ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 393 - 01/07/2000

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS



Kenya
Hostilité croissante 
à l’égard de la communauté asiatique


MINORITES

Médias et déclarations de leaders locaux témoignent d’une hostilité croissante

Vers la fin de l’an dernier, les hommes d’affaires asiatiques sont descendus dans les rues de Nairobi et de Mombasa pour protester contre l’insécurité dans ces deux villes. Ils se plaignaient en outre d’un ganstérisme croissant, délibéré et prémédité, contre les membres de la communauté asiatique, et ils accusaient la police de ne rien faire pour remédier à ces raids menés, souvent en plein jour, contre leurs entreprises. Des membres de leur communauté sont souvent attaqués sous les yeux d’un policier impassible, qui regarde ailleurs et laisse les voyous se débiner en toute impunité. L’assurance apparente avec laquelle ces attaques sont perpétrées porte à croire que la police est de mèche avec les criminels.

 

Quelques faits — Les manifestants protestaient aussi contre les chantages dont ils sont victimes. Les racketteurs visitent leurs maisons et leurs magasins, disant appartenir au Département de recherche criminelle et prétendent fouiller les locaux parce qu’ils ont été informés d’un trafic de drogue. Pour confirmer leurs dires, ils montrent des menottes, des cartes de police, des walkies-talkies. Tout en fouillant, ils font semblant de trouver des seringues et des produits ressemblant à de l’héroïne ou de la cocaïne qu’eux-mêmes y ont cachés et exigent de l’argent. Avant que la presse n’ait pu révéler la chose, le racket avait déjà fait de sérieux ravages dans les affaires des Asiatiques du quartier industriel de Nairobi, son central commercial, et le quartier de Ngara.

La veille de la manifestation, un commerçant notoire, M. Batu Shah, âgé de 60 ans, avait été abattu dans son magasin. Et, quelques heures après cette manifestation, des hommes armés, pas du tout gênés par les protestations, abattaient un autre Asiatique éminent qui rentrait chez lui avec sa femme, M. Zeherali Chaturbhai Popat, directeur de Brighton Limited et de Simba Colt Motors. Quelques mois plus tôt, son frère Abdulkarim Popat, magnat des voitures, avait fait la une de tous les journaux: il avait été spectaculairement délivré des mains de ses kidnappeurs, après d’éprouvantes épreuves.

Les spéculations vont bon train. Les membres de la communauté asiatique suivent avec attention le cours des événements, prêts à s’en aller si la situation le demandait. Si on ne fait rien pour y remédier, un grand nombre d’entre eux pourraient quitter le Kenya, comme cela s’est passé en Ouganda, dans les années 1970, quand Idi Amin a expulsé les Asiatiques. Le problème de l’insécurité a de grandes répercussions sur l’économie du pays, au moment où le gouvernement s’efforce de restructurer une administration pléthorique et d’améliorer l’économie. L’insécurité généralisée, plus que toute autre chose, a causé une forte baisse du tourisme, un des principaux moyens d’acquérir des devises étrangères.

 

La question asiatique — La “question asiatique”, comme on l’appelle depuis des années, a toujours été un problème très délicat en Afrique de l’Est, et en particulier au Kenya. De loin en minorité (le recensement de 1998 en comptait presque 500.000), les Asiatiques ont le contrôle d’un secteur de l’économie du Kenya, fort disproportionné à leur nombre. Bien sûr, ce sont de grands travailleurs, ingénieux, imaginatifs et habiles, mais leur impact sur le plan économique, allant de pair avec leur isolement, non seulement suscite la jalousie mais les rend aussi particulièrement vulnérables. Ce qui ne facilite pas les choses, c’est que les Asiatiques les plus en vue ont collaboré avec des politiciens locaux dans le pillage à grande échelle des coffres nationaux.

C’est regrettable, car ils sont dans le pays depuis longtemps, et la plupart ont un vrai esprit d’entreprise qui assure de grands succès économiques. Cela s’est transmis d’une génération à l’autre, mettant l’accent sur l’éducation et le travail assidu.

 

D’où vient leur inquiétude? — On trouve la réponse dans la politique suivie par l’Etat ces trois dernières décennies. Sous le premier président du Kenya, feu Jomo Kenyatta, le gouvernement s’attela surtout à rectifier les anomalies de l’ère coloniale, soutenant les entreprises indigènes aux dépens des Blancs et des Asiatiques, favorisés par le régime colonial. Ainsi, des Africains, surtout des Kikuyu, du groupe ethnique de Kenyatta, prirent la tête de nombreux secteurs de l’économie. Certains firent de rapides progrès dans le secteur industriel et bancaire, et on crut que, sous peu, une classe capitaliste authentiquement kényane allait s’imposer. Mais c’était un optimisme mal placé, et les événements le prouvèrent. Le successeur de Kenyatta, Daniel arap Moi, retira la protection de l’Etat aux hommes d’affaires africains, et favorisa les Asiatiques, plus malléables, catapultant certains à une célébrité instantanée. On chuchotait toutefois que, derrière eux, se cachait une nouvelle faction de capitalistes locaux qui prenaient le pouvoir.

Alors que les firmes locales africaines s’effondraient, les Asiatiques se lancèrent dans l’industrie, le commerce et la finance. Parmi les plus notables, on cite les groupes d’investissement Sameer, propriété de Naushad Merali, et Dolphin, appartenant à Ketan Somaia. Les investissements de Merali comprennent: Firestone East Africa, Commercial Bank of Africa, First American Bank, Sameer Industrial Park, Ryce Motor, Eveready Batteries et toute une foule de firmes à succès. Le groupe de Somaia comprend notamment: Marshalls East Africa, Tourist Paradise Investment, United Touring Company et Delphis Bank.

Ces relations afro-asiatiques, marquées de ressentiments et de disharmonie, ne sont pas propres au Kenya. La question reste: que peut-on faire pour que la contribution des Asiatiques puisse profiter aux deux communautés? Est-il sensé de vouloir bannir un groupe aussi dynamique et productif économiquement parlant, comme l’ont préconisé avec force certains politiciens, surtout de l’opposition? Dans le monde capitaliste où nous vivons, une communauté d’entrepreneurs est une ressource précieuse et un pays en développement ne peut se permettre de la perdre. La disharmonie entre races est une véritable poudrière; il faut donc faire tout ce qui est possible pour éviter qu’une telle situation ne prenne le dessus.


SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2000 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement