ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 393 - 01/07/2000

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Congo RDC
Kabila, trois ans au pouvoir

POLITIQUE

Les trois ans de Kabila sur toile de fond d’une revanche posthume de Mobutu

«Je vendrai ma tête très cher», avait coutume de répéter Joseph Désiré Mobutu quand les questions des journalistes sur son éventuel successeur l’exaspéraient. Le «Vieux Léopard», comme on aimait l’appeler dans ce qui était encore le Zaïre, n’acceptait visiblement pas la moindre perspective de laisser son fauteuil à quelqu’un d’autre. Souhaitait-il, après lui, voir le déluge rayer son Zaïre de la carte du monde? Les Congolais se rappellent encore d’une autre phrase de Mobutu, faisant allusion à ses anciens protégés rwandais, au plus fort de la rébellion de Kabila: «J’ai été poignardé dans le dos. Ils feront de vous ce que vous faites de moi aujourd’hui». Le maréchal finissant, rongé par son cancer, parlait aussi bien des Tutsi rwandais qu’il avait, pendant des années, couvés et soignés généralement contre la volonté populaire, que des Américains accusés par Kinshasa de commanditer la fameuse «rébellion des Banyamulenge».

Le 16 mai 1997, la mort dans l’âme, il quittait Kinshasa pour un douloureux voyage dont il ne reviendrait plus. Le lendemain, les troupes de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) entraient dans Kinshasa selon un scénario que Bill Richardson, l’ambassadeur américain auprès des Nations unies, avait décrit et souhaité. Un «soft landing». Ainsi commençait l’ère Kabila dans l’euphorie du départ du dictateur. Trois années se sont écoulées depuis. Les ex-Zaïrois, aujourd’hui redevenus Congolais, font le bilan du régime des vainqueurs de mai 97 et s’interrogent sur le sens véritable des petites menaces-prédictions de Mobutu.

Ni gâteau ni bougies

Le 17 mai 2000, l’anniversaire a été fêté sans fastes. Certes, le traditionnel défilé militaire a eu lieu devant le président de la République, mais cela ne pouvait empêcher les Congolais de passer au crible la gestion du pouvoir Kabila. Si le défilé a duré cinq heures, on a surtout remarqué, en guise de forces vives, les différentes articulations du Comité du pouvoir populaire (CPP), une structure mi-mouvement révolutionnaire, mi-formation politique de création Kabila. Les médias officiels avaient pris les devants en avançant les raisons majeures de la mauvaise conjoncture économique et en égrenant les rares points à l’actif du régime.

Difficile, pourtant, de faire oublier les promesses des premiers jours. «Nous allons chasser le chômage» avait très fièrement déclaré, urbi et orbi, une main dans la poche, Laurent Désiré Kabila, le nouveau chef de l’Etat encore inconnu du public kinois. Les Congolais se rappellent encore les cérémonies de son investiture dans un stade des Martyrs très bruyant, partagé entre les curieux, qui venaient voir ce maquisard qu’on ne connaissait que de nom, et les sceptiques, ou carrément les nostalgiques du mobutisme, venus pour le défier et protester contre la présence des étrangers rwandais et ougandais dans l’armée nationale. Il y avait, ce jour-là, autour du président Kabila, les chefs d’Etat des pays qui l’avaient aidé à chasser Mobutu, l’Angolais Eduardo dos Santos et le Zambien Frederic Chiluba, mais aussi le Burundais Pierre Buyoya, le Rwandais Pasteur Bizimungu et l’Ougandais Yoweri Museveni, tous trois en guerre aujourd’hui contre leur ancien allié.

Ce discours, fortement applaudi, résonne encore dans les oreilles de bon nombre de Congolais. Mais, au lieu d’être chassé, le chômage s’est au contraire fortement installé. La Fonction publique, comme les entreprises publiques et privées, n’ont fait que dégraisser leurs effectifs. La monnaie nationale, le franc congolais, est passé de 1,5 pour un dollar à près de 50 FC aujourd’hui, au taux parallèle.

La guerre ne peut pas tout expliquer

Cette situation ne met évidemment pas à l’aise le gouvernement Kabila qui se réfugie derrière le paravent de la guerre pour expliquer ses échecs. «Alors que nous étions en pleine phase de reconstruction du pays, la guerre que nous imposent l’Ouganda et le Rwanda est venue anéantir tous les efforts», ne cesse de répéter le président, thèse adoptée par tous les membres du gouvernement face aux critiques de l’opposition et à la fronde sociale. «La guerre ne peut pas tout expliquer», s’insurge un fonctionnaire.

La guerre a effectivement ruiné l’économie congolaise et anéanti tous les plans gouvernementaux de redressement économique. Le plan triennal qui prévoyait des autoroutes à travers tout le pays n’a duré que le temps de sa conception. Les 38.000 km de routes asphaltées, promis à grands renforts de publicité, restent toujours coincés dans les tiroirs de l’Office des routes. Les “Amis du Congo”, qui avaient fait miroiter monts et merveilles à Bruxelles, sont restés particulièrement aphones. A la place, les Congolais ont hérité d’une nouvelle guerre parfaitement identique à la première. La rébellion, ou plutôt les différentes rébellions anti-Kabila occupent pratiquement la moitié du pays, le privant ainsi de toutes les ressources dont il a besoin pour financer sa reconstruction. La guerre a également coupé la capitale de ses riches provinces agricoles du Kivu, interrompant l’approvisionnement de Kinshasa en produits vivriers. Le trafic fluvial entre Kinshasa et Kisangani est rendu inopérant par la guerre. La ville de Kinshasa, qui compte près de 6 millions d’habitants, crie famine. Ce qui ne s’était pas vu auparavant. Le gouvernement Kabila ne peut plus compter que sur la province diamantifère du Kasaï oriental pour trouver de quoi gérer le pays. Ou plutôt de quoi financer sa guerre contre les anciens alliés. Le cercle se referme.

Sur le plan politique, le régime Kabila n’aura pas été un modèle en matière de bonne gouvernance. La rupture d’alliance avec les amis qui l’avaient soutenu dans sa guerre contre le maréchal Mobutu en est la preuve la plus palpable. En effet, moins de deux mois après son installation à Kinshasa, Laurent Désiré Kabila faisait déjà l’objet d’un complot rwando-ougandais visant son éviction du pouvoir. Le 17 mai 1998, alors qu’il attendait ses hôtes habituels pour fêter le premier anniversaire de son avènement et sceller un pacte de solidarité régional, l’Ougandais Yoweri Museveni et le Rwandais Paul Kagamé mettaient la dernière main au plan d’invasion de l’Est du pays, plan qui connaîtra sa mise en application le 2 août 1998. Les autres alliés, l’Ethiopie et l’Erythrée, venaient, de leur côté, de se déclarer une guerre fratricide atroce qui dure toujours. «Kabila aurait pu faire l’économie de cette guerre s’il avait su gérer ses relations de voisinage», estime Amisi Kilosho, journaliste. «Cette guerre est une conséquence d’engagements non tenus de Kabila avec les multinationales minières intervenues en sa faveur sur le parcours de sa guerre contre Mobutu».

Chose curieuse, tous les chefs d’Etats qui répondaient au profil de Washington comme étant la race des leaders modernes, sont empêtrés aujourd’hui dans des conflits de voisinage inextricables. L’Ethiopien Meles Zenawi veut la peau de son voisin érythréen, Isaias Afeworki. Plus près de nous, Yoweri Museveni et Paul Kagame n’ont jamais caché leurs intentions concernant Laurent Désiré Kabila. Enfin, chose encore plus incompréhensible, les troupes ougandaises et rwandaises se sont affrontées par trois fois à Kisangani, sur le territoire congolais, pendant que les deux pays massaient d’autres troupes le long de leur frontière commune. Madeleine Albright, la secrétaire d’Etat américain avait, non sans raison, qualifié la crise dans la région des Grands Lacs de «première guerre mondiale d’Afrique». Est-ce le prix auquel l’ex-président Mobutu a vendu sa tête?

Le front intérieur

La mauvaise gestion des relations de Kabila avec les voisins immédiats, anciens alliés dans la guerre contre Mobutu, s’est également fait remarquer sur le plan intérieur avec les partis politiques traditionnels.

Dès l’entrée de l’AFDL à Kinshasa, Kabila mit fin aux activités des partis politiques. Le leader charismatique de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), M. Etienne Tshisekedi, dont on attendait qu’il travaille avec les tombeurs du régime Mobutu, fut au contraire l’objet de harcèlements et de tracasseries de la part du nouveau pouvoir, au point même d’être arrêté et relégué dans son village d’origine au Kasaï oriental. Etienne Tshisekedi avait eu le tort de poser la question de la présence trop remarquée des soldats rwandais autour du président de la République: «Que ces étrangers nous présentent la facture de l’assistance qu’ils nous ont accordée, nous la paierons à condition qu’ils nous laissent gérer le pays entre Congolais». Par la suite, c’est curieusement Kabila lui-même qui chassera ses alliés rwandais et ougandais.

D’autres acteurs politiques ont également vu leurs activités réprimées durement. Il s’agit notamment d’Arthur Z’Ahidi Ngoma (des Forces du futur) et de Joseph Olengankoy (des Forces novatrices de l’union sacrée), qui se verront jetés en prison et conduits dans les quartiers de haute sécurité de Buluwo dans la province du Katanga. Jusqu’aujourd’hui, ces partis politiques traditionnels font de la résistance et refusent de se plier aux prescrits du décret présidentiel, leur demandant de solliciter un nouvel agrément en tant que formations politiques nouvellement créées.

Bon nombre d’analystes politiques congolais estiment que M. Kabila a tout intérêt à repenser sa politique de gestion du pays afin de gagner une plus grande adhésion populaire. Il a réussi à prolonger un état de grâce inexpliqué, mais rien n’est plus ingérable que les états d’âme de la population. A l’issue des travaux de la Consultation nationale initiés par les chefs des différentes confessions religieuses congolaises, début mars dernier, il a été recommandé au chef de l’Etat de remanier son équipe gouvernementale dans le sens d’une plus grande efficacité, l’équipe en place ayant été jugée incompétente. Le président de la République a, d’un revers de la main, rejeté ces recommandations. Si les trois premières années du régime Kabila ont été consacrées à l’apprentissage du gouvernement, il faut constater qu’aucune volonté d’évolution positive n’est encore perceptible.


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