JEUNESSE
Les activités de change illégal sont de plus en plus populaires chez les
adolescents —
plus populaires même que l’enseignement primaire gratuit
introduit en 1994 par le gouvernement
Beaucoup de jeunes de 10 à 19 ans sont tellement plongés dans les affaires
de change qu’ils considèrent l’enseignement comme un luxe dont ils peuvent
très bien se passer. Au lieu de cela, ils passent toute la journée à acheter
et vendre diverses monnaies à des gens qui prennent la route entre le Malawi
et l’Afrique du Sud.
Ceux qui entrent au Malawi, changent leur monnaie contre le kwacha local;
ceux qui quittent le Malawi échangent leurs kwachas pour des rands (Afrique
du Sud), des dollars zimbabwéens ou des pullas (Botswana). Ce “commerce”
a débuté en 1991, lorsque la fin de la guerre civile au Mozambique voisin
a facilité la réouverture de la route Malawi-Afrique du Sud (via le Mozambique),
classée jusque là “zone dangereuse”. Suite à l’avènement de la démocratie
multipartite, le Malawi a adopté en 1994 une politique de libre échange.
Et maintenant que bus, camions et voitures particulières font journellement
la navette entre le Malawi et l’Afrique du Sud, de nombreux Malawiens se
risquent à faire des affaires au delà de la frontière.
Changer des devises étrangères sans licence est illégal. Les garçons le
savent bien et, quand un véhicule arrive au poste frontière de Mwanza,
tous les changeurs doivent ouvrir l’oeil sur deux choses: un possible client...
et la police.
Timothy Siledi (17 ans) a déjà été trois fois en prison. Il a dû payer
l’équivalent de US $1.200 en amendes et est quotidiennement pourchassé
et battu par les policiers. Il pratique le change depuis 1994 et il affirme
qu’il ne va certainement pas changer de mode de vie. «Bien sûr, c’est risqué,
car tant la police que les fonctionnaires de l’immigration sont à nos trousses;
mais parfois il faut prendre des risques si on veut faire son chemin dans
la vie», dit-il. Mais après six ans de trafic, on attend encore le moindre
signe de prospérité chez Siledi.
Une école pour délinquants
Ces jeunes changeurs ont un style de vie qui peut les plonger dans des
difficultés plus grandes encore. McNight Finyani, de la police des frontières
depuis 1993, reconnaît que les changeurs se font un tas d’argent par leur
“trafic”, argent qu’ils dépensent en bière et en femmes. Dernièrement,
cinq d’entre eux, après avoir dépensé tous leurs bénéfices, ont attaqué
un de leurs collègues, l’ont dévalisé et ensuite tué avec des bêches et
des couteaux. On a retrouvé le corps enterré près d’une rivière et maintenant
les cinq garçons sont derrière les barreaux. D’après Finyani, il est difficile
d’empêcher ces garçons de se livrer à ce commerce illicite car la demande
de devises augmente de plus en plus. Les routiers qui entrent dans le pays
avec leur chargement, doivent payer une taxe gouvernementale. Cette taxe
doit être réglée en dollars américains. Si les chauffeurs n’en ont pas,
ils en achètent chez ces garçons.
Un entrepreneur a récemment ouvert un bureau de change reconnu officiellement
et les fonctionnaires de l’immigration ont cru que cela mettrait fin à
leurs problèmes avec les changeurs. Loin de là! Les garçons ont rapidement
réduit leurs taux de change. Ils se sont aussi arrangés pour rencontrer
les voyageurs avant que ceux-ci ne remarquent le bureau. Comme le dit Finyani:
«Ils continuent leurs affaires au détriment de quelqu’un qui paie des taxes
au gouvernement!».
Le problème tracasse le comité de l’Enseignement de qualité pour tous (QEFA)
qui a été créé pour assurer la scolarité de tous les jeunes. Mais l’abbé
Benito Masuwa constate: «Quand vous découvrez qu’un enfant qui n’a jamais
été à l’école manie déjà quotidiennement l’équivalent de $400, il est bien
difficile de le persuader de renoncer à tout et d’aller à l’école».
Jacob Musita, économiste travaillant au Chancellor College (université
du Malawi), estime que le gouvernement est perdant, car il ne retire rien
du change officiel de devises étrangères. Selon lui, «si les garçons étaient
engagés dans d’autres entreprises lucratives telles que des projets de
construction de routes, ils contribueraient effectivement à la croissance
socio-économique du Malawi».
Mais quelle est la réalité? La plupart des garçons engagés dans ce trafic
deviennent des délinquants. Le racket du change de devises est un milieu
de culture pour futurs criminels.
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Kennie Cliff Ntonga, Malawi, août 2000 — ©Reproduction autorisée en citant
la source
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