ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 392 - 15/06/2000

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Niger - Le problème de la pauvreté

ECONOMIE


Devant l’état lamentable de la nation, un sursaut de conscience
et une nouvelle politique des institutions de Bretton Woods seront nécessaires

Il est aisé de lire dans la presse mondiale de gros titres sur «Les efforts de développement du tiers-monde» ou «La croissance de telle économie de l’Afrique», si ce n’est «Les remèdes miraculeux» des conditions imposées unilatéralement par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI ) dans leur effort d’aider nos pays à lutter contre le sous-développement. Mais l’Africain, vivant en Afrique et connaissant les dures réalités quotidiennes du moment, en ressentira une profonde frustration. Car tous ces chiffres qu’on lance à la face du monde, tous ces grandioses projets ne sont en vérité que mensonges et balivernes!

Imaginons qu’un de ces technocrates affairés dans les dossiers du tiers-monde vienne dans l’un de nos pays et visite les dures réalités de ces régions. Que constaterait-il par exemple dans un pays comme le Niger, en prise à une situation socio-économique des plus précaires?

Les indicateurs du développement

Le Niger est un immense territoire de 1.287.000 Km2, dont les 3/4 sont malheureusement désertiques. Seuls 12% des terres sont cultivables. La densité moyenne est de 7,3 habitants au km2. Cette densité descend à 0,3 habitants/km2 dans une région comme le département d’Agadez qui s’étend sur plus de 600.000 km2, dans le nord. Le pays est enclavé, le port le plus proche étant à plus de 1.000 km de Niamey, la capitale. La population, estimée à 10 millions d’habitants, a un taux de croissance de près de 3,2%, soit l’un des plus élevés du monde. La majeure partie de la population est jeune: 45% ont moins de 15 ans.

En termes de développement humain, le Niger, classé parmi les pays les moins avancés de la planète, fait partie des zones déclarées à déficit vivrier par la FAO. Près de 80% de la population vivent en milieu rural. On estime à 63% la population pauvre de ce pays. D’après une évaluation de la Banque mondiale datant de juin 1996, «63% de la population (6,5 millions d’habitants) sont pauvres, dont 34% (3,8 millions) extrêmement pauvres. En raison du poids de la population rurale dans la population totale, 86% des pauvres sont des ruraux. Parmi cette population rurale, 66% sont pauvres et 36% extrêmement pauvres. Dans les zones urbaines, 52% sont pauvres et 26% extrêmement pauvres...». Dans certains quartiers périphériques de la capitale, on peut estimer le revenu mensuel d’une famille de 10 personnes à… 10.000 F CFA (100 FF)!!

Au plan scolaire, la situation n’est guère reluisante. Il est communément admis que pour qu’un pays amorce un processus de développement, il lui faut atteindre la barre de 40% de scolarisation. Le Niger ne dépasse pas encore les 32% et espère atteindre les 35% d’ici la fin de l’an 2000. Ce taux est l’un des plus faibles de la région ouest-africaine. D’autre part, plus de 80% de la population sont analphabètes, ce qui constitue un frein certain pour le progrès.

La santé ne se porte pas mieux. Les indicateurs sont nettement en deçà des normes fixées par l’OMS : «Un médecin pour 62.606 habitants en 1995, et un centre de santé maternelle et infantile pour 28.000 enfants. Seuls 33% des femmes bénéficient de soins prénatals, 14% seulement accouchent avec l’assistance d’un professionnel de la santé, alors que la couverture vaccinale, extrêmement faible, ne toucherait que 14,4% des enfants âgés de 1 à 2 ans».

Ces quelques indicateurs donnent une idée de la situation. Cette pauvreté généralisée entraîne naturellement ça et là des remous sociaux, de multiples revendications de la jeunesse désorientée. Depuis 1990, les grèves perlées de la fonction publique et les marches des étudiants n’ont jamais cessé. A l’heure où nous écrivons ces lignes, les fonctionnaires accusent un passif net de 12 mois d’arriérés de salaires! Cela a eu pour conséquence majeure une profonde déchirure du tissu social et du sens de la cohésion sociale basée sur une solidarité agissante. Un grand nombre d’étudiants nigériens n’ont pas reçu leurs bourses depuis plus de 30 mois!

Où en sont les causes?

Qui en est coupable? D’où peut provenir cette grande paupérisation des différentes couches sociales de ce pays? On peut sans doute dénoncer les différentes gestions chaotiques qu’a connues le Niger. L’instabilité chronique qui a régné dans le pays durant ces vingt dernières années a été un handicap majeur dans l’évolution socio-économique. De 1974 à 1999, on peut compter entre 7 et 8 coups d’Etat réussis ou avortés, soit en moyenne un bouleversement socio-politique tous les deux ou trois ans! Il faut oser avouer que la parenthèse de la Conférence nationale souveraine, survenue en 1991, n’a guère réussi à instaurer le nouveau climat tant attendu du peuple. Ce fut au contraire l’ouverture d’une autre boîte de Pandore qui fit déferler sur le pays d’autres maux comme l’ethnicisme, le favoritisme, l’exclusion, l’esprit clanique et partisan, et parfois, hélas, la promotion de célèbres médiocrités à de hauts postes de responsabilité… Oui, la “malgouvernance” et le détournement de deniers publics dans une atmosphère délétère de corruption ont gravement compromis l’essor socio-économique du Niger.

Cependant, il convient d’être juste et lucide, car là n’est pas la seule cause du désarroi du peuple nigérien. Nul n’ignore que, depuis quelques années, nos pays subissent le contrepoids fatal d’un diktat insupportable et irrationnel imposé par les institutions de Bretton Woods. A l’instar d’autres pays pauvres du monde, le Niger a été engagé dans ce processus qui est en vérité un piège sans fin. Depuis bientôt dix ans, on a déversé de grandes théories macro-économiques sur la nécessité d’un ajustement structurel, le nouveau credo qui constitue le nec plus ultra du FMI et de la Banque mondiale. Mais la réalité reste toujours la même, le peuple s’engageant dans un processus de croissance… à reculons!

Pour le commun des Nigériens, ce discours se réduit hélas à cette triste interprétation, telle que leur vie la traduit: vous devrez tout faire pour honorer vos engagements, en particulier le paiement de votre dette extérieure qui est déjà assez lourde pour un pays comme le vôtre! C’est une de nos conditions sine qua non pour pouvoir bénéficier d’autres facilités à l’avenir… Mais tout cela ne suffit pas. Car pour y arriver, vous n’avez pas d’autres choix que de créer de vastes et intermittents mouvements de mécontentement populaire. Commencez par diminuer de manière drastique les salaires trop élevés des fonctionnaires en arrêtant net tout recrutement, même si, il faut l’avouer, votre pays ne dispose pas encore de cadres suffisants dans tous les domaines… Au lieu par exemple de recruter des enseignants formés et aptes à l’enseignement primaire et secondaire, prenez plutôt des volontaires de l’éducation qui auront droit à un pécule mensuel pour le même travail effectué par un professionnel! Certes la qualité de l’éducation en pâtira, mais, enfin, c’est pour nous une mesure économique incontournable… Ajoutez à cette liste la privatisation sans délai de toutes vos grandes entreprises, ce qui suppose le renvoi d’un tiers ou plus du personnel encombrant sa bonne marche. Ainsi seulement pourrez-vous faire face au remboursement de votre dette extérieure…

Voilà, sommairement, comment le citoyen comprend en pratique le langage ésotérique de la nouvelle économie du FMI. Personne ne pourra le convaincre qu’il s’agit de mesures salutaires pour le développement du pays. Tout simplement parce qu’un pays comme le Niger vit littéralement dans un état chronique de non-économie, au sens où cela s’entend d’un système de régulation et d’autorégulation d’une économie viable, selon des règles et critères bien définis. Et cela vaut en réalité pour toutes les économies exsangues de l’Afrique subsaharienne. C’est donc à une économie sous perfusion et quasi inexistante qu’on continue à demander davantage de sacrifices…

Y a-t-il des remèdes?

Mais alors, que faudra-t-il faire? Est-il possible de se retirer et de vivre en autarcie? Quelle autarcie pour un pays dépendant et pauvre?

Dans notre pays, il est coutume de tout ramener exclusivement au politique. En effet, les Nigériens s’extasient devant les «élections libres et démocratiques de décembre 99», comme devant une panacée, un sésame qui ouvrira tous les paradis du monde. On en fait légitimement un grand motif de satisfaction. Cependant, il faut bien reconnaître que des “élections libres, honnêtes et démocratiques” ne suffisent pas pour relever une économie.

Il faudra une prise de conscience sérieuse des Nigériens eux-mêmes, un sursaut de conscience collectif devant l’état lamentable de la nation. Voulons-nous oui ou non adopter, aujourd’hui et demain, une volonté résolue de nous en sortir? Sommes-nous prêts à reconnaître notre sort et à relever les défis majeurs dressés devant nous?

Dans un monde où l’on place la globalisation au rang d’une nouvelle divinité, le Niger, comme les autres pays confrontés aux mêmes défis, ne pourra manifestement pas s’en sortir tout seul. Nous pensons que les relations internationales détiennent en grande partie la clef du mystère. La mondialisation dont on parle tant de nos jours, ne peut être vraie que dans son sens complet: le destin des nations pauvres est étroitement lié à celui des nations riches, car le monde est un, et tout déséquilibre d’un côté de la planète provoque fatalement un bouleversement dans l’ensemble. Aider les pays pauvres à émerger, c’est s’aider soi-même et ouvrir au monde de nouvelles espérances.

Concrètement, cela veut dire un changement radical et une tout autre orientation des institutions financières internationales. L’idée d’un plan Marshall pour l’Afrique est une perspective heureuse à explorer, car les ruines provoquées par la misère sont aisément comparables à celles provoquées par les deux guerres mondiales. En effet, les Etats africains, pris individuellement, ne pourront pas opérer un quelconque décollage économique dans leur situation actuelle. La pauvreté et la misère y ont atteint un degré inimaginable sous d’autres cieux, et un tel état de délabrement n’est pas de nature à créer les conditions minimales d’un effort collectif vers le progrès.

Le Niger se trouve parmi ce lot de pays qui semblent être abandonnés sur l’échiquier mondial. Et pourtant, serait-on tenté de dire, que de capacités et de possibilités immenses, que de rêves brisés, que d’ambitions tuées dans l’œuf, que de programmes non accomplis, que de vastes chantiers non exploités. Le Niger attend du monde riche une réforme de ses conditions pour se lancer dans un vrai programme de développement.


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