliste Yorongar, tchadien, un des principaux opposants au projet, a estimé le montant des exonérations sur 30 ans à 21 milliards de dollars.
La Banque mondiale a aussi exigé des assurances sur la gestion des revenus afin que ceux-ci servent réellement au développement du pays. Le Tchad a finalement opté pour la répartition suivante: 80% des revenus iraient à la santé, l'éducation, les infrastructures et le développement rural; 15% au paiement des fonctionnaires et 5% reviendraient à la préfecture du Logone oriental, où se trouvent les champs de Doba (ceci pour prévenir des dérives comme celles du Nigeria). L'utilisation de ces dividendes sera surveillée par le Parlement et par un comité composé de dix membres. Mais la composition de ce comité est déjà contestée, la société civile y étant insuffisamment représentée.
Certains craignent une gestion clanique du pétrole. Le président Déby aurait déjà envoyé 18 membres de sa famille en formation technique en Algérie et, selon le député Yorongar, d'autres s'initieraient aux questions pétrolières dans divers pays. Le climat politique instable au Tchad fait craindre également, notamment à Amnesty International, que les rentrées de devises liées au pétrole soient utilisées pour des achats d'armes et le renforcement du système de répression.
Malgré toutes ces réserves, bon nombre de Tchadiens restent favorables au projet, qui apporterait une manne non négligeable à leur pays: un apport annuel estimé à 1,5 milliard de dollars. Même la plupart des ONG disent qu'elles ne sont pas contre le projet, mais à un grand nombre de conditions. De nombreuses organisations de développement et d'autres associations se sont réunies en divers séminaires, précisant leurs demandes au gouvernement et au consortium. En avril 1999, elles ont demandé un moratoire de deux ans afin de pallier les problèmes.
Entre-temps, on attendait la décision de la Banque mondiale. Si celle-ci donnait son feu vert, il faudrait encore attendre quatre ans avant que le pétrole brut arrive à Kribi: renforcement des réseaux routier et ferroviaire, pose des tubes de l'oléoduc, forrage des puits à Doba... Le 30 septembre 1999, le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, a encore affirmé que son institution continuait à soutenir le projet, malgré l'opposition des environnementalistes dont il rejetait les arguments. Le 15 novembre, le conseil d'administration de la Banque mondiale devait décider du sort de l'exploitation.
Mais, le 9 novembre, coup de théâtre: le gouvernement tchadien annonce que deux compagnies, Shell et Elf, avaient décidé de se retirer du consortium. En fait, Shell précisait qu'elle allait revoir sa participation, et Elf disait qu'elle n'avait pas encore pris de décision. La semaine suivante, on apprenait que des discussions étaient en cours entre Exxon et ses deux partenaires pour un repositionnement dans leur association commune. Le 7 décembre, le journal Le Progrès affirmait qu'une trentaine de compagnies pétrolières, notamment américaines et britanniques, seraient prêtes à entrer dans le consortium. Pour la Banque mondiale, officiellement, le retrait de Shell et Elf ne remet pas en question son engagement dans le projet.
Selon certains, la fin du régime de Déby serait proche. Le retrait de Elf, annoncé d'ailleurs par l'ambassadeur de France à N'Djamena, serait un signe que le président est lâché par Paris. Au nord, la rébellion toubou de Youssouf Togoïmi a intensifié ses attaques tout au long du mois de novembre, même si on voit mal comment elle pourrait bousculer l'armée tchadienne sans appui extérieur. D'autre part, le 21 décembre, treize mouvements politiques armés ont formé une nouvelle alliance contre le président Déby.
L'avenir est donc incertain, tant au point de vue politique que pétrolier. Mais cet eldorado reste prometteur: le gisement de Doba garantirait une production de 25 ans.
END
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