ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 389 - 01/05/2000

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Congo-Brazza - Les usuriers ruinent les banques


VIE SOCIALE


Les agents de l’Etat et les commerçants étrangers qui ont recours aux usuriers
pour compléter leurs budgets familiaux ou leurs fonds de commerce,
savent ce qu’il en coûte d’être malhonnête ou insolvable.
Chronique d’une situation qui ronge les finances dans la plupart des pays pauvres

«Ce n’est pas sérieux! Si on tarde à payer une dette, ils viennent avec des bandits armés, emportent toutes les marchandises du magasin, l’argent, tout... Je suis allé dans presque tous les postes de police de Brazzaville pour me plaindre, sans obtenir gain de cause. C’est plutôt moi que les policiers accusent. J’ai rencontré beaucoup de compatriotes qui sont dans la même situation que moi. C’est parce que nous sommes des étrangers qu’on nous fait subir un tel sort», se lamente Mohammed, un commerçant sénégalais installé à Brazzaville depuis 1985. Pour refaire sa boutique pillée pendant les événements de novembre-décembre 1998, il a dû solliciter le secours d’un usurier qui lui a prêté 10 millions de fcfa. Mais que de tracasseries!

Les usuriers font partie d’une nouvelle catégorie d’hommes d’affaires en pleine émergence au Congo. Grâce à des réseaux solides mais clandestins, constitués d’agents de banque, du trésor public et de la police, grâce aussi à l’importance de leurs parts d’épargne dans les banques, ils ont la mainmise sur la plus grande partie de l’épargne publique. Leur système est simple: 5.000 fcfa prêtés rapportent 2.500 fcfa d’intérêts, soit 50% de la mise, quel que soit le montant. La clientèle, elle, est très abondante, généralement les agents de l’Etat souffrant des irrégularités de versements des salaires et retraites, et les grands commerçants expatriés.

Nombre d’entre eux sont des anciens fonctionnaires qui ont déserté leur poste de travail pour avoir découvert cette activité si rentable. D’autres sont des étudiants qui, grâce aux économies de leurs bourses d’études, se convertissent à cette activité. Ils nourrissent et affament à leur guise. Les accrochages entre eux et les fonctionnaires, leur clientèle permanente et soumise, sont de plus en plus nombreux.

Certains fonctionnaires insolvables payent un lourd tribut. La paie des salaires est devenue pour eux un véritable cauchemar. A cause de l’importance de leurs dettes, ils promènent leurs salaires dans toutes les banques pour éviter que leurs créanciers ne les rattrapent. Mais ces derniers ont leur propre tactique, celle de passer par les agents payeurs ou les directeurs de banque qu’ils corrompent, afin de faire virer sur leurs comptes bancaires tous les salaires de leurs clients. Un de ces clients, un jour de paie, s’est mis à sangloter en public, après avoir passé cinq mois sans rien percevoir.

Généralement, les contrats stipulent que lorsque les deux parties possèdent un compte bancaire, le remboursement peut s’effectuer par virement. Parfois, c’est le créancier qui touche le salaire de son client et lui verse le solde, une fois les intérêts prélevés. Les clients qui n’ont pas de compte signent une procuration et une reconnaissance de dette. Pour éviter les litiges, un huissier ou un avocat authentifie le contrat.

Mais régulièrement, en cas de litige, fonctionnaires et usuriers choisissent des règlements à l’amiable, qui se terminent souvent par des accrochages. Un usurier explique: «Nos clients sont pour la plupart des personnes que nous connaissons bien. Ce sont des fonctionnaires, ou des grands commerçants maliens, sénégalais, libanais. Pour ce qui concerne les fonctionnaires, les plus malhonnêtes, si nous hésitons à les traduire en justice, c’est pour éviter de les mettre dans de mauvais draps. Imaginez quelqu’un qui ne gagne que 120.000 fcfa et qui prend le risque de contracter une dette de 2 ou 3 millions. Se sentant incapable de les rembourser, il se met à déplacer son salaire d’une banque à une autre, afin que vous ne puissiez l’atteindre, bien que le contrat prévoit que quelque 50.000 fcfa doivent être prélevés de son salaire à la fin de chaque mois, jusqu’à épuisement de la dette. Alors... vous essayez d’avoir ce salaire au prix de mille et une démarches!».

Le scandale financier

Les fonctionnaires rétorquent que ce sont les créanciers qui abusent de leur confiance. Cupides, ils leur font subir un calvaire en les privant de leurs gains mensuels pendant des mois, voire des années.

En dépit de ce rejet mutuel de culpabilité, une réalité saute aux yeux: le jeu d’un créancier cupide face à une clientèle malhonnête et insolvable. Souvent, les usuriers ont recours à des policiers complices et, ainsi protégés, ils outrepassent délibérément les contrats conclus avec leurs clients.

Ces pratiques sont légion et elles font partie des maux qui minent dangeureusement le développement du secteur bancaire au Congo. En décembre 1998, Radio-Congo a annoncé la mise en garde à vue d’une dizaine d’agents payeurs du trésor public, impliqués dans la perte des salaires de 600 agents de l’Etat. Tandis que dans les banques, ont déplorait la disparition de nombre de bordereaux de paie. Or, «les auteurs de ces scandales sont restés impunis jusqu’à présent», fait remarquer un fonctionnaire. «On ne punit jamais les contrevenants. On n’a pas d’argent pour payer régulièrement les pensions des retraités, les salaires des fonctionnaires et les bourses des étudiants, mais on en a pour livrer délibérément aux escrocs».

L’affluence des usuriers, dont les parts d’épargne étaient estimées à près de 45%, est l’une des causes de la faillite de la Banque commerciale congolaise (BCC ) en 1994, et de la Banque nationale du développement du Congo (BNDC ). Il en est de même de la Caisse nationale d’épargne, en faillite elle aussi. L’Union congolaise des banques (UCB ), encore en fonction, souffre de la même maladie. Actuellement, elle ne parvient pas à accorder des crédits à ses clients. «Alors que notre argent remplit les comptes des usuriers», s’insurge un de ses épargnants. D’autres centres d’épargne, comme la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC ), la Mutuelle congolaise d’épargne (MUCODEC ), le Crédit rural, la Banque internationale du Congo (BIDC ), ne sont pas à l’abri de ces pratiques. Les complices sont souvent des agents subalternes. «Ces pots-de-vin nous soulagent. La pratique n’est pas bonne, certes, mais on n’y peut rien, face à nos salaires modestes et irrégulièrement payés», reconnaît sans complaisance un de ces agents.

En 1995, le régime déchu avait amorcé une étude sur la privatisation des établissements d’épargne en faillite. Parmi eux figuraient notamment la BCC, la BNDC et la Caisse nationale d’épargne. La mise en application de ce dossier a été renvoyée aux calendes grecques par la guerre civile de 1997. Jusqu’à présent, la position des nouvelles autorités à ce sujet n’est pas connue, bien que selon des sources autorisées elles pensent à la vente.

Le Congo n’est que le prototype

Le cas du Congo-Brazaville n’est que le prototype d’une situation qui ronge les finances de la plupart des pays pauvres. Des pratiques usuraires sont dénoncées notamment en Ile Maurice, en République démocratique du Congo, au Burkina Faso, en République centrafricaine et au Cameroun, même si elles n’y atteignent pas encore le niveau du Congo-Brazza. Comment remédier à ce phénomène?

Le Camerounais Michel Gotto, enseignant en économie, souligne que cette pratique est liée à la pauvreté qui caractérise ces pays. Elle est d’ailleurs fort ancienne en Afrique. La supprimer, selon lui, n’est pas la meilleure solution, d’autant que l’usurier et son client sont utiles l’un pour l’autre. Mais les autorités ont la responsabilité d’instaurer une politique d’orthodoxie financière.

Le Burkinabé Jonas Ouedraogo, enseignant en sociologie, pense que la meilleure solution consiste à légaliser cette activité, ce qui permettra, selon lui, au créancier et au client de limiter les risques qu’elle comporte. Mais selon le Camerounais Jean Blaise Tsapi, il faut supprimer cette pratique, dès que le taux d’escroquerie commence à toucher les finances publiques.