ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 390 - 15/05/2000

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Rwanda Jubilé de 100 ans d’évangélisation
Un dossier anb-bia


EGLISE


L’Eglise du Rwanda célèbre cette année son centenaire
puisque les missionnaires sont arrivés à la cour du mwami le 2 février 1900.
Cent ans, c’est l’occasion de faire un bilan.


 

Est-il permis de «jubiler» (1)? Un évêque est en prison, on lui demande des comptes, à lui et à toute l’Eglise du Rwanda; le calendrier des célébrations du jubilé est rythmé par les comparutions de Mgr Misago au tribunal. Est-il permis de «jubiler» après le génocide et les massacres ignobles qu’il y a eu et qu’on attribue aux chrétiens comme étant les auteurs et à l’Eglise comme étant l’origine? Il y a lieu de se demander si cette date est pour l’Eglise un jubilé ou un procès.

Le bilan doit être fait. Pour des raisons de vérité et de justice. Il faut voir le chemin parcouru, les résultats négatifs et positifs, les lacunes, les manquements, les omissions, les faiblesses… Tout doit être passé au crible. C’est le moment critique, dans le sens étymologique du mot, c’est-à-dire dans le sens de jugement, d’évaluation. Il est dommage que l’Eglise du Rwanda doive faire son bilan le couteau sous la gorge, sur fond d’accusations très graves, avec des ouvriers apostoliques tués, en prison, en exil…

L’opinion générale, surtout après le génocide, veut juger l’Eglise dans ses implications politiques, supposées ou réelles (ou sa lutte, sa course, contre les protestants). Il ne faut pas nier ce point de vue, mais il ne faut pas non plus en être obnubilé, car l’Eglise a eu son influence dans d’autres domaines aussi, une influence très positive dont le peuple lui est reconnaissant et pour laquelle il lui reste indéfectiblement attaché.

Qu’elle ait essuyé un échec ou connu un succès, l’Eglise du Rwanda a le mérite d’exister. On ne peut la gommer. Elle est là. Certains lui reprochent même d’être trop présente, omniprésente, trop puissante, incontournable, «nuisible» paraît-il, comme le disait un ambassadeur à un missionnaire qui venait d’être expulsé. D’autres diront qu’elle est «jeune, belle, mais fragile» (2). Les statistiques sont claires: elle est présente sur toutes les mille collines, elle est présente dans tous les secteurs de la vie nationale.

 

STATISTIQUES

Le fait du génocide est encore à évoquer, d’abord parce qu’il a faussé tous les paramètres, mais aussi pour tempérer tout triomphalisme à partir des chiffres, qui, sans le génocide, seraient à prendre comme un réel et indiscutable succès.

En effet, le christianisme s’est vite implanté au Rwanda: dans les années trente, on parlait carrément de l’Esprit qui soufflait en tornade! Rarement on a eu autant de conversions en si peu de temps. Comprenons l’enthousiasme des missionnaires qui n’en espéraient pas tant, surtout qu’ils venaient de se faire expulser de l’Ouganda. Sans discuter des motivations qui les poussaient, ni des stratégies qu’ils ont adoptées, disons tout simplement qu’ils voulaient «convertir» et amener au christianisme le plus de Rwandais possible. Ils y sont parvenus.

Les nombreux postes de mission

Il y a d’abord eu l’occupation de l’espace. Tout de suite les paroisses, appelées autrefois «missions», se sont placées aux quatre points cardinaux; l’espace rwandais était ainsi quadrillé, après avoir occupé la périphérie et le centre. Aujourd’hui, les paroisses sont au nombre de 133 (avec plus ou moins 500 centrales et succursales) et les diocèses sont au nombre de neuf. On comprend mieux la performance quand on sait que la paroisse, au Rwanda, correspond en moyenne à plus de 200 kilomètres carrés, tandis que le diocèse couvre en moyenne près de 3.000 kilomètres carrés.

Le Rwanda a été présenté comme le pays le plus catholique d’Afrique, certains allant jusqu’à dire que le pourcentage de catholiques est de 80% de la population. Il s’agit là d’une exagération ou bien d’une mauvaise connaissance des chiffres. Pour être exact, il faut faire la moyenne entre les paroisses avec un fort pourcentage de catholiques et celles qui en ont moins. La paroisse qui compte le plus de catholiques est bien entendu Save (la première mission) qui en totalise 85,6%. La paroisse la moins catholique est Gatare, dans le diocèse de Gikongoro, qui n’aligne que 0,7% de la population locale. Cela fait que la moyenne nationale se situe aux environs de 51% de catholiques.

Et partout on baptise encore. Pour ne prendre qu’un exemple, la paroisse de Byimana avec ses 82,22% de catholiques sur sa population, a enregistré 1.284 baptêmes en 1998. La paroisse de Save présentait, à cette date, 2.536 catéchumènes à baptiser.

Un bon personnel en qualité et en quantité.

Les missionnaires, en arrivant, ne voulaient pas seulement occuper l’espace et multiplier les baptêmes. Ils voulaient vraiment fonder une Eglise locale florissante. On le constate au souci qu’ils ont tout de suite manifesté et mis en pratique, à savoir former un personnel de qualité et en grand nombre, «incardiné» dans les diocèses du pays. Le mérite revient aux Pères Blancs (et aux Sœurs Blanches) qui se sont refusé à recruter d’abord pour leur société, contrairement aux missionnaires qui, dans d’autres pays, ont accaparé les premières vocations sacerdotales et religieuses pour leurs propres congrégations et instituts. Au Rwanda, la première Sœur Blanche rwandaise n’a fait sa profession qu’en 1961, et le premier Père Blanc rwandais n’a été ordonné prêtre qu’en 1983. Le Rwanda a tout de suite eu son clergé autochtone, ainsi que des congrégations autochtones pour ses religieux et ses religieuses.

Le Rwanda a donc eu son clergé local et il faut souligner qu’il l’a eu dans un temps record, ce que la plupart des pays de missions (si ce n’est pas tous) peuvent lui envier. Les deux premiers prêtres sont ordonnés le 7 octobre 1917. Nous constatons tout de suite que le clergé rwandais est vite responsabilisé: l ‘Eglise est la première (par rapport aux puissances coloniales) à confier des responsabilités importantes aux Africains. En effet, le clergé diocésain se voit confier pour la première fois une paroisse (Murunda) en 1919. Trois prêtres rwandais vont recevoir la responsabilité de fonder une paroisse (Janja) en 1935. Pour la première fois en Afrique — c’est même une première mondiale —, le 25 mars 1956, un évêque noir consacre un évêque blanc. Pour la première fois en Afrique, un grand séminaire est confié au clergé local le 18 avril 1961.

Côté religieux, Mgr Hirth a tenu à fonder une congrégation masculine et une congrégation féminine autochtones. Il a fondé la congrégation des Frères Joséphites en 1912; la première profession intervient en 1916, mais n’est pas suivie tout de suite; le premier supérieur général de la congrégation, frère Laurent, est élu le 11 janvier 1953. Mgr Hirth a fondé la congrégation des Benebikira en 1913; la première profession religieuse intervient en 1919; la première supérieure générale des Benebikira, Mama Tereza, est élue le 12 janvier 1953. Et puis il y a eu une fondation tout à fait rwandaise, les Bizeramariya, fondée à Gisagara par l’abbé Raphaël Sekamonyo le 24 avril 1956. D’autres fondations — autochtones — ont eu lieu ces dernières années, certaines pour répondre aux appels d’une jeunesse qui veut se consacrer à Dieu sans avoir fait d’études (si ce n’est peut-être l’école primaire) et ne voulant pas en faire afin de servir les campagnes (pensons aux fondations de Mgr Blaise Forissier et Mgr Louis Gasore).

En parlant de personnel, il faut dire que ces dernières années, pas mal de congrégations religieuses internationales, masculines et féminines, ont élu domicile dans nos diocèses, au service de beaucoup d’œuvres diocésaines (et même du domaine de l’Etat); elles y ont trouvé un vivier de vocations, si bien qu’elles ont implanté une série de maisons de formation (29 pour religieuses et 19 pour religieux). La colline de Butare est appelée le petit Vatican à cause des nombreuses maisons de formation qui y ont élu domicile.

Le domaine scolaire

Un domaine où on dit que l’Eglise est omniprésente, c’est dans les œuvres scolaires et médico-sociales. L’Eglise gère tout un réseau d’écoles depuis l’échelon primaire: écoles privées comme les séminaires, écoles subsidiées dont elle est la promotrice mais qui reçoivent les subsides de l’Etat, écoles publiques qui lui sont confiées par l’Etat comme le fameux Groupe scolaire de Butare. L’université nationale a été fondée par les Dominicains qui l’ont gérée jusqu’en 1974.

C’est l’Etat belge qui a confié à l’Eglise pratiquement tout l’enseignement, car il ne savait pas s’en occuper: la première convention scolaire entre l’Etat et les Eglises date de 1925. L’Eglise catholique elle-même s’évertuait à multiplier les fondations. Les écoles de moniteurs devenaient un besoin, précisément pour fournir les enseignants. Les congrégations des Frères Joséphites et des Sœurs Benebikira avaient en partie pour objectif de s’occuper de l’enseignement.

Face à la jeunesse désœuvrée des collines, l’Eglise se fait inventive et met sur pied des formations moins conventionnelles que l’école. Il y avait des «foyers sociaux» du temps de la colonisation; au temps de la République, l’Eglise crée des CERAI pour un enseignement «rural» en faveur de ceux qui ne peuvent continuer les études et doivent «se débrouiller» sur les collines.

La question scolaire n’a pas toujours été une partie de plaisir. Du temps de la colonisation déjà, certains réclamaient que les écoles soient libérées de l’influence des paroisses et des évêchés. Au temps de la République, on parlait de «bicéphalisme» intolérable. Aujourd’hui encore on encourage l’Etat rwandais à s’émanciper de l’«emprise» de l’Eglise sur l’enseignement.

Si l’Eglise tenait à être présente dans les écoles, c’est bien sûr pour accueillir la jeunesse. Tous ceux qui fréquentaient les écoles primaires tenues par l’Eglise, suivaient obligatoirement la catéchèse, et étaient baptisés au niveau de la cinquième année primaire (c’était librement, mais je n’en connais pas qui aient refusé). Au niveau du secondaire cependant, il n’était pas rare de rencontrer des étudiants non catholiques. Avec tous ceux qui sortaient des écoles, l’Eglise s’assurait une présence dans les rouages de la société.

Le domaine médico-social

Encore un domaine où l’Eglise est jugée omniprésente et omnipuissante. Contrairement aux écoles, le secteur médico-social n’avait pas comme première intention le prosélytisme, car l’Eglise mettait ses infrastructures et son personnel au service de la population, surtout la plus démunie et celle qui habitait les régions les plus oubliées.

L’Eglise gère des hôpitaux et des centres de santé où on donne les soins de santé (dispensaires), où on hospitalise les grands malades, où on veille sur les mamans qui vont accoucher, qui accouchent et/ou qui viennent d’accoucher (maternités). Les centres de santé sont aussi des centres nutritionnels pour enfants mal nourris et pour former les mamans à quelques notions de diététique de base. Il y a bien sûr le programme de planning familial: l’Eglise défend à ses centres de santé de favoriser la contraception à grande échelle, qui coûte énormément et qui exige un suivi médical qu’un pays sous-développé ne peut pas s’offrir, mais elle leur demande plutôt d’enseigner la parenté responsable (formation et information plutôt que simple distribution ou vente de gadgets que la population n’a pas les moyens d’acheter).

L’Eglise est engagée dans le secteur social par plusieurs œuvres que cet exposé ne va pas énumérer. Il y a des œuvres caritatives au bénéfice des plus démunis de la société: les personnes âgées, les aveugles, les handicapés... Il y a des centres de développement. Le diocèse de Butare, sous la houlette de Mgr Jean-Baptiste Gahamanyi, est celui qui s’est le plus engagé pour le développement, mais il n’y a aucun diocèse qui ne l’a pas fait. Pourquoi? Parce que l’Eglise universelle enseignait que l’homme n’est pas seulement l’âme à évangéliser, à sanctifier; l’homme, c’est aussi le corps, et la pastorale doit se préoccuper également du bien-être du corps. «Mens sana in corpore sano», disait-on souvent dans les discours officiels. L’encyclique «Populorum progressio» ajoutait que le développement est le nouveau nom de la paix. L’Eglise doit se soucier de l’homme intégral et de toute forme de promotion humaine. C’est pour cette raison que la paroisse est un «pôle de développement». Le risque est grand évidemment que l’Eglise, au lieu de présenter le visage d’une Eglise pauvre et servante, soit vue comme riche et puissante (un Etat dans l’Etat), alors qu’elle quémende à l’étranger ce qu’elle utilise pour ces œuvres.

 

DES LACUNES ET DES DEFIS

Le problème ethnique

Il n’y a pas d’exposé sur le Rwanda qui vaille, s’il ne parle pas du problème ethnique. A fortiori si l’exposé parle de l’action et de l’influence de l’Eglise, qui est accusée, comme je l’ai déjà dit, d’avoir sinon inventé, du moins aggravé le problème ethnique. J’aimerais dire que l’Eglise regrette les thèses de Mgr Classe qui, pour s’attirer la bienveillante attention de la cour royale et des chefs coutumiers, affirmait la supériorité du Tutsi. Mais il me plaît d’affirmer que fort heureusement, sur ce point précis, Classe n’avait pas le consentement de toute l’Eglise du Rwanda. Et ce que je ne comprends pas, c’est qu’on donne tort à Classe tout en donnant tort encore plus à ceux qui ont rejeté de façon très claire les positions de Classe. Il est injuste de juger l’Eglise et toute son action pendant les 100 ans de sa présence au Rwanda, uniquement à partir de prises de position malheureuses de quelques figures de l’Eglise.

Les thèses actuelles avec leurs accusations feraient penser que l’Eglise du Rwanda en 1994 était majoritairement hutu. Or les chiffres montrent le contraire: le clergé et les congrégations, en d’autres mots l’Eglise enseignante était à majorité tutsi.

De toutes les façons, le problème ethnique reste un grand défi pour l’Eglise qui doit travailler à l’extirper en son sein d’abord, et dans la société rwandaise ensuite. Elle doit collaborer avec la société civile, avec les intellectuels, avec les dirigeants, avec toute personne qui veut réconcilier le peuple rwandais avec lui-même. Même si une certaine propagande continue à tout faire pour diaboliser l’Eglise, le peuple n’a jamais perdu sa confiance en elle: elle reste incontournable sur le terrain de la réconciliation. On peut dire, d’ailleurs, que si le peuple rwandais veut se réconcilier avec lui-même, il doit se réconcilier avec l’Eglise et grâce à l’Eglise. L’Eglise du Rwanda n’est pas un corps étranger dans la société rwandaise, ce n’est plus uniquement une poignée de missionnaires expatriés. L’Eglise du Rwanda, ce sont des Rwandais authentiques. La proportion de catholiques dans la population fait que ce serait une erreur grossière et fatale de chercher à les écarter dans cette tâche de réconciliation et de reconstruction nationales. Eux-mêmes ont initié, lors de la préparation au jubilé, une forte sensibilisation lors de synodes sur la réconciliation.

Le Rwandais chrétien, surtout le prêtre, le religieux et la religieuse, a des liens de sang avec les personnes de son ethnie, mais le lien qu’il a avec le Christ et ceux qui sont du Christ, passe avant la parenté. Dans le Christ, nous sommes tous frères.

L’autofinancement

Dans le domaine des finances de notre Eglise du Rwanda, les missionnaires nous ont donné la mauvaise habitude de tout attendre de l’Occident; ils ne nous ont pas appris à nous prendre en charge, malgré l’institution du denier du culte déjà en 1928. Il est compréhensible qu’il faille tendre la main pour la gestion des écoles et des hôpitaux ou pour la construction de nouvelles églises, ou pour les bourses d’études, mais il n’est pas du tout normal d’attendre la manne de l’Europe pour l’entretien des paroisses et des ouvriers apostoliques, donc pour les budgets ordinaires et les dépenses récurrentes. Celles-ci montrent que notre Eglise vit au-dessus de ses moyens.

En fait, l’autofinancement n’est pas une question de sous. C’est une question de pastorale. Mon expérience comme ancien vicaire général du diocèse de Butare m’a affermi dans cette conviction (j’avais commencé un travail de sensibilisation en disant qu’il n’est plus permis de «guteta ubumena ifu»: vivre en dispendieux inconscients). Chaque fois qu’un curé acceptait de mettre sur pied un conseil financier dans sa paroisse (en toute transparence dans ses comptes), les paroissiens acceptaient à leur tour de contribuer, avec leur peu de moyens, à payer certaines activités paroissiales. Cela limitait d’ailleurs les dépenses du curé, comme les déplacements avec le véhicule de la paroisse. Le meilleur fruit de cette transparence des prêtres et de cette responsabilisation des laïcs, c’était un engagement important de ces derniers dans les activités paroissiales; c’était donc une prise en charge au niveau local de l’Eglise particulière.

De gré ou de force, les paroisses devront s’autofinancer, car l’Europe ne continuera pas à envoyer des virements bancaires: les jeunes générations perdent de plus en plus le goût de soutenir «la mission». Il est normal que l’Eglise se prenne en charge.

Le laïcat

L’Eglise du Rwanda a commencé son activité en s’appuyant sur les laïcs dont il faut reconnaître les mérites: les catéchistes et les «bakuru b’inama» (responsables des communautés de collines).

Le concile Vatican II a rendu aux laïcs leurs droits, à savoir qu’ils peuvent, de par leur baptême, être responsables dans leur Eglise. Il y a aussi le fait que les prêtres se font de plus en plus rares et de plus en plus vieux: ce phénomène n’épargne pas le Rwanda, même si les séminaires y sont pleins à craquer. Mais ce n’est pas parce qu’on est acculé par le manque de prêtres qu’on a rendu aux laïcs leurs droits et leurs devoirs,.

Il importe de former les laïcs à remplir leur rôle dans l’Eglise de Dieu. Les évêques avaient une commission ad hoc (le CEAL), mais elle n’a pas fait grand chose. Et pourtant il y a une grosse demande: de la part des anciens séminaristes, des catéchistes, des bakuru b’inama, des membres de l’Action catholique…, des autres laïcs aussi. Et surtout du renouveau charismatique. L’Eglise du Rwanda pourrait mettre à profit l’ICA, mais on constate que d’une part, ce sont plutôt les diocèses du Burundi et du Kivu qui y envoient des étudiants plus régulièrement et massivement que ceux du Rwanda, et d’autre part, qu’il y a plus de religieuses que de laïcs.

Pour responsabiliser les laïcs, il faut les former. Certaines fausses vocations sacerdotales et religieuses trouveraient ainsi leur voie. Cette formation ne concerne pas seulement les intellectuels: il faut penser aux gens des collines également.

L’inculturation

Il fut une époque où l’Eglise voulait déraciner la religion traditionnelle (briser les «intango» de Lyangombe, piétiner tout objet et signe des «vaines observances»). Cette époque est révolue: la religion traditionnelle offre au christianisme ses pierres d’attente.

La Parole de Dieu a besoin de s’incarner dans la culture rwandaise de sorte que le Rwandais chrétien pense, prie et agisse en Rwandais et en chrétien. Nous sommes une Eglise catholique romaine, mais elle est d’abord l’Eglise du Christ établie au Rwanda.

Il est temps que la théologie, la catéchèse et la liturgie soient spécifiquement rwandaises, dans la fidélité à l’Eglise universelle bien entendu. Il ne s’agit pas là d’avoir de l’imagination, ce serait faire de la théologie en chambre. Il s’agit de se laisser saisir par l’Esprit du Seigneur qui inspirera comment exprimer la foi en Jésus-Christ selon le génie de notre culture. Pourquoi ne ferait-on pas les cours (de théologie) en kinyarwanda au grand séminaire, dans les maisons de formation religieuse et dans les écoles de catéchistes, puisque nous avons l’avantage inestimable de parler la même langue dans tout le pays?

Le peuple de Dieu au Rwanda a déjà fait des pas appréciables sur ce chemin de l’inculturation, surtout les groupes issus du renouveau charismatique et de Kibeho (lieu supposé d’apparitions): on chante et on danse pendant la liturgie, mais cela reste un peu du «cosmétique». La hiérarchie a imprimé un mouvement dans le sens de l’inculturation, surtout depuis l’édition intégrale de la Bible en kinyarwanda. Mais cela ne suffit pas.

Les droits de l’homme: une Eglise prophétique

On a reproché à l’Eglise du Rwanda son silence. C’est vrai en partie. Il y a quand même une masse impressionnante de messages qui sont mal connus, mal connus surtout de ceux qui critiquent l’Eglise parce qu’ils ne la fréquentent pas, parce qu’ils ne l’écoutent pas ou parce que c’est souvent le bruit des armes qui se fait entendre.

L’Eglise doit changer sa façon de parler. Elle doit apprendre les gestes prophétiques et ne pas parler seulement ex cathedra ou dans les lettres pastorales. Et il faut que les fidèles sentent, sans en douter, que tous les pasteurs ont le même langage, la même audace.

Un terrain sur lequel l’Eglise doit défendre sa place, c’est le terrain des droits de l’homme. C’est là que se font les nouvelles croisades. Il ne suffit pas de nommer une commission «Justice et paix». Il ne faut pas qu’un André Sibomana soit seul comme un sniper isolé qui disparaît sans qu’un autre prenne la relève. Même un évêque n’a pas le droit de parler seul. L’Eglise du Rwanda doit être prophétique au service de la justice et de la paix, elle doit avoir le courage d’être la voix des sans voix, elle doit avoir le courage de l’option préférentielle pour les pauvres. Elle doit être attentive aux appels du présent qui viennent du Rwanda profond. On l’accusera toujours de faire de la politique; même quand elle se tait, elle sera accusée de faire la politique du silence. Autant faire résolument la politique des droits fondamentaux de la personne humaine, la politique de la justice, de la paix, de l’unité. Elle doit apprendre à s’engager avec les laïcs, qui sont là sur leur terrain propre.

Un outil majeur est à sa disposition et n’attend qu’à lui prêter ses services: les mass media. Côté Eglise, ils sont bien mal exploités, alors que l’Eglise a quelques publications comme Dialogue et Kinyamateka. Clergé et laïcs engagés, nous devons nous efforcer à la réflexion et oser prendre la parole.

Une Eglise missionnaire

L’autre reproche qu’on a fait à notre Eglise du Rwanda, c’est qu’elle n’est pas missionnaire. On l’a dit quand Sekou Touré a chassé les missionnaires de la Guinée Conakry, on l’a répété quand Bagaza a fait de même au Burundi: le Rwanda aurait pu dépêcher quelques abbés pour donner un coup de main à une Eglise-sœur. Même à l’intérieur, il n’est pas normal qu’un diocèse comme Gikongoro ne soit pas aidé en personnel par les diocèses voisins, qui n’ont peut-être pas un personnel pléthorique, mais qui sont beaucoup plus nantis. Il est curieux par ailleurs que ce soit Gikongoro qui manque cruellement de prêtres, alors qu’une de ses paroisses, Kibeho, enregistrait chaque année au moins une ordination sacerdotale dans les années 1970-1990.

Avec les événements de 1994, le Rwanda a essaimé aux quatre coins de la planète, mais ce n’était pas voulu. Avant cette diaspora, les seuls Rwandais missionnaires étaient des religieux de congrégations et instituts internationaux. Qui prête à Dieu, récoltera au centuple: l’Eglise du Rwanda doit apprendre à semer gratuitement en dehors de ses frontières. Une Eglise est missionnaire ou n’est pas.

L’évangélisation en profondeur

Le génocide a prouvé que le christianisme au Rwanda est encore sociologique, encore superficiel; l’évangélisation en profondeur est encore à faire, mais cela ne veut pas dire que l’Eglise a échoué en prêchant l’amour et la fraternité, la tolérance et la convivialité. Cela veut dire plutôt qu’un long chemin reste à faire.

L’Eglise a occupé le terrain, elle a implanté ses structures et ses institutions, mais dorénavant, elle doit travailler à consolider le message proclamé et accueilli. Il s’agit d’évangéliser les consciences, d’affermir une culture de l’amour. Le chemin est long, puisque même en terre européenne, où l’Evangile est prêché depuis 2.000 ans, le pape Jean-Paul II lance encore la seconde évangélisation.

Là, évidemment, nous nous heurtons à l’exigence d’une planification et d’une pastorale d’ensemble bien pensées, bien élaborées, ce qui n’a pas été la force de notre Eglise jusqu’à présent. C’est surtout là que nos yeux se tournent vers l’épiscopat désormais renouvelé et rajeuni.

Conclusion: cum parvulum sinapis

C’est par ces mots que la constitution apostolique du 10 novembre 1959 par le pape Jean XXIII érigeait la hiérarchie au Congo belge et au Rwanda-Burundi. Oui, le grain de sénevé a déjà de la hauteur, il a déjà donné quelques fruits, mais il a besoin d’être encore affermi; on doit encore émonder, bêcher autour et ajouter de l’engrais. Par la grâce de Dieu, la moisson promet. Duc in altum… Ad multos annos.


(1) «Parce que blessées intérieurement, des personnes ont cru qu’il était de leur devoir de protester contre la célébration du jubilé: «Le moment des réjouissances n’est pas encore venu», disent-elles! Leur erreur est d’entendre seulement le jubilé comme un temps de fête, alors qu’il est surtout une occasion de repentance, de pardon et de réconciliation (Lv 25, 8-22). Il vient à propos pour nous aider à assumer notre histoire, pourvu que nous nous reconnaissions malades, et que nous nous tournions vers Jésus pour être guéris par son amour». Message de Mgr Kizito Bahujimihigo à l’occasion de la Noël et de l’Année nouvelle 2000 in Notre Lien nº 3 (janvie-décembre 1999), p. 12. — (2) Titre d’une cassette vidéo éditée en 1990 en préparation à la visite du pape au Rwanda.



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