ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 396 - 15/09/2000

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Afrique de l’Ouest

Islam: les confréries religieuses

ISLAM

Que sont les confréries religieuses en islam?
Comment fonctionnent-elles?
L’exemple de la tidjaniyya et du mouridisme.

En Afrique de l’Ouest, la majorité des musulmans se rattache encore, de près ou de loin, à un marabout. Et presque tous les marabouts sont liés à des degrés divers à une confrérie religieuse. Par ce lien donc, la plupart des musulmans se trouvent en liaison avec une confrérie, qui peut aller de la simple sympathie à une véritable affiliation.

Origine et organisation

Pour comprendre ce que sont les «confréries», il convient de remonter à l’histoire du soufisme, la voie mystique de l’islam. Les confréries, en effet, prennent leur origine chez les grands mystiques musulmans des premiers siècles de l’islam. Dès les origines, des hommes et des femmes, par la méditation des textes sacrés, par l’ascèse, par l’abandon total à Dieu, ont manifesté leur quête de Dieu. Ces saints personnages furent appelés «soufis», peut-être en raison de la robe de laine (souf) dont certains se vêtaient.

Les 9e et 10e siècles, qui furent l’âge d’or du soufisme, virent éclore une floraison de grands soufis, dont la vie et les propos ont été transmis par la tradition orale et consignés dans des recueils.

Petit à petit, surtout à partir du 12e siècle, autour de ces maîtres, reconnus pour leur science religieuse, leur piété et leur rayonnement spirituel, des disciples se sont rassemblés pour entrer eux aussi en contact avec Dieu et bénéficier de leur bénédiction. Ainsi sont nées les Voies, que nous appelons confréries et qui sont comme des voies de salut. Elles portent en général le nom du maître qui est à leur origine. Dans certaines régions, comme en Afrique de l’Ouest, elles ont donné naissance à des confréries locales et ont joué un rôle important dans l’islamisation.

Nous pourrions comparer les confréries aux grands ordres ou congrégations religieuses en christianisme. A la tête d’une voie se trouve son maître qui, souvent, réside près du tombeau du fondateur. Il est assisté d’un conseil, reçoit de nombreux visiteurs et est entouré de disciples. C’est lui qui nomme ou donne l’investiture aux maîtres locaux, jugés aptes à transmettre l’enseignement et aussi la vertu spirituelle, la bénédiction (baraka), hérités du fondateur et, à travers lui, du prophète Mohamed lui-même. Les différents maîtres locaux, appelés populairement marabouts, reçoivent aussi le pouvoir d’affilier de nouveaux membres, qui s’appellent entre eux «frères», d’où le nom de «confrérie».

Spiritualité et pratiques

Le maître sert de guide à son disciple. Celui-ci se soumet à son maître «comme un cadavre dans les mains du laveur des morts» par un serment d’allégeance. Le maître lui montre la bonne direction, la voie droite. Le disciple devra franchir plusieurs états spirituels avant d’atteindre les étapes ultimes: l’intimité avec Dieu et l’anéantissement en Dieu.

Mais souvent le disciple ne va pas aussi loin et, plus qu’une initiation et une direction spirituelle, il attend de son maître une part de bienfaits, dans la mesure où celui-ci a hérité du fondateur une puissance surnaturelle, une bénédiction. Au Mali, on dit que le disciple attend d’être «garanti», c’est-à-dire qu’il désire une bénédiction efficace qui lui permettra de réussir sa vie, aussi bien ici-bas (mariage, enfants, succès dans ses entreprises, travail, santé, biens matériels...) que dans l’au-delà, le paradis. La croyance populaire est persuadée que cette bénédiction peut même se transmettre par simple toucher du maître.

En tant que musulmans, les membres des confréries sont tenus de pratiquer fidèlement les cinq piliers de l’islam, mais chaque confrérie a aussi une pratique particulière. Parmi les exercices pratiqués figurent des veilles (souvent consacrées à la lecture du Coran), ou des jeûnes supplémentaires, des retraites, des récitations (wird). Chaque confrérie a son wird propre, élément de son identité: un ensemble de formules, de sourates et de prières dites ou chantées à des moments précis, plusieurs fois par jour.

Elles pratiquent aussi un exercice caractéristique, appelé «dhikr», qui conduit ceux qui s’y adonnent à «se rappeler le souvenir de Dieu», par la répétition, au rythme toujours plus soutenu, soit de la formule de profession de foi, soit d’un des plus beaux noms de Dieu ou tout simplement du pronom «Lui». Ces séances de dhikr constituent des moments forts de la confrérie. Chacune possède sa manière de tenir ces séances, debout ou assis, accompagnés ou non d’un instrument de musique ou d’une danse.

Par l’exemple concret de l’une ou l’autre de ces confréries, implantées en Afrique de l’Ouest, nous comprendrons mieux ce qu’elles représentent au plan spirituel, mais aussi au plan économique et politique. Car, comme l’écrit Gilles Veinstein, «si la finalité première des confréries est de transmettre un message spirituel, elles deviennent inévitablement des puissances temporelles».

La tidjaniyya

Cette confrérie doit son nom à son fondateur, El-Tidjani, qui naquit dans la région de Laghouat (Algérie) en 1737 et mourut à Fez (Maroc) en 1815. Après un voyage aux lieux saints de l’islam où il écoute les enseignements de maîtres réputés, au cours d’une retraite dans une oasis, il a une révélation, une apparition du prophète Mohamed qui lui demande de fonder l’ordre qui porte maintenant son nom, lui enseigne le wird et lui enjoint de commencer son travail de direction spirituelle.

Ceux qui entrent dans la confrérie doivent le faire de manière exclusive et s’engager à ne jamais l’abandonner. De plus, ils ont la prétention d’appartenir à une classe supérieure de musulmans. El-Tidjani dit avoir reçu l’esprit même de Mohamed et avoir reçu la mission spéciale d’être sur terre son calife, son enseignement et son wird. De là découle le devoir d’absolue obéissance du disciple à son maître initiateur. En contrepartie, il est assuré de l’intercession du fondateur auprès du Prophète qui lui garantira le pardon, les trésors de la grâce divine et le paradis.

Extension en Afrique de l’Ouest. — Dès la mort du fondateur, la confrérie se répand en Afrique occidentale. Ses premiers adeptes furent les membres d’une tribu maure du Walata en Mauritanie. C’est chez eux que son plus grand propagateur sera mis en contact avec elle: El-Hadj Omar Tall.

Né vers 1795 d’un marabout instruit et pieux, membre d’une famille noble toucouleur du Fouta Toro au Sénégal, Omar Tall va chez les Maures du Walata où il reçoit sa première initiation à la voie tidjanie. Il se livre à une vie d’ascète et de mystique, savant et prosélyte. Après un pèlerinage aux lieux saints de l’islam, où il reçoit une seconde initiation dans la confrérie, il prend d’abord un temps pour enseigner, puis part en tournée de recrutement et prépare la guerre sainte (djihad) contre les païens inconvertissables. Cette guerre sainte va s’étendre sur une grande partie des territoires du Mali et du Sénégal actuels, et finira contre l’Empire peul du Macina, qui était musulman, sous prétexte qu’il s’alliait aux Bambara païens de Segou et était donc hypocrite. Il s’installe dans la capitale du Macina, mais une révolte éclate. Il doit s’enfuir et se réfugie dans une grotte de la falaise de Bandiagara, où il meurt à la suite d’un éboulement, en février 1864. La légende dit qu’il n’est pas mort, qu’il a simplement disparu.

Au-delà des histoires de luttes, de victoires et de défaites, il faut découvrir le maître, un homme empreint de mysticisme, qui avait une très haute idée de sa mission: purifier et propager l’islam par le moyen d’une confrérie neuve et militante. Son ouvrage le plus important, le Livre des lances, est un commentaire des doctrines de la tidjaniyya, ayant pour but de mettre les règles de la voie à la portée de tous. Il enseigne à rester humble et à s’en remettre à Allah, car la voie de son adoration et la louange du Prophète sont fondamentales.

Aujourd’hui. — Si Omar Tall s’est fait haïr par ses guerres dans certaines régions, cette confrérie est encore bien vivante aujourd’hui et même assez influente. Elle se caractérise par la valeur de ses élites, nettement au-dessus des autres. Ses membres ont un haut comportement cultuel et social, et sont ouverts au progrès. Mais il est vrai que le comportement de certains disciples, dans la vénération qu’ils portent à leur maître, rélève plutôt de la superstition.

Un de ces maîtres les plus connus est Tierno Bokar Salif Tall (1875-1940), le «Sage de Bandiagara», dont Amadou Hampate Bâ nous a transmis l’enseignement et les détails de sa vie. Petit-neveu d’El Hadj Omar Tall, il étudie le Coran, ses commentaires, mais aussi les grands maîtres soufis, dans une atmosphère familiale empreinte de piété. En 1908, à la demande de ses amis, il consent à conduire l’instruction des enfants de Bandiagara, passant sa vie «de sa natte à la mosquée, de la mosquée à ses amis, mais attaché toujours, où qu’il soit, à la réalité de ces enfants qui lui avaient été confiés et, plus tard, à celle des adultes qui devinrent ses disciples». A 62 ans, il quitte la tidjaniyya des Tall pour s’affilier à une nouvelle branche réformée, la hamalliya. Accusé de trahison, il meurt trois ans après, presque dans la solitude.

Un extrait de son enseignement: «De tout mon coeur, je souhaite la venue de l’ère de réconciliation entre toutes les confessions de la terre, l’ère où ces confessions unies s’appuieront les unes sur les autres pour former une voûte morale et spirituelle, l’ère où elles reposeront sur trois points d’appui: Amour, Charité, Fraternité. Il n’y a qu’un seul Dieu. De même, il ne peut y avoir qu’une Voie pour mener à Lui, une Religion dont les diverses manifestations temporelles sont comparables aux branches déployées d’un arbre unique. Cette Religion ne peut s’appeler que VERITE . Ses dogmes ne peuvent être que trois: Amour, Charité, Fraternité».

La mûrîdiyya ou le mouridisme

Le mouridisme est une confrérie exclusivement de l’Afrique noire subsaharienne et plus particulièrement sénégalaise et wolof. On estime que 33% des musulmans sénégalais appartiennent à cette confrérie. Son nom ne vient pas de son fondateur, mais du terme arabe «mûrîd» qui désigne tout disciple s’engageant totalement à la suite d’un maître.

Son fondateur Amadu Bamba est né, vers 1850, en pays wolof au Sénégal, dans une période troublée pendant laquelle s’affrontaient les nobles et les troupes coloniales françaises. Après la défaite des armées wolof en 1886, il réunit au Baol, au coeur du Sénégal, de nombreux disciples venant de toutes les couches de la population. C’est ainsi que s’organise la confrérie des mourides parmi ceux que la défaite avait totalement désorientés. Les disciples sont organisés en unités de travail pour la culture, d’abord du mil, puis de l’arachide. Leur nombre augmente rapidement, ce qui inquiète les autorités françaises, qui ont peur d’un mouvement de révolte. Elles finissent par arrêter Amadu Bamba en 1885 et le déportent d’abord au Gabon, puis en Mauritanie et finalement au nord du Sénégal. Ce n’est qu’en 1913 qu’il peut revenir en pays wolof, où il meurt en 1927. Il n’a jamais pu s’installer à Touba qui lui avait été désigné par révélation pour y construire son centre et une grande mosquée, mais c’est là qu’il est enseveli.

Ses écrits révèlent un homme de foi inébranlable, plein de douceur, sans recherche métaphysique, un homme de coeur, un homme de Dieu. Son enseignement se veut pratique: faire connaître l’islam le plus orthodoxe et conduire ses disciples à Dieu. La spécificité du mouridisme tient à la relation privilégiée entre le maître et le disciple, dont la dépendance est poussée à l’extrême. Cette relation reprend les relations de dépendance et de clientèle qui existaient dans les relations sociales wolof anciennes. La confrérie est organisée en une société très hiéarchisée. Tous les mourides se rassemblent tous les ans pour le grand pèlerinage (le grand Magal) à Touba.

La confrérie est très influente dans la vie politique du Sénégal. Jusqu’à tout récemment, aucun homme politique ne pouvait être élu sans la reconnaissance des maîtres de la confrérie. Les mourides ont aussi beaucoup contribué au développement de la culture de l’arachide. Ses communautés de travail, d’abord agricoles, sont devenues commerciales et possèdent maintenant de véritables réseaux de New York à Hong Kong, en passant par l’Europe. Tout un marché d’import-export exclusivement mouride fonctionne partout dans le monde, avec son circuit financier et ses systèmes d’expédition. Les jeunes Sénégalais marchands ambulants qui circulent dans nos villes, travaillent pour leur maître, mais ils peuvent compter sur la solidarité de la confrérie et ils savent que ce maître ne les laissera jamais tomber dans cette vie, et aussi que, par lui, ils reçoivent la bénédiction d’Amadu Bamba et auront accès au paradis.

Guy Vuillemin, Pisai, Italie, août 2000 — © Reproduction autorisée en citant la source

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