ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 395 - 01/09/2000

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Niger
Presse et liberté


MEDIAS


La liberté de la presse au Niger date de la restauration du multipartisme en 1990;
mais cette presse devrait encore se libérer d’elle-même

De quelle presse peut-on parler au Niger? De 1960 à 1990, le seul journal lu et la seule radio écoutée étaient ceux du pouvoir politique en place. Ils n’étaient que l’écho fidèle de la voix du maître qui ne pouvait tolérer aucun écart de langage, susceptible de remettre en question la pérennité de l’ordre établi. Y penser même constituait un délit! A l’instar de la presse des pays de l’Est faisant l’apologie de la dictature et du mensonge quotidien érigé en système, notre presse était toute dévouée à la cause du parti unique. A la rigueur, l’absence de journaux concurrents était palliée par la parution de quelques rares tracts estudiantins.

Le vent de la démocratisation

Les choses ont commencé à évoluer à partir des années 90, grâce aux vents de la démocratisation qui ont déferlé sur le continent. Timidement mais sûrement, des journaux ont vu le jour, osant remettre en question les poncifs éternels jusqu’ici normes de la raison et de la pensée politique. Cela ne fut guère facile quand on connaît le poids de l’habitude et le malheur des consciences enchaînées aux partis totalitaires.

A ce propos, les premiers adversaires de cette presse libre furent paradoxalement… des journalistes eux-mêmes! En effet, quand un des leurs a cru devoir innover en la matière (le journal Haske), ces journalistes, habitués à la langue de bois, n’ont pas trouvé mieux que de traîner leur collègue dans la boue… Mais les choses étaient lancées, et la vague de contestation et autres mouvements revendicatifs en pleine activité. Ces mouvements devaient aboutir à la conférence nationale souveraine de juillet 1991.

La presse libre au Niger date donc de cette restauration du multipartisme en 1989-1990. De 1990 à nos jours, on a pu voir la parution de plus de 30 titres, existant encore ou ayant disparu devant les contraintes économiques du pays. A l’heure actuelle, on compte environ une vingtaine d’hebdomadaires, et, malheureusement, un seul quotidien, gouvernemental, Le Sahel. Au niveau de l’audiovisuel, le Niger compte une dizaine de radios privées, dont 4 stations FM à Niamey. Une chaîne de télévision privée vient de voir le jour, la TV-Ténéré, qui a déjà commencé un programme expérimental.

Mais de quoi parle cette presse? Un peu de tout, de la politique, du social, du culturel…. Mais le sujet dominant est incontestablement la politique. Car les nombreux soubresauts politiques du pays, en moins de 10 ans, ont curieusement aiguisé l’appétit du Nigérien pour la chose politique. Il faut entendre par là l’intérêt pour toutes sortes de nouvelles, vraies ou souvent fausses, touchant tel parti ou tel homme politique, si ce n’est l’action gouvernementale soupçonnée de pratiquer l’exclusion ou la chasse aux sorcières. Ce peut être aussi l’opprobre jeté sur tel ou tel citoyen accusé d’avoir commis un acte délictueux…

Il faut bien oser l’avouer: les journaux privés dans leur ensemble s’affichent ouvertement pour tel ou tel clan politique. Le contraire eut été étonnant, quand on sait le poids de l’influence des partis dans la marche quotidienne des journaux de la place. En veut-on à un adversaire politique? Il suffit d’aller voir un journal qui épouse ses sentiments pour atteindre ses objectifs. On va même solliciter un temps d’antenne sur une radio privée pour créer l’événement.

La crédibilité en cause

Cette position souvent partisane de la presse privée a contribué beaucoup à nuire à sa crédibilité et à l’engouement originel des années 90. Dans ce melting-pot, quel journal acheter pour trouver un minimum d’objectivité? Il faut avoir l’intuition du bon lecteur pour choisir quelque chose d’assez convenable. Quand un journal est apprécié et applaudi, c’est par ses propres tuteurs, c’est-à-dire par le clan qu’il soutient. Comment, alors, parler d’une liberté de presse?

Mais, que faire donc pour que la presse se libère d’elle-même? La question peut paraître absurde pour ceux qui ne vivent pas de ce métier. En effet, d’aucuns nieront catégoriquement cette prétendue idée de l’objectivité ou même de l’honnêteté de la presse, en y voyant une simple vue de l’esprit. L’homme, disent-ils, a toujours une préférence et il serait naïf de croire qu’on peut évoluer dans un contexte d’apesanteur. La dure loi de la survie quotidienne a des exigences que la raison et la déontologie ignorent! Soit. Mais alors, à quoi sert-il de célébrer en grande pompe la liberté de la presse, si cette liberté doit être confisquée par des puissances occultes?

Une liberté manipulée

Et pourtant, que n’a-t-on fait pour assurer la liberté des communicateurs depuis 1990? Aux lendemains de la conférence nationale souveraine, un Conseil supérieur de la communication été créé, et même constitutionnalisé, pour montrer toute l’importance et la grandeur du métier. Sous la supervision de ce conseil, furent organisés les Etats généraux de la communication, qui devaient doter l’espace médiatique des meilleurs textes préservant la liberté et la dignité du communicateur. Malheureusement, ces textes furent l’objet de manipulation devant aboutir à des modifications et au malheur de certains journalistes qui se sont retrouvés en prison pour des délits mineurs.

D’autre part, des journalistes ont créé eux-mêmes des structures parallèles pour défendre leurs droits démocratiques. Il existe aujourd’hui cinq organisations professionnelles de défense de la liberté de presse. Tout récemment fut créé un centre de déontologie des médias, chargé de lutter contre toutes formes d’aliénation de presse au Niger. Mais il s’agira d’abord de mener une campagne de sensibilisation à l’endroit des journalistes eux-mêmes, car «le mal vient souvent de sa propre maison!»

En attendant, les journaux continuent à écrire pour un public bien ciblé, chacun soutenant son candidat de prédilection, avant que ce dernier lui-même ne perde sa place et son prestige, pour être à son tour la cible de ceux qui le soutenaient hier encore.

Pour le moment, le peuple peut continuer sa descente aux enfers, la misère continuer son lent et implacable travail de déstructuration du tissu social, la jeunesse vivre dans son désespoir inquiétant, l’injustice saper les bases d’une vraie solidarité sociale, le paysan s’emmurer dans son fatalisme et la femme être l’objet de toutes les formes de discrimination possibles…. Tant pis, du moment que «mon homme» est au pouvoir et pourvoit à mes besoins!


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