ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 385 - 01/03/2000

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Grands Lacs

La menace des jeunes, exclus de la société


by Didier de Failly s.j., Congo RDC, janvier 2000

THEME = JEUNESSE

INTRODUCTION

Sous l'évidence de la lutte armée entre divers antagonistes dans la région des Grands Lacs africains,
se déploie un phénomène bien plus grave, mais qui semble passer inaperçu:
des milliers de jeunes sont en train de détruire leur propre société.

Un peu partout, on constate le même phénomène: des "jeunesses" se constituent en bandes de casseurs, de pillards, d'émeutiers, de meurtriers, de "combattants"... Les "hooligans" de Russie, les casseurs des banlieues de Lyon et Paris, les bandes armées des diverses factions en Somalie, au Libéria, en Sierra Leone... Cela a aussi eu un nom, chez nous au Congo: les "jeunesses mulélistes" au milieu des années '60; aujourd'hui ce sont les "Katuku", "BaTiri", "Ngilima", "Gardes Civils", "volontaires" (bandeau rouge autour du front), "Maï-Maï", "Jechi"... Chez nos voisins, ce sont les "Interahamwe" (milice rwandaise hutu génocidaire depuis 1994), les "Sans- Echec" (bandes de jeunes tueurs tutsi au Burundi)... Une grande partie des troupes de l'AFDL et du RCD est constituée de ces jeunes sans foi ni loi. Parfois même, ils se sont engagés dans les différentes "forces combattantes" opérant dans la région des Grands Lacs africains comme des groupes mercenaires: des bandes de jeunes des quartiers s'enrôlent ensemble et restent sous l'autorité de leur chef naturel...

Intégration des jeunes dans la société

Dans les sociétés européennes, l'intégration se fait par l'emploi. Mais ces sociétés, qui vieillissent, ont de la peine à faire une place aux jeunes par le biais du travail. En Afrique, les sociétés intègrent, non par l'activité exercée, mais par le statut de paternité: a droit à une place, une parole socialement reconnues, celui qui a transmis la vie. Mais ces sociétés se rajeunissent (50% de la population a moins de 20 ans) et elles ne parviennent pas non plus à faire une place aux jeunes. En témoigne l'extrême difficulté rencontrée par les jeunes pour se marier selon la coutume (exigences exagérées pour constituer la dot, etc.)

La génération des parents a massivement perdu le contact et le contrôle des jeunes. Pendant la première guerre dans l'est du pays, on a vu des bandes d'enfants, habitués à évoluer ensemble dans des parcelles voisines sans leurs parents, fuir þ certains groupes sont allés jusqu'à Kinshasa þ sous la houlette d'une fillette de 12 ou 13 ans, sans aucun adulte et contre la volonté de leurs parents qui n'ont rien pu faire pour les en empêcher!

Un des plus grands torts commis par le régime de la 2e République contre la société congolaise, a sans doute été de supprimer les mouvements de jeunesse en 1972. Et la paupérisation progressive depuis 1975, engendrée par une "mégestion" générale du pays, a conduit les parents, trop occupés par leur lutte pour la survie, à perdre le contact éducatif avec leurs propres enfants. Statistiquement parlant, cette catégorie de jeunes hommes "désoeuvrés", entre 17 et 30 ans environ, est proportionnellement très nombreuse, sans doute pas loin des 15 à20% de la population totale.

De dépit, ceux-ci, lorsque l'occasion s'en présente, se regroupent spontanément contre leur propre société. Il est extrêmement facile de "mobiliser" ces jeunes en leur donnant un fusil, pour telle ou telle cause. Mais cela se retourne finalement contre ceux qui les lancent ainsi dans la lutte armée, et contre leurs propres peuples. Car, détruire ce qu'on n'a pas construit avec peine est très facile.

Les caractéristiques de ces jeunes?

Caractéristiques sociologiques - Ces jeunes gens þ il est extrêmement rare d'y voir mêlées des jeunes filles, sauf parfois comme "prophétesses", þ n'ont guère eu la chance de bénéficier d'une éducation familiale normale; la famille était désunie (divorce, absence du père, mère célibataire, père et mère occupés à essayer de survivre au jour le jour); ils n'ont pas pu recevoir non plus une bonne formation scolaire de base; ils ne maîtrisent aucun métier mais font des petits boulots temporaires qui ne les satisfont pas; ils n'ont pas non plus la possibilité d'exploiter un bout de terrain; ils n'ont guère de ressources, et sont donc handicapés pour s'établir dans la vie et fonder leur propre famille... Conséquence directe: ils sont mobilisables pour n'importe quelle aventure.

Caractéristiques anthropologiques - N'ayant pas accès à la société, ces jeunes gens n'ont rien à perdre, mais tout à gagner par la violence. La vie, la mort, l'avenir, n'ont pas de densité à leurs yeux. Plus ils sont jeunes, plus les chefs militaires estiment disposer là de soldats intrépides, car ils ne mesurent pas le danger. Pourtant ils sont tués par centaines, et ils le savent, mais il est souvent trop tard pour eux, une fois qu'ils ont le doigt dans l'engrenage. D'autre part, ils ont la gâchette facile: ils tuent pour un rien, pour avoir un paquet de cigarettes, sans même être drogués. Toutes les outrances sont possibles: violence, sadisme, viol, massacre, extorsion, destruction, etc.

Caractéristiques psychologiques - Pourquoi un enfant-guerrier de Charles Taylor se dénude-t-il complètement pour se faire filmer ainsi, bien sûr avec son arme, par un cameraman d'une chaîne internationale de télévision? Pourquoi un Ngilima de Goma monte- t-il au combat complètement nu, encouragé par les "bénédictions" de jeunes femmes, elles aussi complètement nues? Pourquoi un groupe de Maï- Maï oblige-t-il des femmes à piler et cuire du manioc en pleine nuit? Sinon pour montrer qu'ils ont le pouvoir de renverser les normes de la société? Détenir une arme donne un pouvoir fabuleux. Pour ceux qui ne sont pas admis par la société à user de manière socialement reconnue de leur pouvoir génital, la Kalashnikov est un formidable prolongement du phallus.

On est en présence d'une bombe à retardement þ ou plus exactement à répétition þ qui continuera d'exploser de place en place, si l'on ne fait rien pour la désamorcer.

Que faire?

Que faire pour cette jeunesse? Comment la réintégrer dans la société? En organisant par exemple þ dès qu'un minimum de paix sera réinstaurée þ des chantiers de jeunesse pour les routes, des travaux anti- érosifs, des reboisements massifs, des aménagements de rivières, de rives de lacs (embarcadères, etc)... selon des formules du genre "food for work". En réorganisant des mouvements de jeunesse éducatifs, comme les scouts, ou des activités sportives, culturelles, etc.

Il est encore possible de faire appel à d'anciens chefs scouts et d'autres mouvements. Ces jeunes, s'ils sont regroupés par 100 ou 200 sous des tentes, dans des camps de travaux d'utilité publique, avec une discipline ferme, une nourriture simple mais consistante, des loisirs vigoureux en soirée, se sentiront investis d'une nouvelle dignité et travailleront convenablement.

Une autre action devrait être développée fortement: l'éducation à la procréation responsable! Il ne suffit pas de répéter les mots de la bible "Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre" comme une excuse à des comportements tout simplement irresponsables... Il faut lire ce texte jusqu'au bout: "... et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre". On en est franchement loin. C'est plutôt l'inverse que nous voyons: au lieu de dominer, de soumettre, d'organiser, d'aménager, de développer, nous sommes dépassés par la faim, le manque d'éducation, la dégradation de tout l'environnement (agricole, social, politique) qui devient hostile à l'homme, qui l'écrase. Il est temps d'en prendre conscience de manière lucide, et d'en tirer les conséquences dans le domaine de notre capacité de mettre au monde. Il est temps de réduire le nombre d'enfants par famille, car nous ne sommes pas en mesure de nous en occuper valablement; il est temps d'apprendre, en couple responsable, comment faire pour pouvoir créer des conditions de vie valables pour nos enfants et éviter qu'abandonnés à eux- mêmes, ils entrent dans une logique suicidaire.

Il est clair que si l'on ne fait rien, on continuera à connaître, pendant des années, de nouveaux épisodes tragiques... Faire aujourd'hui quelque chose de valable pour et avec ces jeunes coûterait moins cher que de devoir demain reconstruire une nouvelle fois.

END

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