ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 396 - 15/09/2000

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Tchad
Saturation foncière et bouleversements sociaux

MONDE RURAL

Les changements dans le monde rural
ne sont pas toujours bons pour son développement.

Démographie excessive, exode rural, dégradation de l’environnement et rareté des ressources économiques sont des éléments qui risquent d’engendrer de nouveaux conflits concernant l’occupation des terres cultivables dans la partie sud du pays. Comment en est-on arrivé là?

Le sud est habité par des agriculteurs, des éleveurs et des pêcheurs. C’est la région la plus peuplée. Plus de la moitié des 6 millions de Tchadiens y habite sur un tiers de la superficie totale. Ce qui pose un problème de répartition et d’exploitation des terres cultivables, de pâturage et des eaux de surface.

Les terres cultivables sont de plus en plus réduites ces dernières années, à cause de leur dégradation et du surnombre d’occupants. Dans les années 1970 encore, les villages étaient distants de 15 à 20 km, et les paysans cultivaient près de chez eux. Aujourd’hui, les villages poussent comme des champignons, rapprochant considérablement les hameaux les uns des autres. Personne ne se réfère aux chefs traditionnels qui légiféraient sur la fondation des villages. D’un village, on peut entendre le chant du coq venant d’un autre. Les champs se touchent, et la vie devient de plus en plus difficile, car les jeunes ne trouvent plus de terres à exploiter. Si leurs parents n’en avaient pas, ils se retrouvent sans terres, et se livrent alors à la paresse, à l’alcool, au vol et au mensonge.

Même constat chez les éleveurs. Un espace aussi réduit, mis à mal par la pression humaine et la fragilité même de ses écosystèmes, ne peut offrir du pâturage digne de ce nom. A cela s’ajoute la pression des éleveurs des régions sahariennes et sahéliennes qui, chassés par la désertification, affluent dans les régions humides du sud. Dans ce contexte, il leur est parfois difficile de respecter les couloirs de transhumance; alors les éleveurs laissent paître leurs bêtes dans les champs cultivés, entraînant ainsi des conflits qui tendent à devenir endémiques. La houe de l’agriculteur se heurte au bâton du pasteur.

Quant aux pêcheurs, pour eux aussi se pose un problème d’eau et de poisson. Les quelques rares cours d’eau poissonneux sont taris. Leur lit est complètement asséché. Comment des gens, qui depuis toujours n’ont vécu que de la pêche, peuvent-ils se tourner vers d’autres débouchés? Ils ne peuvent pas cultiver des champs, encore moins faire de l’élevage, et n’ont pas d’héritage à laisser à leur progéniture.

Bouleversements sociaux

Les conséquences sont dramatiques. Chez les agriculteurs par exemple, les jeunes aux bras valides, après avoir vendu leur coton ou leurs arachides, abandonnent leurs vieux parents au village pour se réfugier en ville, où ils deviennent de petits artisans: cordonniers, blanchisseurs, réparateurs de montres ou d’engins à deux roues, porteurs de sacs de mil au marché... Ceci est une révolution des mentalités. Dans un passé récent, personne n’abandonnait les vieux qui étaient systématiquement pris en charge. Dans nos sociétés, c’est une honte de laisser traîner sa vieille maman ou son vieux père dans la rue. Ce qui pousse certaines personnes âgées, qui disposent encore de quelques parcelles, de les vendre, les louer ou les mettre en gage pour pouvoir s’acheter de quoi manger, en attendant leur dernier jour. Le troisième âge rural devient ainsi subitement la proie de spéculateurs terriens.

Selon M. Djimadoum Kaïnder, dirigeant d’une organisation paysanne de la région du Logone oriental, le prix d’un hectare de terre cultivable en location varie entre 3.000 à 4.000 Fcfa par an. Ainsi, un paysan qui possède, par exemple, 10 hectares de terres cultivables, peut obtenir de 30 à 40.000 Fcfa de revenu par an selon leur fertilité. Or, en ce moment, il suffit d’exploiter un hectare de coton ou d’arachides pour gagner entre 100.000 et 150.000 Fcfa. Les 10 hectares mis en valeur feront donc une somme rondelette de 1.500.000 Fcfa par an.

Problèmes fonciers

Pourtant, même jusqu’au début des années 80, la terre n’avait pas de valeur marchande en milieu rural. Elle était perçue comme un moyen de production, et non un bien. Aujourd’hui, en agrandissant des surfaces cultivées, on aboutit à un blocage foncier, accentué par la dégradation des terres arables. Comme si cela ne suffisait pas, les chefs de villages, les chefs de cantons et autres autorités traditionnelles deviennent friands de ces rentes foncières. Ils prennent les terres des paysans à la place des impôts et autres tributs. Les anciennes règles d’octroi de terres, très souples, se raidissent, occasionnant de violentes querelles dans la société.

Lors du lancement du processus d’élaboration de la stratégie nationale de réduction de la pauvreté, tenu à N’Djamena en avril 2000, un leader d’une organisation paysanne de la région Mayo-Kebbi a laissé entendre que le phénomène de la réduction des pâturages est durement ressenti par les villages. «Nous ne pouvons plus pratiquer le golah, qui consiste à confier l’élevage d’un veau à un parent ou à un ami pour établir la confiance mutuelle, a-t-il déclaré. Ce qui fait apparaître des nouvelles inégalités, liées à la superficie, à la qualité des sols et à la possibilité d’en conserver la fertilité.

Cosmogonie des eaux

Chez les pêcheurs aussi, les marigots et autres cours d’eau qui ne sont pas encore taris font l’objet de toutes les convoitises. S’ils n’ont pas été spoliés, ils sont soumis à une surexploitation éhontée. Autrefois, il y avait les chefs des “eaux d’en haut”, c’est-à-dire la pluie, et les chefs des “eaux d’en bas”, qui sont les eaux de surface. Aujourd’hui, on ne respecte plus cette cosmogonie. Si bien que la pêche se pratique avec des engins prohibés et sans tenir compte de l’avis des gestionnaires traditionnels de ces eaux. C’est le cas du lac Iro, où les hameaux de pêcheurs se développent tout autour de ses bords. Plus de 200 de ces pêcheurs se livrent à une pêche intensive. Poussés par l’esprit de gain, ils prennent même des alevins.

Le pire est à craindre si dans l’immédiat rien n’est envisagé pour contrer cette situation. Le monde rural, qui était jadis un havre de paix, risque de devenir la cour du roi Pétaud où chacun fera ce qu’il voudra. L’Etat, la société civile et les ONG de développement doivent prendre leur responsabilité pour limiter un tant soit peu cette crise rurale par des actions concrètes.

Missé Nanando, Tchad, juin 2000 — ©Reproduction autorisée en citant la source

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