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Cameroun
Traditions dhier, blasphème daujourdhui
VIE SOCIALE
Bien que résiduelles, les
mutilations sexuelles féminines
subsistent dans quelques régions enclavées.
La société civile se mobilise contre ces pratiques.
Les mutilations sexuelles féminines, les excisions, touchaient 130 millions de personnes dans le monde en 1998, selon lOrganisation mondiale de la santé (OMS). Une cinquantaine de pays, donc 28 africains, étaient concernés. Au Cameroun, le phénomène qualifié de marginal par les experts persiste dans trois régions: lextrême nord, lest et la province anglophone du sud-ouest à la frontière nigériane. Cela tient surtout à la perpétuation de certaines traditions séculaires. LONG de droit camerounais, Inter African Committee on Harmfull Practices (AIC-CAMEROON ), spécialisée dans la lutte contre les mutilations génitales féminines, a essayé de lanalyser.
Pauvreté, superstitions
Il apparaît que les mutilations sexuelles féminines obéissent notamment à une logique magico-religieuse. Elles peuvent servir de rite de passage de ladolescence à la maturité ou dinitiation à certaines sociétés (comme la danse Monokem dans le sud-ouest du Cameroun). Les femmes qui sacrifient à ce rituel bénéficient de lestime et de la considération de leur communauté. «Une femme non mutilée, affirmait à la presse Mme Mbia Brokie, une excisée du village Akwaya, est considérée comme paria et rejetée par la société».
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, lexcision est aussi perçue par ses défenseurs comme moyen de promotion de la féminité. Dans les trois régions concernées, le clitoris est perçu comme un pénis, une excroissance anormale de lorgane génital féminin. Son ablation restituerait aux femmes leur féminité perdue. Et on lui attribue aussi des vertus de fertilité. Dans une société férue denfants, cest un argument de poids. Un nouveau-né est perçu comme un trésor et la stérilité comme une tragédie. Cest donc volontiers que les femmes stériles se plieraient à cette pratique.
De plus, les partisans des excisions considèrent ces pratiques comme des vecteurs dharmonie sociale: en annihilant son désir sexuel, on soustrairait la femme au vagabondage sexuel, préjudiciable à lharmonie du couple. Enfin, noublions pas que les mutilations sexuelles constituent la principale source de revenu des exciseuses, qui jouissent dailleurs dun grand prestige.
Au-delà des arguments de leurs défenseurs, plusieurs facteurs ont contribué à asseoir ces pratiques séculaires. Lenclavement, au propre comme au figuré, apparaît comme le meilleur allié des exciseuses et de leurs défenseurs. Au Cameroun, les principaux foyers des excisions se localisent en effet dans les régions enclavées. Ces région vivent isolées, presque coupées du reste du pays, en raison du mauvais état des pistes. Sans contacts avec lextérieur, le temps semble sêtre arrêté dans ces bleds, livrés aux diktats dune gérontocratie villageoise, ultra-conservatrice et rétrograde par essence.
Pire, piégées par lignorance et la sousscolarisation prononcée des jeunes filles dans ces régions, les femmes en viennent à considérer ces mutilations comme une fatalité, à laquelle il faut obtempérer inexorablement. De même, la marginalisation économique de la femme est un facteur non négligeable. Dans le sud-ouest, les femmes misent sur lexcision pour améliorer leur statut social. Outre le pouvoir et la considération, elles croient que cette pratique favorise la richesse matérielle.
Il faut reconnaître que la responsabilité des femmes est énorme. Contrairement à une opinion qui lui reconnaît un rôle purement passif en Afrique, en réalité cest la femme, gardienne de la tradition, qui façonne le monde. Dans le cas des excisions, elle se trouve en amont et en aval de la chaîne.
En amont, elle initie le processus. Selon Ayukegba, une excisée du village Ayoumojock (sud-ouest), cest sa mère qui a prit linitiative de lexciser, quatre jour seulement après son premier accouchement.
En aval du processus, la femme est omniprésente: les auteurs des mutilations sexuelles féminines sont généralement les femmes. Celles-ci ne se soucient guère des risques encourus par leurs pratiques, qui sont pourtant énormes.
Dans limmédiat, la victime peut être traumatisée, et infectée au VIH/SIDA ou à lhépatite, les exciseuses utilisant généralement les mêmes instruments pour les mutilations collectives. A long terme, il y a risque dinfection récurrente des voies génitales et dinfécondité.
Des voies de sortie
Quoi quil en soit, la société civile, et en particulier lONG AIC-CAMEROON , sest résolument engagée pour la résorption du phénomène. Ses résultats sont réels.
L AIC-CAMEROON a adopté une approche participative. Les communautés des zones ciblées (est, sudouest et extrême nord) sont largement associées aux initiatives de cette ONG. Elles sont même devenues des partenaires à part entière.
Concrètement, l AIC-CAMEROON va à la rencontre des communautés, les écoute, étudie leurs traditions et leurs modes de vie, se gardant de tout jugement de valeur. Ensuite, les deux parties engagent des échanges francs mais courtois, suivis de campagnes de sensibilisation. Principales cibles: les accoucheuses traditionnelles, les exciseuses, les leaders religieux animistes, les chefs traditionnels, les femmes et les jeunes filles. De plus, lONG forme des personnes dynamiques généralement des femmes excisées qui servent de relais à son action sur le terrain.
Répondant à la presse camerounaise, Comfort Effiom, présidente de AIC-CAMEROON , sest estimée satisfaite car, ditelle: «les partisans des mutilations sexuelles féminines dil y a dix ans, en sont aujourdhui des fervents opposants. La majorité des parents naccepte plus la circoncision de leurs filles, tout comme les jeunes mariés qui refusent la mutilation de leurs épouses».
Cette initiative de la société civile mériterait dêtre appuyée par les gouvernants, ne seraitce que par ladoption dune législation proscrivant les mutilations génitales féminines. Un programme socio-économique au profit des femmes et des jeunes filles devrait être initié dans les régions concernées. Objectif: limiter la vulnérabilité des femmes. La reconversion professionnelle des exciseuses devrait aussi être prise en compte.
Enfin, le brassage des hommes et des idées, par le désenclavement des régions concernées, et la scolarisation massive des jeunes filles seraient dun apport appréciable. Car les mutilations sexuelles féminines proviennent de lignorance, de la superstition et des préjugés.
Jean David Mihamle, Cameroun, mars 2000 © Reproduction autorisée en citant la source
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