ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 389 - 01/05/2000

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


Erythrée  - Une paisible région en guerre


EGLISE–ETAT


L’Eglise catholique en Erythrée examine la façon de
faire face aux changements profonds dans la société actuelle

En se levant très tôt à Asmara, on a une singulière sensation. La lumière qui brille par la fenêtre semble être plus pure et plus brillante qu’ailleurs. Est-ce à cause de l’altitude de 2.200 mètres ou de l’absence de toute pollution? Mais il n’y a pas que l’éclat du soleil qui est inhabituel, il y aussi une atmosphère de paix et de tranquillité. Le trafic est lent et tranquille et les gens se sentent tellement en sécurité qu’ils ne prennent même pas la peine de fermer à clé leur voiture ou leur maison. En comparaison avec la violence qu’on connaît dans la plupart des autres villes africaines, l’Erythrée semble un paradis perdu.

Mais les apparences sont trompeuses. Le pays est de nouveau au bord de la guerre. Si vous ne voyez en ville que des enfants et des personnes âgées, c’est parce que les autres ont été enrôlés dans l’armée et sont aux frontières du pays à attendre le troisième round d’une guerre dont on ne parvient pas à comprendre les raisons.

Il y a dix ans, le Front de libération du peuple tigréen (TPLF ) et le Front de libération du peuple érythréen (EPLF ), malgré leurs différences idéologiques, se sont unis pour renverser le régime communiste de Mengistu. Après un référendum, l’Erythrée obtint son indépendance et les deux pays, après trente années de guerre civile et dans un remarquable effort, coopérèrent pour reconstruire leur économie. L’Erythrée et le Tigré ont une langue et une culture communes. Les présidents des deux pays sont unis par des liens de famille. Alors, pourquoi se battent-ils? Officiellement, c’est une question de frontières. L’Erythrée considère que les frontières du temps du colonialisme italien doivent être respectées; mais la région disputée a toujours été gouvernée par l’Ethiopie et la population locale se considère comme étant éthiopienne. Chaque pays accuse l’autre d’avoir commencé le conflit. C’est l’Erythrée qui commença les actions militaires, mais elle accuse l’Ethiopie d’avoir provoqué le conflit. En juin de l’année dernière, l’armée éthiopienne réussit à reprendre une partie du territoire, à un prix ahurissant de vies humaines. Pourquoi ne pas soumettre la dispute frontalière à un arbitrage international?

L’Erythrée prétend que ce ne sont pas uniquement les frontières qui sont en jeu: les Tigréens au pouvoir à Addis Abeba veulent créer un “Grand Tigré”, comprenant une grande partie de l’Erythrée et gagner ainsi l’accès au port d’Assab. Ce qui n’était au début qu’un simple conflit de frontières est ainsi devenu une guerre de tranchées. L’Erythrée ne peut pas se permettre de garder indéfiniment toute sa main-d’œuvre aux frontières. Mais si les hostilités reprennent, toute une génération de jeunes pourrait bien ne plus revenir à la maison.

Un redressement remarquable

Ce qui rend la guerre encore plus tragique, c’est que les deux pays s’étaient engagés dans un programme de développement impressionnant. Contrairement à beaucoup de pays africains, l’Erythrée avait fortement investi dans l’amélioration de son infrastructure. Les routes n’ont pas de nids de poule, le téléphone fonctionne et les collines arides sont reboisées. On a aussi investi beaucoup dans l’agriculture, pour assurer une nourriture suffisante. Massaoua, ce port pittoresque de la mer Rouge, a été reconstruit. Tout donne l’impression que le gouvernement essaye de développer sa population au lieu de se remplir les poches. Notons que les Erythréens ont voulu réaliser cela par eux-mêmes et ont refusé de se soumettre aux conditions du FMI et de la Banque mondiale qui, ailleurs, ont causé tant de dégâts.

Le revers de la médaille

Mais tout n’est pas que splendeur et gloire. Malgré tout, on a la sensation que le EPLF ne s’est pas encore débarrassé de son passé socialiste. Le marxisme-léninisme était à la base de l’idéologie et des stratégies pendant ces longues années de lutte pour la libération. La rhétorique communiste est oubliée, mais les attitudes totalitaires persistent. Cela se remarque dans le désir de tout contrôler, même la mentalité du peuple. Il n’y a qu’une chaîne de radio-TV: celle du gouvernement. Les éditeurs des journaux privés doivent faire très attention à ce qu’ils publient.

La requête du gouvernement à l’Eglise catholique de lui céder ses 25 écoles et 35 dispensaires était de mauvais augure, même si c’était avant que la guerre se déclare. Tout aussi inquiétante fut l’annonce surprise, jamais mise par écrit, de mettre fin à l’enseignement de la religion dans les écoles, alors qu’un syllabus oecuménique venait d’être accepté. Il semble que le gouvernement ait peur du fondamentalisme islamique, ce qui expliquerait pourquoi il veut tenir la religion en laisse. Après l’indépendance, l’Erythrée à été infiltrée par des fondamentalistes, du genre violent, venant du Soudan et de l’Iran. La réaction du gouvernement ne se fit pas attendre: ils furent arrêtés et les liens diplomatiques avec Khartoum rompus. Bien que les relations diplomatiques aient été récemment rétablies, la peur reste de voir le radicalisme religieux saper les efforts pour édifier la nation, où la population est à moitié chrétienne et à moitié musulmane.

Mais certaines mesures pour séparer religion et vie publique empiètent sur les droits fondamentaux de l’homme; p.ex. les soldats ne peuvent plus aller aux services religieux et les combattants tombés au front sont privés d’un enterrement selon leur croyance.

L’invasion de la culture globale

Bien plus dangereuse que tout endoctrinement politique et nationaliste de la jeunesse, est l’influence de la culture médiatique. On trouve partout des vidéos de tout genre et, cette année encore, l’Erythrée sera connectée à Internet. Certains fournisseurs d’accès sont explicitement centrés sur la jeunesse qui est submergée des meilleures et des pires cultures médiatiques de l’Occident. On en voit déjà les résultats dans la façon dont ils s’habillent et leur choix de musique. Cela se reflète aussi sur leurs pratiques religieuses. Bien que la plupart restent enracinés dans leur foi, les jeunes trouvent que les rites liturgiques Gheèz traditionnels sont bien trop longs et ils demandent des messes en tigrinya où ils peuvent chanter des nouveaux chants avec accompagnement musical.

Certains sont très attirés par les formes charismatiques de prier et sont influencés par les Eglises pentecôtistes très actives. Tous ces changements demandent une discussion ouverte en vue de trouver des solutions pastorales appropriées.

Un synode sous menace de guerre

C’était une décision très courageuse de la part de l’éparque d’Asmara, Abune Zacharia, que de convoquer le tout premier synode dans l’histoire de l’éparchie, alors que de nouveaux combats semblent imminents. Après deux années de préparation dans les paroisses, au moyen de questionnaires et de “mini-synodes”, 85 délégués, dont un tiers de laïcs, se sont rencontrés pendant six jours pour discuter comment l’Eglise pourrait répondre à ces profonds changements dans la société. Les changements à apporter à la liturgie furent les plus épineux.

Dans un esprit d’œcuménisme, la petite Eglise catholique s’en voudrait de trop s’écarter de l’Eglise orthodoxe. Et pourtant, si elle ne veut pas perdre la jeunesse, elle doit mettre en place de nouvelles expressions liturgiques et adapter certains rites aux conditions de vie urbaines et modernes. Traditionnellement, les jeunes étaient initiés à la foi au moyen de la liturgie.

Comment transmettre une foi plus personnelle, basée sur la Bible, dans un nouveau milieu sécularisé, c’est là le plus grand défi auquel l’Eglise se doit de faire face. Un centre de catéchèse et d’autres structures diocésaines seront créés pour étudier les différents problèmes de la pastorale. Tout comme dans la plupart des Eglises d’Afrique, l’éparchie dépend très fort de l’aide venant de l’extérieur, un héritage du passé missionnaire. L’indépendance financière est aussi urgente que difficile, mais elle n’est pas impossible. L’Eglise orthodoxe ne parvient-elle pas à se suffire et à construire de belles églises avec la contribution locale, même si cela leur prend 30 années pour les parachever!

Comment peut-on évangéliser avec courage et créativité une nouvelle culture sécularisée sans perdre la profondeur de sa foi et les richesses de sa tradition? Au début de ce troisième millénaire, voilà le problème, non seulement pour l’Erythrée, mais aussi pour toute l’Eglise.