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Sénégal - Alternance, mode d’emploi |
POLITIQUE
Après le séisme des urnes, le Sénégal vit sur un nuage. La réussite de la nouvelle coalition devra se montrer à la hauteur des espoirs placés en elle
Démocratie multipartisane depuis plus de vingt-cinq ans, le Sénégal n’a pourtant jamais connu l’alternance par les urnes, encore moins de coup d’Etat. Une identité remarquable dans une Afrique où la vérité du suffrage universel n’est pas la chose la mieux partagée. L’alternance, survenue en douceur à la suite d’élections transparentes et honnêtes, a eu l’effet d’un tremblement de terre pour le régime au pouvoir depuis 40 ans et d’une certaine ivresse pour les vainqueurs. Un véritable choc démocratique. Le Sénégal est actuellement sur un nuage. Il vit enfin l’alternance. Le climat est extraordinaire, fabuleux, fantastique...
C’est que, aux présidentielles du 19 mars, Me Abdoulaye Wade (58,5%) a battu M. Abdou Diouf (48,5%), au pouvoir 19 ans durant, mettant ainsi fin à 40 ans de régime PS (Parti socialiste). Un changement qui s’est opéré dans la douceur et le fair-play. Victoire à la fois de la transparence, de la presse privée, de la «démocratie du portable» (le cellulaire a été déterminant dans la transparence du scrutin) et de la société civile. D’où une espèce d’ivresse qui s’est emparée des Sénégalais qui, il est vrai, avaient fini par ne plus croire à cette «démocratie sans alternance», jusqu’ici marquée souvent par des fraudes et des troubles post-électoraux.
Les Sénégalais, en majorité, disent sentir qu’ils vivent aujourd’hui une «époque historique». Une nouvelle ère s’ouvre pour eux. C’est que l’attente populaire était pressante. Aussi comprend-on qu’il y ait comme une délivrance, une bouffée d’air frais respirée, happée goulûment. Le soulagement est à la mesure de l’espoir fou, cette soif de changement, de sopi (changement, en wolof, le slogan mobilisateur de Me Abdoulaye Wade) qui habitait la plupart des Sénégalais. Et le fait que cette alternance ait requalifié, revalorisé l’espoir, constitue un «plus», une valeur ajoutée notable pour les Sénégalais. Tout se passe comme si en quelque sorte s’enclenchait désormais une «Operation Restore Hope». Pas moins.
Quelle alternance?
Alors, qu’est-ce que l’alternance pour les citoyens et comment la vit-on ici? Questions délicates que l’on ne manque pas de poser face à ce phénomène inédit qui, pour les partisans du PS, est véritablement assimilé à un séisme, dont ils ne se remettent d’ailleurs toujours pas si l’on en juge par les profonds déchirements et les transhumances massives qui le traversent et le fragilisent en ce moment.
Les graves attentes, ou ce qui est baptisé «demande sociale», ont été à l’origine de la défaite cinglante du président sortant M. Abdou Diouf. Largement insatisfaites, elles avaient les traits du chômage, de la pauvreté, du mauvais système de santé et de l’éducation. De plus, il était reproché au régime sa mal gouvernance, son arrogance et le sacre de l’impunité. Pillage, gestion patrimoniale sinon monarchique du bien public, corruption etc., caractérisaient le pouvoir.
Un état de grâce prévaut actuellement. En témoignent maintes manifestations plus ou moins curieuses. C’est ainsi que cette “sopimania” est illustrée par une mode, celle du port... des bretelles. Tout est parti de la première intervention du candidat Wade à la télévision pendant la campagne, qui s’est présenté en bretelles. Incongruité? Accueillie au départ par un vent de désapprobation, elle devait à la longue se révéler être un phénomène de société! Un véritable raz-de-marée, surtout chez les jeunes, pour qui Wade, 73 ans (!), a un «look branché». La demande de bretelles est si forte que le marché a explosé et que la pénurie s’installe! Du jamais vu sous ces tropiques. Et pour parachever le tableau, il est conseillé d’avoir le crâne rasé «à la Abdoulaye Wade».
Plus sérieusement, en cette période de rodage, où il n’est donc pas facile de passer de la culture d’opposition à celle de gouvernement, d’incontournables défis se présentent.
Période de transition cruciale
Si, au fil des jours, un nouveau style de gouvernement s’installe, comme cette «audience publique» entre Me Abdoulaye Wade et ses ministres, très médiatisée, (une résurgence de l’arbre à palabre?), on s’interroge surtout sur la marge de manoeuvre dont il bénéficie au regard de la composition de la coalition qui l’a porté au pouvoir (une vingtaine de partis allant de l’extrême gauche à la droite libérale dont il est le leader). C’est dire que de nouvelles échéances s’imposent au nouveau gouvernement, et par conséquent une période de transition dont les enjeux sont cruciaux.
Le problème est que la majorité parlementaire est encore PS et qu’il y a lieu d’organiser, au plus tôt, des élections législatives, qui vont dès lors déterminer le poids des différentes forces politiques appelées à gouverner jusqu’en 2007 (si Me Wade accomplit son mandat, un mandat dont il avait dit pendant la campagne qu’il le ramènerait à cinq ans). On le voit, les enjeux sont fonction de la recomposition politique qui se sera dessinée en novembre, date prévue pour les législatives.
D’autre part, il y a les défis socio-économiques. Pendant la campagne électorale, ni Me Wade, ni M. Diouf n’ont brillé par la consistance de leur discours économique. Ils ont été plutôt discrets ou évasifs. Pour l’essentiel et pour l’heure, les défis pour le nouveau pouvoir sont notamment d’améliorer à la fois la production dans tous les secteurs d’activités et le rendement des services, afin d’intensifier la croissance et la création de richesses. Des richesses qu’il s’agit de «mieux partager». La lutte contre la pauvreté représente une urgence. On note en particulier une paupérisation de la paysannerie, en marge du chômage grandissant des jeunes et d’une forte émigration. Il en résulte que les ménages, urbains ou ruraux, demandent des revenus plus confortables, la réduction des prix des denrées de première nécessité, un espace d’habitat plus décent et salubre, un enseignement et des services de santé plus adéquats.
Craintes et espoirs
On est donc généralement partagé entre craintes et espoirs. Craintes que surviennent des dissonances et des conflits d’intérêts, au sein de la coalition, liés à la préparation en ordre dispersé des élections législatives. Le risque réside en effet dans la différence de visions politico-économiques et doctrinales, sinon idéologiques. Le danger est également que ces partenaires, jadis unis autour du mot d’ordre de «chasser» du pouvoir M. Abdou Diouf, ne soient saisis par le démon sectaire de la politique politicienne. On ne peut qu’espérer qu’ils surmontent les réflexes identitaires. Le sentiment souvent exprimé est qu’ils ne doivent pas échouer car la déception serait, prédit-on, à la dimension et à la hauteur des espoirs placés en cette coalition «du changement et de l’espoir».
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