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Sénégal
Lalternance
DEMOCRATIE
Pourquoi Abdou Diouf a-t-il perdu? - Les raisons dun échec cinglant
Le baobab sest affaissé. On le croyait indéracinable, larbre totem (élément des armoiries du Sénégal), après 40 ans dexistence hégémonique. Il a été déboulonné avec fracas et de manière inattendue. Résultat, le visage de la «forêt» sen est trouvé bouleversé. Plus rien ne sera comme avant.
Ainsi donc, lalternance a gagné. Abdou Diouf, le président en poste depuis 1981, a perdu, vaincu par son vieux rival, Me Abdoulaye Wade. Le «changement» était le maître mot de la campagne, un changement qui a été chanté sur tous les tons et vanté par les deux candidats! Mais, à la surprise générale, le changement-rupture («sopi» en wolof) a renversé le changement-continuité.
Après 40 années de règne ininterrompu, le Parti socialiste (PS) est enfin chassé du pouvoir. Lalternance est survenue à la suite des coups de boutoir inlassablement assénés, vingt-six ans durant, par Abdoulaye Wade du Parti démocratique sénégalais (PDS). Sans relâche, avec opiniâtreté, ténacité et détermination. Ainsi, pour la première fois dans lhistoire du pays, cette «démocratie sans alternance» a cédé, engageant ainsi une maturation inédite et suivant en cela les voisins de la sous-région qui ont renouvelé, ces dernières années, leurs équipes dirigeantes. Un grand bol dair et une nouvelle cure de jouvence!
Les raisons dun échec
Pourquoi le régime de Diouf a-t-il donc perdu si sévèrement, si petitement, voire sans gloire? La défaite a été présentée parfois comme pitoyable, humiliante. 41,21% contre 58,68%!!!. Une véritable Berezina. Le président sortant na même pas fait mieux que lors du premier tour (41,30%). Pourquoi? Plusieurs hypothèses sont avancées, des facteurs identifiés.
1.- Le régime Diouf a été victime de la transparence, un phénomène inconnu et inhabituel sous ces cieux et qui a fait lobjet, durant tout le processus, dune attention extraordinaire, dune requête permanente. Fortement souhaitée, sinon exigée par les Sénégalais instruits par lexpérience de fraudes ayant entaché les précédentes consultations, cette transparence se devait de marquer les présidentielles 2000. La communauté internationale sceptique ne manquait pas dexprimer ses doutes et craignait des dérapages liés à la non-transparence des élections. Ce qui naurait pas été de nature à fonder lhonnêteté et la crédibilité de la démocratie sénégalaise. Cest dire que lenjeu était de taille. Sans transparence, la présidentielle 2000 risquait dembraser le pays, discréditant et disqualifiant ainsi définitivement la démocratie sénégalaise et en même temps le régime en place (déjà taxé de pays à risques et peu sûr pour les investisseurs). Les bailleurs de fonds, notamment, exigeaient un «brevet de démocratie», ce qui a constitué une autre forme de pression. Aussi, la transparence était-elle devenue une condition sine qua non.
2.- Pour le citoyen, le vote prenait ainsi tout son sens, il avait enfin une valeur. Le citoyen se voyait réhabilité et reconsidéré. Les fraudes ne confisqueraient plus sa volonté, et ses choix seraient respectés. Une nouvelle mentalité, une nouvelle citoyenneté pouvait émerger et un suffrage avoir une signification, un rôle de contrôle, de sanction et exprimer une volonté dautodétermination. Le Parti socialiste laura compris un peu tard. Il est vrai que cela ne faisait pas son affaire. Les mascarades électorales remplissaient si bien leur office.
3.- La société civile a pris plus de consistance et de personnalité dans le pays. Au point quelle a été associée de près au processus électoral. La presse privée aussi a été dun apport décisif, jouant le même rôle de «veille vigilante» de la démocratie. Elles se seront révélées comme des nouvelles forces, des éléments majeurs du paysage citoyen qui se dessinait.
4.- La mauvaise gouvernance a été sévèrement sanctionnée. La gestion patrimoniale du bien public a été lourdement condamnée. Cest que ladministration était le vivier, le siège de situations de rente scandaleuses. Elle constituait des places fortes pour le PS, qui assurait ainsi à ses membres puissance, influence, richesses et impunité dans la plus féroce arrogance, au grand dam des populations de plus en plus déshéritées... La corruption achevait de noircir la réputation du Sénégal.
5.- Conséquence, la demande sociale na pas été satisfaite. De plus en plus de marginaux, dexclus et de pauvres en auront fait les frais. La pauvreté a atteint deux Sénégalais sur trois et le chômage a crû à une vitesse vertigineuse. Il y aurait 25% de la population active au chômage et 100.000 jeunes arriveraient chaque année sur le marché de lemploi pour à peine une dizaine de milliers doffres.
6.- Le président sortant naura jamais été proche de son peuple, cloîtré dans sa prestigieuse tour divoire, insensible aux affres de la majorité des Sénégalais. A preuve, lorsquil se rendra compte de ce que lon peut appeler «un déficit de communication», il tentera, lors du second tour de scrutin, de le combler en privilégiant des «campagnes de proximité». Initiées sur le tard, elles ny feront rien. Elles ne le sauveront pas.
7.- Les promesses de M. Abdou Diouf, audacieusement démagogiques et surprenantes, auront été considérées comme une marque de «mépris» et auront donné une piètre image du candidat sortant. Du vinaigre pour attraper des mouches, a-t-on généralement conclu.
8.- Lusure du pouvoir a joué indubitablement. Fossilisé, le PS ne pouvait que susciter des réactions de rejet, dautant que les jeunes constituaient une partie importante de lélectorat, sans compter la majorité que représente lélectorat urbain (57% du total) défavorable au parti au pouvoir. Quarante années de pouvoir PS et vingt années de régime Diouf ont eu un effet de saturation prévisible. Un phénomène que na pas su analyser M. Abdou Diouf, qui na pas su ou ne sait pas quil faut savoir «quitter la table quand lamour est desservi»...
9.- Par son soutien à M. Diouf, le revirement spectaculaire de M. Djibo Kâ de lUnion pour le renouveau démocratique (URD) na pas apporté les bénéfices attendus. Arithmétiquement, ce ralliement aurait dû porter le score de M. Diouf à 48% au moins; or, il est resté à peu près le même quau premier tour. Ce soutien a pu être la corde qui soutient le pendu. Il aura peut-être définitivement convaincu lopinion que la «trahison» ne saurait payer (lors du premier tour, Djibo Kâ se faisait fort doeuvrer à la chute dAbdou Diouf).
10.- Il sy ajoute que les ndigueul (consigne de vote des leaders religieux) de deux marabouts influents, qui faisaient autrefois la différence, nont pas été opérants. Dautant moins que de profondes mutations traversent les mondes confrériques sénégalais.
Voilà donc les raisons pour lesquelles le PS a mordu la poussière.
Une nouvelle ère
Si la chute du «baobab» a eu le retentissement dun séisme, les dividendes conquis par la démocratie sénégalaise sont énormes. Avec lalternance, sécrit une nouvelle page dhistoire et souvre probablement une «nouvelle ère riche de promesses».
En tous les cas, pour lextérieur, lalternance est un bon point en termes de crédibilité et de maturité, tandis que pour lintérieur, elle devrait se traduire en termes de paix civile, de restauration de lespoir (denrée importante au Sénégal et plutôt rare), la réhabilitation de nouvelles valeurs et la promotion de nouvelles dynamiques telles que la mystique du travail. Il est minuit, Dr Schweitzer.
Alain Agboton, Sénégal, mars 2000 © Reproduction autorisée en citant la source
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