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Congo RDC |
GUERRE
“Quand je désespère, je me souviens que, tout au long de l’histoire,
la
voix de la vérité et de l’amour a toujours triomphé.
Il y a dans ce monde
des tyrans et des assassins et, pendant un temps,
ils peuvent nous sembler
invincibles. Mais, à la fin, ils tombent toujours.
Pensez à cela toujours”
(Mahatma Gandhi).
Bref aperçu historique
Depuis le 1er octobre 1990, date du déclenchement de la guerre au Rwanda, Masisi, vu sa proximité avec le Rwanda, vit dans la tourmente. Le cauchemar a commencé avec des réunions séparées des Hutu et des Tutsi pour appuyer la guerre qui se déroulait au Rwanda. Beaucoup de jeunes Hutu ont quitté les territoires de Masisi, Rutshuru et Goma pour s’enrôler dans l’armée régulière rwandaise pour le compte du gouvernement rwandais, en majorité hutu; et des jeunes Tutsi issus des mêmes territoires pour le compte du FPR (Front patriotique rwandais), en majorité Tutsi, qui combattait le régime en place. Des cotisations ont été organisées par les deux communautés aussi bien au Zaïre qu’ailleurs.
Cela créé une sorte de psychose chez les chefs traditionnels autochtones, d’autant plus qu’il y avait déjà un mécontentement presque généralisé des populations rwandophones: ils boudaient l’autorité traditionnelle et même nationale. Les jeunes soldats formés au Rwanda allaient-ils supporter pendant longtemps que leurs parents continuent à obéir à des lois qu’ils contestaient et à des chefs souvent illettrés qu’ils considéraient comme injustes? En outre, du fait qu’ils devaient financer la guerre au Rwanda par des cotisations régulières, payer les taxes de l’État zaïrois leur semblait superflu. Les universitaires et politiciens d’origine rwandaise résidant à Kinshasa ont vite fait de lancer un appel à la désobéissance civile générale dans les zones de Masisi et de Walikale. Cet appel, ainsi que le comportement qui s’en est suivi, sont à l’origine du déclenchement dans la zone de Walikale, le 20 mars 1993, de la guerre qui a opposé les populations hunde, nyanga et tembo aux populations d’origine rwandaise.
Puis ce fut l’assassinat du président rwandais Habyarimana Juvénal, le 6 avril 1994, qui déclencha le massacre de nombreuses populations rwandaises ainsi que le retrait stratégique des populations hutu en territoire zaïrois. Les populations qui se sont retirées du Rwanda ont constitué des “camps de réfugiés” au Zaïre dans les zones administratives de Goma, Rutshuru et Masisi, limitrophes de leur pays d’origine.
Le gouvernement congolais ainsi que la communauté internationale savaient pertinemment bien que plusieurs “réfugiés” étaient armés et qu’ils habitaient des zones sensibles. Il y avait aussi parmi ces réfugiés beaucoup d’indésirables au Rwanda à cause de leur responsabilité dans les massacres de 1994 dont il est question plus haut. Parmi ces indésirables, on peut mentionner: les Interahamwe (miliciens de feu le président rwandais Habyarimana), la G.P. (Garde présidentielle du même Habyarimana) ainsi que les anciennes FAR (Forces armées rwandaises). Guidés par des activistes intégristes de la MAGRIVI (Mutuelle agricole de Virunga), une organisation ethnico-politique née dans la zone de Rutshuru, beaucoup de ces malfaiteurs se sont installés par force dans la zone de Masisi où ils se livrent à toutes sortes d’exactions. Colette Braeckman avait déjà dénoncé leurs méfaits en 1996, mais on ne l’a pas prise au sérieux (1). Qu’en est-il aujourd’hui?
Une population prise en otage
La population locale de Masisi se trouve tenaillée entre deux feux: d’un côté les militaires du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) installés dans le Masisi avec le prétexte de pourchasser les Interahamwe et les autres malfaiteurs dits “les forces négatives”; de l’autre les Interahamwe, GP et ex-FAR. Ces deux groupes (Hutu et Tutsi pour la plupart) sont armés jusqu’aux dents. Cependant, on dirait qu’ils se sont partagés le territoire de Masisi. On n’a jamais enregistré une attaque d’ampleur entre soldats du RCD (sous commandement des officiers rwandais) et Interahamwe. Cette constatation a encore été confirmée par le Commissaire titulaire du territoire de Masisi en avril dernier.
D’autre part, les massacres de la population civile n’ont jamais connu de répit depuis la reprise de la guerre dite de libération, le 2 août 1998. Tantôt ce sont les Interahamwe qui tuent la population civile qu’ils accusent d’être complice des Tutsi aux couleurs du RCD, tantôt ce sont les militaires du RCD qui tuent la même population civile qu’ils accusent d’être Mayi-Mayi ou de collaborer avec des Interahamwe. Les attaques des uns et des autres consistent à tuer à l’arme automatique ou à l’arme blanche, à blesser, torturer, violer des femmes et des filles mineures avant de les tuer, brûler les maisons, capturer des jeunes gens qu’ils enrôlent de force dans leurs milices etc.
Face à ces deux feux, tous deux venus du Rwanda avec la complicité de quelques Congolais corrompus, la population quitte les villages et fuit vers les grands centres tels Masisi-Centre, Kitshanga, Sake et Goma. Dans ces centres où l’aide humanitaire arrive au compte-gouttes (quand elle arrive), des maladies de toutes sortes accueillent les nouveaux venus et la plupart des enfants et des vieillards succombent.
Ces déplacés sont contraints de vivre dans des conditions inhumaines, parfois de dormir à la belle étoile ou sous un toit surpeuplé, où manger une fois tous les deux jours est un luxe. On ne tient aucun compte de la scolarisation de leurs enfants qui arrivent déjà exténués dans les centres d’accueil (pour autant qu’on peut parler d’accueil). Les organismes nationaux et internationaux semblent approuver ce “nettoyage ethnique” de la population civile de Masisi par leur silence. Personne n’ose lever le doigt pour dénoncer cette situation. Tout se passe comme si un “Hutsiland” était en création sur le fertile plateau du Masisi avec la bénédiction des autorités en place. Bien plus, lorsque les déplacés arrivent dans la ville de Goma, les autorités du RCD leur demandent gentiment de regagner leurs villages pour y être assistés. A-t-on jamais entendu pareille injonction à un rescapé: retournez dans la gueule du lion pour bénéficier d’une assistance efficace! C’est là ce que d’aucuns nomment déjà “un autre génocide oublié”, planifié par le RCD et ses alliés.
Tous les belligérants justifient leurs comportements par le peuple qu’ils prétendent défendre, mais dans les faits c’est le peuple congolais qui paye les pots cassés: massacres à grande échelle et répétés, situation économique catastrophique, une jeunesse hypothéquée (plusieurs servent comme de la chair à canon pour tâter le terrain ennemi), infrastructure scolaire explosive, massacres de civils organisés par des pays étrangers... Autant dire que la population civile, surtout dans les régions occupées par le RCD (toutes tendances confondues), est prise en otage!
Voilà des dizaines de millions de personnes en otage à l’est de la République du Congo et la communauté internationale ne réagit pas. Qu’un Européen ou un Américain soit pris en otage dans n’importe quel pays du monde, l’ONU et la communauté internationale mobilisent tous les médias et les moyens financiers et militaires pour le libérer. C’est toute l’agression du Congo qui constitue un fait choquant. Pendant longtemps, le Rwanda et l’Ouganda ont occupé des territoires congolais tout en affirmant que la guerre au Congo était une guerre congolo-congolaise. Après leurs aveux, l’on s’est attendu à une réaction musclée de la communauté internationale contre les agresseurs, mais cette réaction n’a pas eu lieu. Au contraire, la dite communauté internationale semble appuyer les agresseurs. L’Ouganda et le Rwanda n’ont jamais bénéficié d’autant de faveurs de la Banque mondiale, du FMI et de certains pays occidentaux.
Conclusion
Ce qui se passe contre la population civile en majorité paysanne dans les territoires de Masisi et Walikale est déplorable. Nous sommes convaincus pour notre part que ce ne sont pas les Hutu ou les Tutsi qui commettent ces massacres et qui contraignent la population à la fuite: c’est l’affaire d’une poignée de gens. Tous les témoignages sont concordants pour montrer que les populations paysannes du Nord-Kivu n’ont qu’un désir: vivre dans la paix comme dans le passé et s’adonner aux travaux agricoles et d’élevage (2). Hunde, Hutu, Nyanga, Tembo, Tutsi... sont condamnés à vivre ensemble dans ces territoires.
Il vaut mieux faire appel aux méthodes traditionnelles du “baraza” (dans le vrai sens du terme) au lieu de croire que le problème sera résolu par la force. Nous devons tous encourager les initiatives de cohabitation pacifique entre les peuples et décourager les discours politiciens qui incitent à la division et à la haine des uns contre les autres.
Dans le contexte de la mondialisation où nous sommes, il est regrettable de constater que des Africains se mettent en marge du processus. L’Europe – hier divisée à cause des visées hégémonistes de certains – est en train de devenir un seul pays. Des firmes qui se combattaient fusionnent et même les Corées, divisées par une haine légendaire, se réconcilient. Pendant ce temps, des Négro-Africains sont occupés à se haïr, à s’arracher des morceaux de terre, à construire des Congolais de l’Est et des Congolais de l’Ouest, à reconstruire le “Mur de Berlin” que les autres détruisent.
L’Afrique a déjà trop souffert: colonisation, esclavage, dévastation culturelle, exploitation et pillage systématique de nos richesses, génocide etc. Il est temps que les Africains se rendent compte que ce que dicte l’Occident ne va pas toujours dans le sens de nos intérêts. Souvent ce qu’ils cherchent c’est leurs intérêts, peu importe si pour y arriver des millions d’Africains doivent mourir(3). Pensez-y.
(1) Les réfugiés hutus rwandais envahissent le riche Masisi: Un “Hutuland” au nord de Bukavu dans Le Soir du 8 mars 1996. – (2) “Le Dialogue intercongolais 2: le travail de paix intercommunautaire au Nord-Kivu” in Regards Croisés, revue trimestrielle, avril 2000, nº 3, organisé par Pole Institute (Institut interculturel dans la région des Grands Lacs). – (3) Lisez “Génocide” dans Billet d’Afrique et d’ailleurs... Lettre mensuelle éditée par “Survie”, nº 83, juillet - août 2000, p. 6 -7.
Kitsa Daniel, Congo RDC, août 2000 — © Reproduction autorisée en citant la source |
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