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by François Xavier Eya, Cameroun, janvier 2000
THEME = EDUCATION
En confiant à une maison d'édition locale un marché estimé à plus de 7 milliards de francs cfa, le ministre de l'Education, Charles Etoundi, ne se doutait probablement pas de la vague de contestations qu'il en suivrait. La société anonyme du Centre d'édition et de production pour l'enseignement et la recherche (CEPER<+>S.A.) a en effet sollicité et obtenu "l'exclusivité de la conception, de la fabrication et de la distribution des manuels scolaires de l'enseignement primaire et maternel".
L'accord date du 17 mars 1998, mais la nouvelle ne s'est ébruitée qu'en septembre 1999. En clair, le gouvernement camerounais s'est engagé à confier toute la chaîne de production des livres scolaires de l'enseignement primaire et maternel au CEPER. Aux oubliettes donc les livres édités par des maisons d'édition étrangères et nationales. L'accord cadre avait été passé entre le CEPER et son propriétaire (la MUPEC, mutuelle des personnels de l'enseignement du Cameroun, à laquelle appartient le ministre de l'Education), le gouvernement camerounais et l'agence de la francophonie. Celle-ci est une organisation intergouvernementale, dont l'une des missions prévoit "la création, dans les pays membres du Sud, de capacités éditoriales locales visant l'émergence de politiques nationales en matière d'édition scolaire ainsi que le soutien dans ces mêmes pays à la création de petites entreprises culturelles".
Le ton des contestations a été donné par les éditeurs locaux, notamment les anglophones (le Cameroun abrite les communautés anglophone et francophone), qui n'ont pas hésité à dénoncer cette décision. Après plusieurs rencontres, ils ont adressé un brûlot au ministre de l'Education, au ministère de la Culture, et au ministère de l'Economie et des Finances, avec copie aux services du Premier ministre, aux représentants diplomatiques et aux organismes internationaux. Les éditeurs francophones leur ont emboîté le pas.
Le grief majeur porte sur l'exclusivité accordée au CEPER par une autorité qui est à la fois juge et partie, le ministre Charles Etoundi, qui "est en même temps l'un des membres influents (vice- président, Ndlr) de la MUPEC".
D'autres critiques portent sur la démarche du ministre. On lui reproche particulièrement de n'avoir pas lancé un appel d'offres, ce qui aurait permis aux maisons d'édition nationales d'entrer en compétition dans un esprit de saine concurrence. Les maisons d'édition contestataires doutent également de la capacité du CEPER à faire face tout seul à la demande du livre scolaire au Cameroun. Le CEPER, relève-t-on, est une jeune entreprise qui ne peut pas réunir les moyens matériels et humains nécessaires à la tâche.
D'aucuns craignent que le renouvellement brutal de l'ensemble des manuels scolaires ne rende le livre cher et rare. Ce qui porterait un coup à l'enseignement. On retrouve les mêmes inquiétudes chez les libraires locaux, dont l'essentiel de la marchandise est constitué des livres scolaires. Car les responsables du CEPER écoulent eux-mêmes leurs produits, par le biais des directeurs des établissements scolaires.
Au chapitre des propositions, plutôt que d'attribuer l'exclusivité de l'édition du livre scolaire au CEPER, il est demandé à l'Etat de tenir compte de la faiblesse des capitaux des éditeurs locaux, comme cela se fait ailleurs, à l'instar de l'association d'un éditeur national avec un étranger pour co- éditer les manuels. On demande que, dans la mesure du possible, l'Etat crée des conditions favorables à l'augmentation des capacités financières des éditeurs nationaux. Il est aussi conseillé au gouvernement d'opter pour l'homologation du prix du manuel scolaire, en indiquant des fourchettes.
Parmi les éditeurs étrangers mécontents figurent en bonne place les Français, dont un porte-parole, Michel Aurillac, est arrivé l'an dernier au Cameroun pour une action de lobying.
La contre-offensive du CEPER ne s'est pas fait attendre. Son directeur Joseph Bayiha a saisi le député Peter Mafany Musonge pour le prévenir des intentions du porte- parole des éditeurs français. "Dans tous les pays, écrit-il, l'enseignement primaire et maternel, fondement de l'édifice de l'enseignement, est du domaine de l'Etat. (...) En Côte d'Ivoire ou en Tunisie par exemple, pour ne citer que ces pays africains, l'exclusivité de la fabrication des manuels scolaires au niveau primaire et élémentaire revient aux auteurs et aux maisons d'édition nationaux". Il a aussi attiré l'attention du député sur la fuite de capitaux nationaux du fait de la puissance des éditeurs étrangers sur le marché de la fabrication du livre scolaire.
Face à la presse, le directeur du CEPER trouve encore à redire sur ses confrères locaux et étrangers. "Avez-vous un exemple de ce que ces gens- là ont produit pour le pays?", interroge-t-il. Il précise: "Ils ont bénéficié depuis des années de l'aide de la Banque mondiale, de la Coopération française et de l'Agence de la francophonie. Pouvez-vous m'en donner à ce jour le moindre résultat concret sur le plan national? Dites-moi de quelle nationalité est le directeur des éditions 'Clé', et je vous dirai si cette maison travaille pour des intérêts camerounais. Dites-moi combien de personnes emploie 'Edicef' au Cameroun, et je vous dirai ce que cet éditeur français rapporte à l'économie camerounaise".
D'aucuns se demandent si le Cameroun ne foule pas aux pieds des exigences fondamentales de l'économie de marché. Mais d'autres y voient plutôt une révolution, en ce sens que le Cameroun vient de mettre en péril quelques intérêts néo-coloniaux.
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