ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 395 - 01/09/2000

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Tchad - Cameroun
Oléoduc: les interrogations subsistent


ECONOMIE


Le consortium pétrolier, le Tchad et le Cameroun ont revu leur copie.
 La Banque mondiale approuve. Mais les questions subsistent.

Après dix-huit mois de valse hésitation, le conseil d’administration de la Banque mondiale (BM), réuni le 6 juin 2000 à Washington, a approuvé le projet d’exploitation pétrolier tchadien et les deux projets de renforcement des capacités de gestion environnementale subséquents. La BM financera même la participation du Cameroun et du Tchad dans l’opération, avec un prêt de 92,9 millions de dollars (soit 3% du coût global des investissements), dont 53,4 millions au Cameroun et 39,5 millions au Tchad.

Participation minime, certes, mais d’une importance énorme. Elle constitue en effet une triple caution: une caution politique pour le Tchad et le Cameroun, une caution financière face aux diverses banques (désireuses de s’engager dans le projet) et une caution environnementale à l’égard des écologistes (qui reconnaissent le sérieux de la BM en la matière).

Pour sa part, la Société financière internationale, filiale de la BM spécialisée dans l’appui au secteur privé, accordera un prêt de 100 millions de dollars. De concert avec les banques privées, elle montera un prêt estimé à 300 millions de dollars. Le coût global de ce projet pétrolier est évalué à 3,7 milliards de dollars dont 1,5 milliard pour les 300 puits pétroliers du bassin de Doba (sud du Tchad) et 2,2 milliards pour l’oléoduc.

Copie revue et corrigée

La Banque mondiale s’estime satisfaite par la qualité des documents présentés par le nouveau consortium pétrolier (les compagnies américaines EXXON et CHEVRON et la malaisienne PETRONAS), et par le Tchad et le Cameroun. Au Cameroun, le segment du pipeline passant par la vallée du Mbéré (nord), «sanctuaire des derniers rhinocéros noirs du monde» selon les écologistes, a été évité. Idem pour le massif forestier de Deng Deng à l’est du pays. En plus, le consortium pétrolier a promis le financement de deux réserves forestières (Mbam et Djerem à l’est, et Campo au sud côtier). Une fondation pour le développement d’activités socio-économiques liées au développement des pygmées —cette communauté marginale menacée de disparition — est prévue. Enfin, l’amélioration des compensations pour paysans victimes du projet pétrolier est acquise. Le consortium pétrolier, de concert avec le gouvernement camerounais, a réajusté les taux d’indemnisation qui, globalement, ont doublé.

La décision de la BM a été favorablement accueillie, autant à Yaoundé qu’à N’Djamena, où on a assisté à des scènes de liesse populaire sans précédent. Pour le président tchadien Idriss Déby, «le 6 juin est une date historique à consigner en lettres d’or dans les annales du Tchad». Réactions légitimes des deux capitales, compte tenu des revenus attendus. Durant toute la période d’exploitation du projet pétrolier de Doba (estimée à 30 ans), le Tchad engrangera des revenus plus que substantiels: quelque 2 milliards de dollars. Voilà qui devrait permettre au Tchad, classé 5ème parmi les pays les moins avancés du monde, de rompre avec le cercle infernal de la misère. Le Cameroun pour sa part, pourrait engranger des revenus directs estimés à 500 millions de dollars, pendant 30 ans. De plus, pendant la phase d’exécution des travaux du pipeline (4 ans) le chantier générera 1.000 emplois temporaires, alors que 250 emplois stables seront pourvus pendant la phase d’exploitation.

Des questions subsistent

Toutefois, des interrogations subsistent. La manne pétrolière bénéficiera-t-elle effectivement aux masses déshéritées? Au Cameroun, la gestion des revenus pétroliers, qualifiée d’opaque (1) par la BM, laisse perplexe. Contrairement au Tchad, aucune loi sur la gestion des royalties de l’or noir n’est prévue.

Au Tchad, en dépit des dispositions légales pour une juste distribution des retombées du pétrole, le pessimisme des ONG écologistes et des droits de l’homme est de mise. A la suite de Bruno Rebelle, président de Greenpeace France, Marie Hélène Aubert, député verte française (2), soutient que «l’exploitation du pétrole n’a jamais favorisé le développement en Afrique». L’ONG environnementale allemande Urgewald demeure sceptique quant à la volonté de N’Djamena de distribuer équitablement les revenus pétroliers, malgré toutes les déclarations et engagements de bonne intention. (Une loi votée en 1998 par le Parlement tchadien prévoit 80% des royalties du pétrole pour le développement, la santé et l’éducation; en prime, 10% bloqués dans un fonds spécial pour «les générations futures»).

Il y a aussi risque de déstabilisation et de surenchère politique, au cas où les engagements des pétroliers ne seraient pas tenus. Des politiciens un tantinet populistes pourraient canaliser les frustrations des populations lésées et en faire leur fonds de commerce. Au Cameroun, le choix de Kribi comme point de chute du pipeline, au détriment de la ville anglophone de Limbé, a de l’avis de certains analystes, des relents liés à la géopolitique locale. Bien que d’évidents arguments techniques disqualifient la ville de Limbé — pour cause de volcanisme ambiant au voisinage du mont Cameroun — le choix de Kribi prive les sécessionnistes anglophones du Southern Cameroon Anglophone Movement d’un important argument politique. A ce sujet, Le Floch-Prigent, ancien PDG de la compagnie ELF, affirme dans ces mémoires: «Mon rôle était de m’intéresser à la présence française au Cameroun et au Tchad. C’est la raison pour laquelle ELF est entrée dans le consortium pétrolier. Mon rôle était de persuader les Américains de traverser la partie francophone du Cameroun».

Par ailleurs, selon la presse locale, le rebelle camerounais Guerandi, réfugié au Burkina Faso, aurait pris langue avec des opposants armés au sud du Tchad, dans la perspective de saboter l’oléoduc.

Enfin, une certaine opinion s’interroge toujours sur les conditions de l’adoption de la convention d’établissement entre le Cameroun et le consortium pétrolier. Cette convention, adoptée sous la loi 97/16 le 7 août 1997, contient des dispositions qui laissent songeur. Ainsi, l’article 27.12 a d’importantes implications sur la souveraineté du Cameroun. Il mérite d’être cité entièrement: «En cas d’urgence, et plus particulièrement en présence d’un danger immédiat pour la population ou l’environnement, la COTCO (3) a le droit, sous sa seule responsabilité, d’avoir accès dans tout domaine public ou privé, quel que soit son statut ou son lieu, dans le but de mener une enquête sur les causes de l’urgence ou d’une situation d’urgence ou de remédier à ces dernières, ceci sans autorisation préalable, et avec la possibilité d’une assistance de la part d’un organisme de sécurité public ou privé».

A l’évidence, le consortium pourrait légalement inviter une compagnie de mercenaires «en présence d’un danger immédiat»...

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(1) Sur injonction du FMI, la Société nationale des hydrocarbures a consenti à réajuster son système de comptabilité aux normes internationales et à verser ses revenus au budget de l’Etat. — (2) Auteur d’un rapport en octobre 1999 sur les activités des compagnies pétrolières, après une mission au Tchad et Cameroun en mars 1998. — (3) Cameroon Oil Transportation Company (Exxon, Petronas, Chevron), consortium pétrolier chargé de la construction et de la gestion du pipeline dans la partie camerounaise.


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