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Sénégal |
Exode massif des militants du Parti socialiste évincé du pouvoir
L’avènement de l’alternance politique au Sénégal, le 19 mars dernier, est constamment ponctué par un exode massif et spectaculaire de militants du Parti socialiste (PS, évincé du pouvoir après 40 ans de présence) vers le Parti démocratique sénégalais (PDS). A un point tel, que bien des questions fondamentales agitent le microcosme politique sénégalais et même au-delà. La “transhumance” politique atteindrait-elle, ici, un seuil critique? Est-elle un phénomène naturel et ancien? La démocratie serait-elle menacée? Ou ne serait-elle finalement qu’un simple épiphénomène?
Lorsque le 5 juillet, le 3ème personnage de l’Etat, M. Abdoulaye Diack, président du Sénat et baron du régime socialiste, a rejoint avec fracas les rangs du PDS de Me Abdoulaye Wade qui a défait M. Abdou Diouf, certaines franges de l’opinion ont été “surprises” et quelque peu “scandalisées”, voire “indignées”. C’est à ce moment que les observateurs ont véritablement commencé à mesurer l’ampleur de la transhumance politique, et se sont interrogés sur les véritables motivations, même si de tout temps, relevaient-ils, la transhumance a toujours marqué le paysage politique sénégalais (comme d’ailleurs, semble-t-il, celui de beaucoup d’autres pays africains). Cette défection, au profit du PDS, qui a fait l’effet d’une bombe, faisait suite à celle de 37 grosses pointures du PS qui, ces derniers quatre mois, ont abandonné sans états d’âme un parti affaibli par de profondes dissensions, plongé dans une profonde crise, et qui tente difficilement de se recomposer.
Au regard des proportions considérables prises par cette transhumance, d’aucuns n’hésitent pas à avancer que le PS serait en décomposition avancée et ce au profit du PDS. Aussi, certains n’ont pas manqué de se poser des questions sur les véritables motivations des transhumants et celles de leurs hôtes.
Que fait apparaître l’analyse?
D’abord, le contexte politique montre que c’est bien la première fois que la coloration politique de la majorité parlementaire (PS) est différente de celle qui a accédé au pouvoir par la présidentielle, le PDS. Une situation inédite que le gouvernement de Me Abdoulaye Wade tient à rectifier au plus tôt, en organisant des législatives anticipées, probablement en avril 2001.
Il y a ensuite que le gouvernement de l’alternance a lancé des audits et promis que ceux qui se seraient rendus coupables d’abus de biens sociaux et de détournements seraient châtiés. Ce qui ne serait pas pour rassurer ceux dont la gestion aurait été pour le moins gabegique. Déjà des têtes sont tombées avant même la publication des audits.
Enfin, dans la recherche d’une majorité à l’assemblée, le PDS a un concurrent de taille, l’Alliance des forces de progrès (AFP) de M. Moustapha Niasse (actuel Premier ministre) à qui Me Abdoulaye Wade doit sa victoire et qui monte dangereusement en puissance. Cela présage d’une lutte qui risque d’être féroce, à terme. Ne prête-t-on pas l’intention à Me Abdoulaye Wade, par des manoeuvres favorisant le ralliement sauvage de transfuges d’un PS qu’il chercherait à “démanteler”, de passer devant son allié-concurrent? Les piques qu’il lui lance, de manière indirecte et feutrée, participeraient de cette stratégie visant à asseoir l’hégémonie du PDS. Les calculs politiciens étant donc ce qu’ils sont, les enjeux sont, on le devine, importants et décisifs.
Quel poids donner à la transhumance?
Au-delà, il importe de se demander de quel poids pèse réellement la transhumance politique. Pourquoi, ce phénomène prend-il, sous certains aspects, la dimension d’un paroxysme?
D’abord, il se dit que la transhumance politique ne date pas d’aujourd’hui. On rappelle à ce propos que de nombreux débauchages d’éléments du PDS ont eu souvent lieu naguère au profit du PS, alors au pouvoir. De quoi parler, juste retour des choses, du “principe des vases communicants”.
Le second ordre d’explication de cette transhumance est, soutient-on, relatif au fait que la grande masse des militants, auparavant “caporalisée”, est “maintenant libérée du PS”. Il faut comprendre aussi, selon un leader de parti du nouveau pouvoir, que 40 ans de système socialiste ont “déteint sur les comportements individuels et sur la moralité des gens”.
Bien sûr, d’autres raisons pour le moins curieuses et fantaisistes sont avancées. Les deux arguments qui reviennent souvent dans la bouche de ces ex-ténors du PS est que le chef de l’Etat aurait “fait appel” à eux pour travailler à ses côtés, ou alors que la base (socialiste) leur aurait enjoint “d’aider” le nouveau régime. Il y eut même ce “courageux” transfuge qui expliqua que son marabout lui avait intimé l’ordre de soutenir Me Abdoulaye Wade. On sait l’influence des marabouts au Sénégal. Le marabout incriminé démentira!
Au regard du contexte qui prévaut, on peut en tous les cas en déduire que la transhumance politique instruit... sur la nature humaine. Car, au fait, y a-t-il véritablement transhumance politique? Ce politologue désabusé fait valoir qu’il n’y a pas de transhumance en tant que telle, dans la mesure où ce “mouvement trans-idéologique fait fi des convictions et des passés politiques individuels. Le pouvoir est une sphère que des hommes et des femmes politiques se sont approprié comme d’un espace vital. Ils ne l’abandonneront pas, quitte à se livrer à des actes d’allégeance humainement dégradants”. Autrement dit, ils ne “transhument” pas. Alors pas du tout. Ils ne sauraient, ne peuvent, ni ne veulent s’arracher des positions de pouvoir qu’ils ont toujours occupées, toujours squattées depuis quatre décennies. C’est simple. Le pouvoir ayant changé de mains, il est naturel, à leurs yeux, qu’ils s’adaptent, qu’ils évoluent avec l’histoire!
Evidemment, pas question de leur faire de mauvais procès. Ces transhumants se défendent d’ailleurs avec vigueur de vouloir se mettre sous le parapluie du PDS, se protéger des sanctions éventuelles auxquelles les exposeraient des audits pointilleux. Ils se disent tous animés de leur seul engagement à servir Me Abdoulaye Wade et le développement du pays. Ils n’ont jamais changé, rassurent-ils, et on ne pourrait les prendre en faute. Leur patriotisme et l’esprit de consensus sont, pour eux, essentiels...
Preuve d’immaturité de la démocratie sénégalaise? Qu’est ce que l’alternance pour les Sénégalais? La transhumance ne risque-t-elle pas de remettre au goût du jour le parti unique? Ne remet-elle pas en cause l’ordre moral occidental? Autant d’interrogations qui n’ont pas encore de réponse et qui fleurissent en ce moment au Sénégal, une démocratie qui est moins balbutiante que d’autres, il est vrai. L’alternance ayant joué sans violence, le Sénégal se présente volontiers comme une démocratie majeure. Un démocratie porteuse de “culture civique” où malgré tout, d’après cet homme politique de premier plan, il faut que par une “politique d’éducation, on arrive à améliorer le niveau des militants”.
Alain Agboton, Sénégal, août 2000 — © Reproduction autorisée en citant la source |
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