ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 395 - 01/09/2000

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 Ouganda
Sept années de restauration des monarchies


CULTURE


 Y a-t-il une place pour des rois et des dirigeants traditionnels dans un Etat moderne?
Question que se pose l’auteur pour l’Ouganda.

 Le 22 septembre 1967, juste un an après l’installation de Patrick Olimi Kaboyo II comme roi (Omukama) du royaume du Tooro, dans l‘ouest de l’Ouganda, le Premier ministre ougandais, Milton Obote, abolissait les monarchies et tous les dirigeants traditionnels. Ceci fut fait à la suite de la crise de 1966 quand, le 24 mai, Obote donna l’ordre à l’armée d’attaquer le palais du roi (Kabaka), Sir Frederick Muteesa II, du royaume du Buganda, après des conflits acerbes sur les rapports entre le royaume et le gouvernement central. Le Kabaka Muteesa fut chassé de son palais et de son royaume et envoyé en exil en Angleterre où il mourut en 1969.

A l’abolition des royaumes, tous les biens des royaumes du Buganda, du Tooro, de Bunyoro-Kitara et d’Ankole furent confisqués ou détruits. Les bâtiments du palais et du parlement (Bulange) du Buganda furent occupés par l’armée nationale. A Fort Portal, le palais de l’Omukama du Tooro fut aussi annexé par l’armée, tandis que les bâtiments du parlement (Orukurato Hall) à Mueva, ainsi que l’immeuble de l’administration passa au gouvernement central.

Les royaumes du Buganda et du Tooro furent rétablis en 1993. La Constitution ougandaise de 1995 stipule que les dirigeants traditionnels et culturels seront rétablis en Ouganda, conformément à la culture, aux traditions, aux désirs et aspirations de la population concernée.

Mais il reste bien des questions au sujet des royaumes les plus importants, car une grande partie de leurs attributions traditionnelles, de leur autorité et de leur territoire, ne leur a pas été restituée. Ainsi le royaume du Buganda a perdu le district de Kampala, la capitale de l’Ouganda, qui, auparavant, faisait partie intégrante du royaume. Le Tooro a perdu les districts de Kasese et Bundibugyo, qui avec le district de Kabarole, constituaient le royaume. Maintenant, le royaume ne comprend plus que le district de Kabarole.

Les difficultés des royaumes rétablis

Bien que ces institutions traditionnelles puissent beaucoup contribuer au profil des communautés et mettre en évidence certains problèmes locaux, beaucoup de monarchistes sont d’avis que, vouloir réinstaller des rois et des royaumes sans autorité politique ou revenus économiques, n’est pas nécessairement une bonne idée.

La structure légale concernant les autorités locales en Ouganda n’est pas idéale pour les royaumes dans le sens traditionnel. La clause 3, sous-clause f, de l’article 246 de la Constitution déclare que «un dirigeant traditionnel ou culturel ne peut ni avoir ni exercer des pouvoirs administratifs, législatifs ou exécutifs au gouvernement central ou local». Bien que les royaumes aient des assemblées législatives, ce sont les gouvernements locaux dans ces royaumes qui ont le pouvoir de prélever des taxes et de légiférer pour les besoins locaux. Ainsi, bien que le royaume du Buganda ait un corps législatif (Lukiiko), chacun de ses neuf districts a aussi un corps législatif qui légifère et prélève des taxes.

Les dirigeants traditionnels et culturels ne peuvent plus percevoir les taxes qui assuraient dans le passé la survie économique des royaumes. Par ailleurs, la clause 3, sous-clause d, de l’article 246 stipule que «personne ne peut être tenu d’allégeance politique ou de contribuer à l’entretien d’un dirigeant traditionnel ou culturel». Mais le même article permet à ces institutions d’avoir des avantages ou des biens qu’elles administrent en leur nom ou au nom des personnes concernées et aussi de posséder des avantages ou des biens acquis à titre personnel. Certains des biens des royaumes leur ont été restitués, mais pas tous, et c’est là une source de frictions entre les royaumes et le gouvernement central ou local. Ainsi, les avoirs du royaume du Bunyoro sont au cœur d’un conflit. Mais selon Simon Mulongo, haut fonctionnaire du district de Hoima (un des trois districts qui constituent le royaume du Bunyoro), le transfert des biens du royaume est à un stade bien avancé et le processus est irréversible en faveur du royaume.

Les royaumes peuvent survivre

Depuis que le pouvoir de prélever, de demander, de recueillir, de s’approprier des taxes, est assigné aux gouvernements locaux, certains fonctionnaires du gouvernement central s’attendaient à ce que les royaumes «meurent de leur mort naturelle». Mais dans ce nouveau millénaire, une nouvelle politique se fait jour qui montre que ces royaumes peuvent survivre et peuvent même avoir un vrai rôle à jouer dans un Etat moderne.

En regardant de plus près ce qui se passe dans le royaume du Buganda, on constate parmi les gens un engagement volontaire. L’esprit du «bulungi bwansi» qui poussait les gens à réparer volontairement les routes et nettoyer les palais a été revitalisé. Autre exemple: le 27 août 1999, le roi Ronald Muwenda Mutebi se mariait avec Sylvia Nagginda Luswate, en une cérémonie pleine de couleurs. Beaucoup de gens du Buganda et de tout l’Ouganda, ainsi que nombre d’organisations avaient contribué à près de $800.000 pour la fête, démontrant que pour les Ougandais, un tel événement est important pour tout le pays.

La lutte pour le pouvoir

Dans certains royaumes toutefois, le découragement gagne du terrain, causé par des problèmes de méfiance interne, de questions sociales et économiques et d’insécurité, qui dépendent trop de la bonne volonté du gouvernement central et de quelques personnes du royaume. Au royaume du Tooro, par exemple, c’est la lutte pour le pouvoir entre les membres de la famille royale et le Premier ministre (Omuhikirwa), John Katuramu, et d’autres personnages du royaume. Ils s’accusent mutuellement de se servir des biens et de la bienveillance du roi pour amasser une richesse personnelle et se pousser en avant. Il faut rappeler que le roi actuel, Omukama Oyo Nyimba Kabamba Iguru Rukidi IV, n’a que huit ans. Les membres de la famille royale dénoncent Katuramu et prétendent que c’est contraire à la tradition d’être en même temps Premier ministre et représentant officiel du jeune roi. Ils disent qu’il ne peut pas s’asseoir avec les autres rois, comme s’il était lui-même roi du Tooro. Etant aussi homme d’affaires, Katuramu est encore accusé de mêler les affaires de son entreprise à celles du royaume.

La réintégration des rois ne s’est pas passée sans problèmes. C’est seulement dans le royaume du Tooro que le défunt roi Omukama Patrick Olimi Kaboyo I a pu reprendre possession de son trône sans polémique. Au Buganda, le prince Henry Kimera réclama le trône et contesta le droit de Ronald Mutebi d’être le roi légitime. Les installations des rois du Bunyoro-Kitara et du Busoga furent encore plus problématiques. Dans les deux cas, l’affaire a dû être portée en justice, pour savoir qui avait légitimement le droit de régner.

Actuellement, les royaumes du Buganda, du Tooro, du Bunyoro et du Busoga, ainsi que les chefs traditionnels Ubino Rwoth Jobi II, des Alours et Emorimor Augustine Lemukol Osuban, du Teso, ont été rétablis. Mais ce n’est pas encore le cas pour le royaume de l’Ankole où le prince héritier John Barigye n’a pas encore été couronné. Cela vient du fait qu’il y a division dans le royaume entre la minorité Bahima (aristocrates) et la majorité Bairu, qui a été maltraitée dans le passé et ne veut pas que le royaume soit rétabli. Selon le président Yoweri Museveni, lui-même originaire de l’Ankole, c’est au peuple de l’Ankole de décider s’il veut un roi. Son opinion est qu’il revient au gouvernement d’appliquer les décisions du peuple exprimées par le biais de ses représentants locaux. Quant aux rois, la Constitution stipule que «un dirigeant traditionnel ou culturel ne peut adhérer ou participer à une politique partisane».

Tout bien considéré, les institutions traditionnelles et culturelles de l’Ouganda constituent un facteur unificateur pour le pays en général -– et c’est très important pour les Ougandais.


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