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UNIVERSITE
Les enseignants s’emploient à choisir entre «galérer», changer de métier
ou partir.
Les alternatives ne sont pas nombreuses...
Les professeurs du Cameroun n’arrêtent pas de faire contre mauvaise fortune, bon coeur. Ils sont un peu plus de 1.000 à avoir accepté d’enseigner dans les universités et les grandes écoles. Un sacerdoce. D’aucuns se demandent comment on peut gagner moins de 200.000 fcfa quand on enseigne dans des universités aux effectifs pléthoriques et aux infrastructures inexistantes.
Pour le syndicat national des enseignants du supérieur (Synes), l’amélioration des conditions de vie et du cadre de travail devrait préoccuper le gouvernement. «Il n’y a pas de raison que les salaires de certains corps, comme l’armée et la magistrature, soient revus à la hausse et pas les nôtres», indique un membre du Synes. Le paiement de leurs arriérés de prime de recherche et autres heures supplémentaires se fait au compte-gouttes et se «négocie comme une faveur que leur accorde l’université».
Les enseignants se plaignent des conditions de travail précaires. La majorité n’a pas de bureau. Les toilettes sont inexistantes dans certaines institutions universitaires. C’est à peine si l’on se souvient que celles qui existent encore ont un jour fonctionné. Et le spectacle des étudiants et enseignants qui se retrouvent régulièrement nez à nez derrière les amphithéâtres n’amuse personne. Dans certains établissements, les cafards et souris ont conquis leur droit de cité dans les bibliothèques. A l’université de Douala, des salles de cours n’ont pas suffisamment de bancs. Tandis qu’à Yaoundé I, les amphithéâtres, aussi vétustes les uns que les autres, manquent d’éclairage. L’outil informatique est un luxe. L’obsolescence des laboratoires se passe de tout commentaire.
Face à ce constat alarmant, la réaction en 1999 du ministre de l’Enseignement supérieur, Jean-Marie Atangana Mebarra, était de nature à enthousiasmer étudiants et enseignants. Il affirmait pouvoir compter sur l’aide du ministère de l’Economie et des Finances et de la présidence de la République pour résoudre progressivement les problèmes. Un an après, rien n’est fait.
D’aucuns parlent de roublardise de la part du ministre. D’autres y voient plutôt une bonne volonté qui aurait été annihilée par les pesanteurs de ces ministères. «La mission conjointe de la Banque mondiale et du FMI, actuellement à pied d’oeuvre au Cameroun, ne verrait pas d’un bon oeil les décisions ayant une incidence aggravante sur un déséquilibre des finances publiques», a finalement expliqué, le 22 février dernier, M. Mebarra.
M. Ambroise Kom, actuellement professeur au Maroc, a fait le diagnostic suivant: «Globalement, il ne fait pas bon être un enseignant d’université au Cameroun, car cette carrière a perdu tout son sens. Le professeur est d’abord un chercheur, ce que nous ne sommes plus parce que préoccupés par des questions triviales, des questions de survie quotidienne... Nous sommes devenus des instituteurs qui répètent de jour en jour des choses consignées ça et là».
Débrouillardise
En fait, depuis une décennie, comme d’autres Camerounais, ces enseignants ont trouvé une parade leur permettant de joindre les deux bouts: la débrouillardise. Un professeur fait des vacations dans un collège d’enseignement secondaire privé; un autre tient une échoppe au quartier Essos à Yaoundé; d’autres encore s’improvisent consultants internationaux, un titre éloquent pouvant procurer quelques contrats payants. Beaucoup prennent contact avec les organismes internationaux pour participer aux conditions de travail ou aux comités de réflexion. On retrouve également souvent les signatures de professeurs d’université dans des journaux locaux, ce qui leur donne droit au paiement de quelques piges. Ils explorent aussi un nouveau créneau d’affaires: les organisations non gouvernementales. Ils peuvent ainsi se retrouver en mission au Canada ou passer une semaine dans un hôtel de luxe à Genève sans bourse délier.
Par ailleurs, certains enseignants ont abandonné leur chaire pour un fauteuil éjectable de ministre. Citons Augustin Kontchou Kouomegni, Joseph Owona, Joseph Mbedé, Titus Edzoa, Stanislas Melogne, Marcien Towa, tous des maîtres de conférence internationalement reconnus qui font actuellement défaut à l’enseignement supérieur au Cameroun. Selon un observateur, en 10 ans, le pouvoir politique a absorbé 5 chanceliers d’université et une vingtaine de professeurs émérites. Ils se sont laissé séduire par les sirènes du pouvoir, et boudent les amphithéâtres quand ils perdent leur poste ministériel.
Les enseignants qui ont choisi de jouer à fond leur rôle d’intellectuel, d’éveilleurs de conscience, en dénonçant les abus du pouvoir, sont malmenés pour leurs idées. Beaucoup sont accusés, comme Socrate dans l’antiquité, d’être des «corrupteurs de la jeunesse» et mis hors d’état de nuire. Le philosophe Marcien Towa a subi cet ostracisme sous le régime de l’ancien président Hamadou Ahidjo. Idem pour le kantien Joseph Ngoué, interdit de cours par l’un de ses anciens étudiants devenu chef de département de philosophie. Jongwane Dipoko, président du Synes, a été suspendu pendant deux années académiques à cause de ses activités syndicalistes. Il en est de même pour d’autres enseignants qu’on dit «rebelles» et qui ont vu leur matière de base transformée en unité de valeur optionnelle.
Exode
Il existe enfin une autre catégorie d’enseignants qui n’ont pas hésité à s’exiler. Fuite des cerveaux. «Aucun enseignant d’université ne peut vous dire qu’il n’a pas envisager de partir. Mais ce sont les opportunités qui manquent», affirme un professeur à l’université de Yaoundé II. Sexagénaire, M. Tchindji Kouleu était chercheur au CNRS à Paris. Il est revenu au Cameroun en 1972. Après la double baisse des salaires, consécutive au programme d’ajustement structurel et à la dévaluation du fcfa, il a de nouveau songé à partir. «J’ai écrit aux universités européennes et américaines, qui voulaient jadis me garder. Mais elles ne veulent plus, elles me trouvent certainement trop vieux».
Partir pour fuir la misère et l’humiliation, très peu y résistent quand la chance sourit. Assistants, chargés de cours, maîtres de conférence se retrouvent aujourd’hui aussi bien en Afrique australe qu’en Europe ou en Amérique. Selon une liste non exhaustive mais déjà impressionnante, le couple Anyangwe (mari et femme tous deux enseignants à l’ex-université de Yaoundé) se trouve en Afrique australe. Fotsing Jean-Marie, chargé de cours au département de géographie, est en France. Mais c’est aux USA et au Canada que se rencontrent le plus d’enseignants camerounais. Clément Mbom et son épouse se sont installés à New York; Lovet Elango, maître de conférence, est également aux USA. Le professeur Djeuma, ancien doyen de la faculté des sciences, Félix Afa’a, Dieudonné Mouaffo du département d’histoire, et l’abbé Jean-Marc Ela, sociologue et exilé politique, résident au Canada. Le professeur Pierre Ngidjol Ngidjol est signalé à l’université de N’Djamena au Tchad. Quant à Eboussi Boulaga, il a tout simplement rendu son tablier et se consacre à la rédaction de ses livres et autres travaux de recherche.
Pour limiter cet exode massif des cerveaux, Titus Edzoa, alors ministre de l’Enseignement supérieur, avait décidé de soumettre la sortie du terroir des universitaires à une autorisation préalable. En 1994, le professeur Stanislas Melogne avait ainsi été sorti d’un avion en partance pour l’Europe.
Pour redorer le blason de l’enseignant, Jongwane Dipoko, physicien syndicaliste, pense que la seule chance de retrouver une respectabilité réside dans «notre capacité à reconstruire une institution universitaire crédible. Au vu des dégâts actuels, c’est une tâche colossale, très au-dessus des initiatives individuelles. Il faut que les enseignants du supérieur se ressaisissent contre la peur des représailles... Tout le reste suivra».
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