ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 390 - 15/05/2000

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Ouganda - Les leçons de Kanungu


RELIGION


Les images des cadavres brûlés vifs dans une petite église à l’ouest de l’Ouganda ont fait
le tour du monde. Des membres de la secte de la “Restauration des dix commandements de Dieu” se sont apparemment suicidés en attendant la fin du monde.

Après la découverte d’autres fosses communes dans d’autres propriétés de la secte, il paraît évident que la majorité des plus de 1.000 victimes ne s’est pas suicidée, mais a été assassinée de sang froid, sur une période de plusieurs mois. Et les gens se demandent comment des centaines de personnes ont pu être massacrées sans attirer l’attention des voisins, de la police ou des responsables locaux.

Les commentaires de toutes sortes vont bon train. Les dirigeants de la secte étaient surtout des ex-catholiques, notamment le fondateur Kibweteere et deux prêtres excommuniés. Ils se servaient beaucoup de symboles catholiques: crucifix, statues, chapelets. Les détracteurs n’ont pas hésité à pointer un doigt accusateur vers l’Eglise catholique, affirmant même qu’une telle violence est symptomatique de toute religion. D’autres ont demandé aux gouvernements d’être plus stricts dans le contrôle des autorités religieuses; tandis que les médias occidentaux décrivaient la tragédie comme étant un autre exemple de la violence sévissant en Afrique. Mais peu ont essayé d’analyser les causes sous-jacentes.

Ni africaines ni catholiques

Les dernières années, on a connu au moins huit cas de suicides religieux collectifs, dont un seul en Afrique, un dans la paisible Suisse, un au Japon et les autres aux Etats-Unis. Un seul concernait des catholiques, les autres surtout des franges de groupes fondamentalistes; au moins un a été inspiré par des théories pseudo-scientifiques recueillies sur internet. Des cultes se sont développés sur tous les continents, tant dans des milieux séculiers que religieux. Heureusement, la plupart ne sont pas allés jusqu’à assassiner leurs adhérents, mais beaucoup ont développé des traits similaires à ceux de la secte de Kanungu: le secret absolu, les techniques de lavage de cerveau, une dépendance totale, des dirigeants qui disent avoir des contacts directs avec le divin. Si ces phénomènes ont lieu partout dans le monde, ne devons-nous pas chercher des causes plus universelles que celles qui sont propres à une religion ou à une culture? Qu’est-ce qui pousse les gens à abdiquer leur liberté, perdre leurs propriétés et collaborer à leur propre autodestruction?

A la recherche d’une certitude

Si nous voulons trouver une réponse, il nous faut, non pas blâmer la religion, mais considérer les énormes bouleversements sociaux, culturels et religieux par lesquels nous passons tous: notre façon traditionnelle de vivre disparaît sous l’assaut de la culture globale des médias; le mariage et la vie familiale sont submergés par les idées propagées par les feuilletons de TV, pour lesquelles la vie est une suite sans fin d’amourettes et de divorces; une corruption massive et la politique du FMI poussent beaucoup de gens à la limite de la survivance; le sida a transformé en menace l’acte le plus intime des relations humaines. Nous sommes tous, d’une façon ou d’une autre, déracinés et perdus dans un tourbillon de changements que personne ne comprend ou n’est en mesure de contrôler. Et chacun cherche comment s’en sortir.

Certains se réfugient dans le monde du rêve en s’adonnant à toutes sortes de drogues, que ce soit l’alcool, la drogue dure, le sexe et même la religion, tout ce qui peut nous faire oublier, pour quelques heures, les incertitudes de la vie. Et la dernière porte de sortie est le suicide.

D’autre part, il y a les fondamentalistes de toute appartenance, qui cherchent leur refuge dans le passé. Des fondamentalistes musulmans veulent reconstruire le monde comme du temps de Mahomet. Des fondamentalistes catholiques désirent retourner à l’Eglise d’avant Vatican II. Des fondamentalistes protestants prétendent trouver toutes les réponses dans la Bible, même la date de la fin du monde. L’anxiété existentielle créée par les changements sociaux, culturels et religieux trop rapides et trop profonds pour être digérés et intégrés, explique, du moins en partie, les phénomènes bizarres dans la société moderne, et notamment celui de Kanungu. Des personnes déracinées et anxieuses sont souvent la proie de tout homme qui promet la certitude garantie par le divin, même si elle est absurde.

Un mélange explosif

Dans le contexte africain, cette sensation omniprésente d’être perdu, qui conduit à des extrémismes de toutes sortes, se lie à d’autres facteurs:

La folie du millénaire: L’idée que le monde est arrivé à sa fin à l’aube d’un nouveau millénaire est une fièvre récurrente. Ajoutez à cela l’ampleur de la dégradation écologique, la fréquence et la gravité des désastres naturels, et il sera facile aux prédicateurs de prouver, la Bible à la main, que l’apocalypse est arrivée. La société séculière, elle aussi, a produit sa forme de folie du millénaire avec sa bogue Y2K et ses scénarios apocalyptiques.

Une pauvreté extrême: Les derniers programmes d’ajustement structurel du FMI n’ont enrichi qu’une petite élite complètement corrompue, la classe moyenne s’en est trouvée plus pauvre, et la pauvreté est devenue misère. La dégradation écologique, l’accroissement trop rapide de la population, le manque de terres à cultiver n’ont fait qu’aggraver la situation désespérée des pauvres dans les villes et à la campagne. Il ne faut pas s’étonner s’ils s’accrochent désespérément à tous ceux qui leur promettent une alternative. L’Ouganda est loué pour ses statistiques d’accroissement économique, mais ce n’est qu’une petite minorité qui en profite.

La commercialisation de la religion: Le capitalisme à produit sa propre religion: l’évangile de la prospérité. Il considère la richesse, même mal acquise, comme une bénédiction de Dieu et promet des avantages financiers aux pauvres, pourvu qu’ils jettent leurs derniers sous dans la corbeille. La religion est devenue une industrie en expansion. La secte de Kanungu est une de ces nombreuses Eglises dans lesquelles des croyants naïfs sont détroussés du peu qu’ils avaient encore. Il est intéressant de noter ici que les régions où sont apparus ces mouvements religieux extrémistes, comme «La restauration des dix commandements de Dieu» ou «L’armée de résistance du Seigneur», sont celles qui ont beaucoup souffert de la guérilla.

L’Eglise avait-elle raison?

Bien que l’Eglise catholique ait été durement attaquée après cette tragédie de Kanungu, l’événement semble confirmer sa tradition séculaire. La seule personne qui avait jugé la secte pour ce qu’elle était vraiment, est l’évêque local: il avait excommunié les prêtres qui en faisaient partie et avait demandé à tout le monde de garder ses distances. La mort des victimes prouve que l’Eglise a raison sur deux points:

Une Eglise sans spiritualité?

Quoi qu’il en soit, les événements de Kanungu posent des sérieuses questions à l’Eglise. Pourquoi tant de catholiques, et parmi eux des personnes éduquées, ont-ils quitté l’Eglise pour s’enrôler dans cette secte et dans beaucoup d’autres Eglises? Que cherchent-ils? Peut-être une vraie spiritualité, qu’ils ne trouvent plus dans l’Eglise?

La vie spirituelle des gens ordinaires était alimentée non seulement par la messe, mais aussi par de nombreuses dévotions: le chapelet, l’adoration du St Sacrement, le chemin de la Croix. Le Concile Vatican II a voulu centrer la vie de l’Eglise sur la Parole de Dieu et l’Eucharistie. Mais pour beaucoup de catholiques, la messe du dimanche est la seule occasion de recevoir la nourriture spirituelle. Si le sermon est pauvre et la liturgie sans intérêt, ils retournent chez eux insatisfaits et commencent à chercher ailleurs la spiritualité dont ils ont besoin. Les catholiques considèrent-ils leurs évêques et leurs prêtres comme des hommes de prière, des personnes spirituelles qui sont à même d’initier les autres dans la vie de l’Esprit? Les sectes offrent une intense vie de prière, plus exigeante que celle dans un monastère. Il y a une telle faim de la parole de Dieu et de la prière. Cette dernière décennie, l’Eglise a investi beaucoup de temps et d’argent dans ses efforts pour le développement, les problèmes sociaux et de justice et paix. Aurait-elle perdu dans ce processus le sens de sa vraie mission, celle de conduire les gens à Dieu? Si l’Eglise ne leur donne plus une nourriture sprituelle solide, les catholiques chercheront ailleurs, même s’ils n’y reçoivent que de la pacotille. La tragédie de Kanungu et le grand nombre des catholiques délaissant l’Eglise devraient pousser les pasteurs à se demander si vraiment ils mènent leurs troupeaux à de verts pâturages ou s’ils le laissent dans un désert spirituel à la merci d’escrocs et de charlatans.

 



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