ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 392 - 15/06/2000

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Guinée-Bissau
Sur une nouvelle orbite

POLITIQUE


De nouveaux dirigeants pour les réformes promises par M. Kumba Yala

En moins de trois mois, le pays s’est doté de nouveaux dirigeants, appelés à conduire des “réformes profondes” annoncées par le nouveau président de la République, M. Kumba Yala. Cette mutation s’exprime par une nouvelle Assemblée nationale, par l’accession à la magistrature suprême d’un leader sorti des rangs de l’opposition, et par un gouvernement constitué d’intellectuels qui, pour la plupart, n’ont pratiquement jamais exercé de hautes responsabilités.

Les législatives du 28 novembre dernier ont porté à la Chambre des représentants de huit partis politiques, contre cinq dans la précédente législature. Mais la nouveauté se situe surtout dans le fait que le PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert), qui a dominé et dirigé le pays depuis la proclamation de l’Etat le 24 septembre 1973, se retrouve en troisième position, derrière le PRS (Parti de la rénovation sociale) du président Yala qui occupe 38 sièges, et la RGB (Résistance de la Guinée-Bissau, plus familièrement appelée Mouvement Bafata — «la rivière est pleine et il faut la traverser», en langue mandingue), avec 29 sièges. Trois autres partis comptent chacun trois députés et deux autres, un.

Autre fait marquant: aucune formation politique ne détient la majorité à la Chambre, même simple, contrairement à la législature précédente, largement contrôlée par le PAIGC . Aussi, pour porter à la présidence de l’Assemblée un des siens, M. Jorge Malu, le PRS a dû bénéficier des voix du PAIGC , le Mouvement Bafata briguant ce même poste. Paradoxalement, ce même PAIGC a choisi de se tenir à l’écart du gouvernement, «pour mieux le critiquer chaque fois qu’il le faut», nous a révélé une source sûre.

Un gouvernement élargi

C’est avec des représentants de cinq autres partis que le PRS a formé, le 19 février dernier, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Caetano N’Tchama. Ce gouvernement compte quatorze ministres et neuf secrétaires d’Etat.

Le Premier ministre M. Caetano N’Tchama (45 ans et père de quatre enfants) est juriste. Licencié en droit de l’université de Lisbonne, il a ensuite poursuivi des études de magistrature au Centre d’études judiciaires. Nommé juge au tribunal régional de Bissau, il fit partie des observateurs lors d’élections présidentielles à São Tomé et Principe. Il a occupé les fonctions d’adjoint à l’Inspecteur supérieur chargé de la lutte contre la corruption en Guinée Bissau, avant d’être désigné comme ministre de l’Administration interne dans le gouvernement d’union nationale de février 99.

Bien qu’apparaissant comme un “délégué” de la junte militaire dans le gouvernement actuel — avec le colonel Verissimo Correia Seabra, nº 2 de cette junte, et actuellement ministre de la Défense nationale —, Caetano N’Tchama est plutôt perçu comme un élément du PRS du président Kumba Yala, tant ses accointances avec ce dernier sont flagrantes.

Une mentalité de tolérance

Il faut convenir que l’entretien de liens familiers entre gens de formations politiques (et de convictions philosophiques, idéologiques et religieuses) différentes est courant en Guinée-Bissau. Les félicitations publiques de Malam Bacai Sanha, candidat malheureux du PAIGC soutenu par la junte, à Kumba Yala, après la victoire de celui-ci au second tour de l’élection présidentielle du 16 janvier dernier, procèdent de cet état d’esprit de tolérance qui prévaut, généralement, au sein de la société bissau-guinéenne.

En septembre 1996, alors qu’il se démenait en pleine opposition, M. Kumba Yala nous déclarait: «Nino Vieira (alors président de la République) est mon ami; mais quand il y a campagne électorale et élections, il devient mon adversaire». A l’issue de son élection récente, Nino lui a fait parvenir du Portugal, où il se trouve en exil, un télégramme de félicitations.

Kumba Yala est aussi l’ami de Manuel Saturnino Da Costa, ancien Premier ministre. Lorsque celui-ci assumait encore cette charge (en même temps que celle de secrétaire général du PAIGC ), l’idée était répandue que «c’est le soutien de Kumba qui l’empêchait de perdre ce poste». Dans notre entretien de 96, devant le domicile de Manuel Saturnino et en présence de l’épouse de ce dernier, il nous révélait que c’était ce couple qui avait effectué les démarches pour son mariage; mais il ajoutait: «sur le terrain politique, je suis obligé de combattre Manuel».

Cette mentalité ouverte – malgré les atrocités commises à un moment ou un autre de l’histoire relativement récente de ce pays – a inspiré la devise du parti de Kumba Yala: “Liberté-Transparence-Justice”.

Au lendemain des présidentielles de 1994, qu’il soutenait mordicus avoir gagnées, bien que les résultats officiels aient proclamé Nino vainqueur au second tour, ses partisans préconisaient l’organisation de manifestations qui pouvaient déboucher sur des actes de violences. Mais Kumba, contrairement à la majorité des membres du directoire de son parti, prêchait l’apaisement et la paix: «Je leur avais demandé, nous disait-il, d’accepter les résultats qu’on nous imposait, pour éviter des troubles dont le peuple serait la seule victime. J’ai été houspillé par les dirigeants de mon parti. Résultat: quelques semaines plus tard, ils sont venus me dire: “vous nous avez sauvés en nous évitant une guerre civile” et ils m’ont présenté leurs excuses».

Un président démocrate

Ce personnage donne parfois une impression un peu farfelue, qu’on impute généralement à sa formation de philosophe. Mais on oublie souvent qu’il a aussi étudié le droit, la science politique et... la théologie.

Démocrate au plus haut point, il en a été même la victime, lorsqu’en 1989 il fut expulsé du PAIGC (dont il était le directeur de l’école de formation depuis 1983), pour avoir réclamé davantage de démocratie. Aujourd’hui encore, il se propose d’oeuvrer à la consolidation de la démocratie en Guinée-Bissau, en déclarant dans son discours d’investiture du 17 février dernier: «Il faut cultiver la tolérance et accepter la diversité». Et d’annoncer que «tous les Bissau-Guinéens auront leur place dans la nouvelle société en construction».

C’est à une véritable plaidoirie en faveur de l’unité nationale qu’il s’est livré, autour de «réformes profondes à mener dans les mécanismes de fonctionnement du pays». Sans entrer dans les détails de ces réformes, il en a tout de même donné un avant-goût, en appelant «au respect de l’autorité de l’Etat et des droits de l’homme, à la lutte contre l’injustice, la pauvreté, l’exclusion sociale, la corruption et l’impunité».

Ces sept piliers peuvent constituer valablement l’ossature d’un programme de renouveau pour la société bissau-guinéenne, gangrenée par le régime naguère en place, par une violation constante des droits humains et l’accaparement des richesses nationales par une minorité, avec les multiples conséquences sociales, économiques, culturelles, morales et spirituelles.

C’est cette lourde tâche qui attend le nouveau régime, qui a ainsi la redoutable mission de faire renaître de “ses cendres” ce pays, riche en potentialités, et sur lequel beaucoup d’espoirs avaient été placés lorsque, il y a un peu plus d’un quart de siècle, il sortait d’une guerre victorieuse de libération de la domination du Portugal.


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