ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 399 - 01/11/2000

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


Congo-Brazzaville

Tristes dérapages de la presse congolaise


MEDIAS


Insultes, incitations à la haine, diffusion de fausses nouvelles...
Les infractions aux règles déontologiques sont à nouveau légion dans la presse congolaise, 
longtemps accusée d’être en partie responsable des guerres civiles

«Quand on lit la presse congolaise ces temps-ci, on a peur. Tous les jours on ne parle que de la quatrième guerre qui se préparerait...», s’inquiète cet observateur, reflétant bien le sentiment général à Brazzaville. «Et quand les hommes politiques toujours friands de controverses voient ça, ils s’excitent. Ils croient que ce que les journalistes racontent sont des choses fondées, alors qu’il s’agit souvent de simples imaginations, pour vendre les journaux. Ce qui est curieux, c’est que ça a toujours commencé ainsi. Après, la guerre éclate», ajoute t-il.

A l’approche de la fin de la période de transition, le 24 octobre 2000, une transition qui dure depuis trois ans, la presse congolaise, longtemps accusée d’être en partie responsable des guerres civiles qui ont déchiré le pays, retombe dans les dérapages du passé. Au point que le ministre de la communication, François Ibovi, n’hésite plus à dénoncer ce comportement comme une «incitation à la violence».

Provocations

Des journaux privés affichent des “unes”, qui suscitent à la fois la peur et la colère des populations qui sortent à peine de sept ans de guerre. En témoigne ce journal qui titrait, courant juillet, en gros caractères: «Kolelas à Kinshasa et Lubumbashi, une nouvelle guerre se prépare». L’article relate une prétendue visite en Congo RDC de Bernard Kolelas, ancien Premier ministre, et de quelques autres dignitaires du régime du président déchu Pascal Lissouba. Sans vérifier ni recouper l’information, d’autres journaux brazzavillois ont repris la nouvelle en commentant que cette visite avait pour but de destituer le président Sassou Nguesso, soupçonné d’aider les rebelles de Jean Pierre Bemba. Une information qui a traumatisé les habitants de la capitale. Pour faire baisser la psychose, il a fallu un démenti formel du président Laurent Désiré Kabila affirmant n’avoir jamais reçu de visite de Kolelas en RDC. Pour se justifier, un des journaux qui avaient publié la nouvelle s’est contenté de dire que «le numéro s’est vendu comme des petits pains, ce qui prouve à suffisance que, malgré tout, Kolelas reste une des figures emblématiques de la politique nationale».

Dans sa récente livraison, un autre hebdomadaire, connu pour ses coups de gueule contre le ministre de la Communication, écrit à propos de la guerre que le pouvoir aurait de nouveau «le doigt sur la gâchette. Il a redéployé çà et là des jeunes en armes. De nouveau, on rencontre dans les quartiers des jeunes en tenue, kalachnikov à la main. D’autres sources font état d’un projet d’assassinat du président de la République par la bande à Mungounga». Ce dernier est ancien ministre des finances de Lissouba. Créé il y a un an seulement, ce journal cumule des ennuis judiciaires.

Selon un sociologue, «tout le drame de ces journalistes, c’est le manque de discernement quand ils écrivent. Ils affirment des choses sans peser ni calculer. Leurs sources d’informations sont des rumeurs, des tracts… Ensuite ils se mettent à faire des supputations». Avis partagé par l’ambassadeur de France, qui, le 13 juin dernier, a déploré la conduite de certains journaux de la capitale pour leur manque de professionnalisme. «Ils écrivent des choses sur l’ambassade, mais jamais nous n’avons reçu le coup de téléphone d’un journaliste demandant à recouper l’information à notre niveau», disait-il en insistant sur la nécessité de recycler les professionnels de la presse.

Depuis 1990, la démocratie cahotante au Congo ne s’est pas vue accompagnée de l’émergence d’une presse privée de qualité. La diffamation, l’insulte, les faits divers sanglants, des controverses qui animent les hommes politiques… constituent le fond de commerce de nombre de publications.

La presse ethnique

Autre aspect des journaux congolais: leur côté politico-ethnique. A l’arrivée de la révolution démocratique, en 1990, on a assisté à l’explosion des journaux privés. Ces publications, qui désiraient hardiment le changement, avaient malheureusement dans leur majorité des lignes éditoriales sous l’influence des partis politiques qui ont une forte coloration ethnique. Ainsi, à partir de 1992, quand les violences politico-ethniques ont commencé, les journalistes ont versé dans l’intoxication et la propagande. Ils faisaient l’éloge des milices privées des partis qu’on formait, armait et droguait dans les quartiers populaires. Conséquence: depuis lors il y a eu des journaux essentiellement lus par des nordistes, d’autres par des sudistes (notamment dans la région du Pool de Kolelas), et finalement des publications qui soutenaient l’action de Pascal Lissouba, très prisées par les gens du Nibolek.

Comme dans d’autres pays d’Afrique, la radio et la télévision sont entièrement vouées au pouvoir, qui s’en sert pour répondre à ceux qui ne partagent pas ses points de vue. Les faits y sont souvent déformés. Exemple: le 11 juillet dernier, des altercations éclatent entre des éléments de la garde présidentielle et un groupe de Cobras. Pendant quelques heures le quartier Poto-Poto, au nord de la ville, est bouclé. Bilan: plusieurs blessés par balles perdues parmi les populations. Aux éditions de radio et télévisées, on a simplement dit qu’il s’agissait d’une opération contre des braqueurs.

Lors de la guerre de 97, les médias d’Etat, alors sous contrôle du régime Lissouba, ont diffusé des reportages fictifs. Objectif: paralyser les forces adverses de Sassou Nguesso. Pour donner leur version des faits, les Forces démocratiques et patriotiques de Sassou ont lancé leur propre radio et télévision usant du même jeu de la désinformation.

Souvent, le journaliste fonctionnaire est plus prompt à jouer le griot que le communicateur social ou l’historien du présent. Difficile pour lui de s’accommoder à la nouvelle donne démocratique. Formé souvent dans les défunts pays communistes de l’Est, il se range facilement derrière l’homme politique de la même ethnie que lui ou du parti de sa préférence. Certains animent des journaux privés parfois sous des pseudonymes.

En général, la situation économique catastrophique condamne la plupart des professionnels à se laisser corrompre ou à se plier aux exigences du principal employeur, l’Etat. Côté journaux privés, les professionnels sont insuffisamment formés. De fait, ils ignorent les règles déontologiques. Ils pratiquent de plus en plus le “coupage”, qui consiste à rédiger et publier des articles de complaisance moyennant finances.

Comment y remédier? Stanislas Zalinski, chef des projets juridiques à la Francophonie, de passage à Brazzaville, a déclaré avec regret à propos de la presse congolaise que «il faut éduquer. Il faut qu’il y ait une culture démocratique qui se développe, qui fasse que quelqu’un ne parte pas acheter un journal qui comporte des insultes. Ça ne sert qu’à diviser, provoquer le conflit». D’autres pensent qu’il faut «organiser la profession avec des gens qui savent lier l’opiniâtreté, le renoncement et le goût au travail. Autrement, la presse congolaise continuera à déraper continuellement».


SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2000 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement