ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 400 - 15/11/2000

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Congo RDC

Inquiétudes des médias privés



MEDIAS


Après la mise sous la tutelle gouvernementale de certaines chaînes privées de télévision,
se pose la question de la liberté d’expression

Radio-Télévision Kin-Malebo (RTKM), Canal-Kin 1 et Canal-Kin 2, trois chaînes privées de télévision, viennent de passer sous la tutelle du gouvernement. On n’ose pas parler de nationalisation, mais on n’en est pas loin. Le gouvernement Kabila va-t-il restreindre la liberté des médias en RDC? Les propriétaires des chaînes de radio et de télévision privées le craignent fortement, vu le discours politique et les comportements du pouvoir qui s’apparentent de plus en plus au monopartisme.

Le 15 septembre dernier, un document du ministère de la Communication interdisait de diffusion une dizaine de chaînes de radio et de télévision. Raison évoquée: non seulement ces organes d’information ne sont pas en ordre avec la réglementation fiscale, mais ils n’ont pas signé le cahier de charge qui les lie à l’Etat congolais. Des raisons tout à fait normales et compréhensibles.

Mais il n’empêche. Le fait que la mesure gouvernementale coïncide avec l’arrivée de M. Dominique Sakombi à la tête du ministère de la Communication, à la faveur du dernier remaniement ministériel, fait craindre une tendance à la radicalisation de la politique du gouvernement en matière de médias. Plusieurs fois ministre de l’Information sous le régime Mobutu, Dominique Sakombi est connu comme ayant été l’artisan du parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR). Sa présence auprès du chef de l’Etat actuel fait l’objet de beaucoup de spéculations et d’appréhensions. Plus inquiétant encore, Dominique Sakombi porte la double casquette de ministre de la Communication et de secrétaire permanent des CPP (Comités du pouvoir populaire), une structure créée par le président Kabila, aux fortes allures d’un parti unique sans se déclarer officiellement comme tel.

Depuis lors, l’épreuve de force qui oppose l’audiovisuel privé et le gouvernement congolais va d’escalade en escalade. Après la double mesure d’interdiction de diffusion et de mise sous tutelle des trois chaînes de télévision privées indiquées plus haut, le gouvernement congolais vient de les soumettre à un nouveau régime de travail sous la supervision de “chargés de mission”, commis par le ministère de la Communication.

La nouvelle grille des programmes limite drastiquement la marge de manoeuvre des concepteurs des programmes dans l’esprit d’une chaîne commerciale privée, ainsi que la liberté d’expression des journalistes. Si les entreprises Canal-Kin 1 et 2, appartenant toutes deux à M. Jean Pierre Bemba, actuellement en rébellion ouverte contre le pouvoir de Kinshasa, ont accepté, à leur corps défendant, le nouveau régime de travail, il en va tout autrement de la chaîne RTKM. Celle-ci non seulement n’accepte pas le lot de griefs qui lui sont reprochés, mais encore moins de se soumettre à la nouvelle grille des programmes imposée par le ministère.

Epreuve de force

A défaut de loi, le gouvernement a recouru à la force. Le 19 octobre, des inspecteurs judiciaires ont obligé les techniciens de la chaîne de mettre en fonctions les émetteurs. Mais les responsables traînent les pieds et, en dehors des films, aucun autre programme ne passe. «Nous voulons bien reprendre les émissions, a déclaré M. Charles Dimandja, directeur des informations de RTKM, mais nous ne nous reconnaissons pas dans la grille des programmes que nous impose le ministère de la Communication. Mettre cette grille en application serait, de notre part, accepter de devenir une chaîne gouvernementale. Or c’est justement ce dont nous ne voulons pas». Le personnel trouve la nouvelle grille des programmes trop politisée. Devant cette attitude qui a tout d’une fronde, le gouvernement a décidé de placer des militaires au centre de diffusion de la chaîne, mais la RTKM tient à créer l’incident et prendre l’opinion publique à témoin devant l’acharnement du gouvernement à lui dicter sa loi.

Employant un effectif de 60 personnes, journalistes et techniciens, le groupe RTKM appartient à M. Ngongo Luwowo, ancien ministre de l’Information sous le régime Mobutu, vivant actuellement en exil en Europe. Le gouvernement actuel justifie sa mesure par le fait que l’équipement technique de RTKM est un don de la Corée du Nord à la République du Zaïre et que ce don aurait été détourné par l’ancien ministre de l’Information alors qu’il était encore en fonction.

Une autre version fait plutôt état d’un détournement, par Ngongo Luwowo, de fonds publics destinés à l’achat de matériel pour la télévision de l’Etat. Apparemment, les deux accusations ne sont qu’au niveau des présomptions, car le gouvernement n’arrive pas à produire les preuves de ses allégations. Cette crise au sein de son entreprise a obligé l’ancien ministre à quitter son exil européen et à établir son quartier général à Brazzaville d’où il peut suivre de près son évolution.

Craignant que son entreprise ne lui échappe, Ngongo Luwowo a rameuté toute la presse audiovisuelle internationale pour expliquer et défendre personnellement son cas dans le but d’édifier le public congolais. Radio France Internationale, la BBC et la Voix de l’Amérique ont été mis à contribution. La télévision de Brazzaville a également diffusé une interview de Ngongo Luwowo, mais cela n’a pas porté bonheur au directeur des informations, M. Albert Obwa, qui a immédiatement été limogé.

L’épreuve de force dure déjà depuis un mois et RTKM s’obstine à ne pas reprendre la diffusion de ses émissions tant que le litige l’opposant au gouvernement n’est pas vidé. Au cours d’une conférence de presse tenue le 17 octobre devant des journalistes et des activistes des droits de l’homme, le personnel de RTKM a démontré qu’aucune loi en vigueur, régissant la communication en RDC, ne prévoit qu’un gouvernement puisse mettre sous sa tutelle une entreprise de presse privée. Effectivement, les textes de loi sur la communication sont muets à ce sujet. Raison sûrement pour laquelle les journalistes de RTKM se sont entendu dire par le ministre de la Communication, que la mesure frappant leur entreprise était une mesure politique qui ne devait souffrir aucune contestation.

Les journalistes n’entendent pas en rester là et comptent s’en remettre à la justice qui apparemment prend partie pour le gouvernement. «S’il le faut, nous irons jusqu’au chef de l’Etat pour réclamer nos droits», ont-ils déclaré. La conférence de presse a donné lieu à un débat houleux sur les dangers qui guettent les médias congolais face à un pouvoir qui, sous le prétexte de la guerre qui sévit au pays depuis deux ans, a plutôt tendance à la serrer de trop près.

La liberté de la presse

“Journalistes en Danger”, une Ong congolaise qui veille sur la liberté de la presse, tout en encourageant RTKM dans sa lutte pour la défense de ses droits, a recommandé à son comité directeur de bien clarifier d’abord sa situation administrative, objet de nombreuses suspicions et accusations de la part du gouvernement, avant de poser la question de fond qu’est la liberté de la presse.

Une autre Ong oeuvrant dans le secteur de la justice, “Les Toges noires”, s’est déclarée solidaire de la cause de RTKM et des journalistes congolais en général dans leur lutte pour la défense de leurs droits, la liberté de la presse relevant d’un problème de société.

A travers la mise sous tutelle de certaines chaînes de télévision, c’est le débat sur la liberté d’expression dans le système Kabila qui est brutalement posé. Des journalistes congolais sont fortement inquiétés dans l’exercice de leur profession. Bon nombre ont fait de la prison pour délits de presse avant d’être acquittés, dans la plupart des cas sous la pression d’organismes de défense des droits de l’homme. Actuellement trois journalistes croupissent encore dans la prison centrale de Kinshasa après une condamnation à de lourdes peines de prison par la cour d’ordre militaire. Freddy Loseke, éditeur de l’hebdomadaire La libre Afrique, Aimé Kakesse Vinalu, éditeur de l’hebdomadaire Le Carrousel, et Jean Marie Kabemba, journaliste à La Tribune Africaine écopent pour le premier de trois ans et pour les deux autres de deux ans de prison pour le contenu de leurs écrits jugés démobilisateurs envers les troupes au front.

C’est toute la question de la réelle marge de manoeuvre d’un journaliste en période de guerre. Qu’a-t-il le droit de dire ou d’écrire et, surtout, jusqu’où ne doit-il pas aller trop loin pour ne pas écorcher la sensibilité des services de sécurité? Toutes les informations de sources militaires sont frappées du sceau “secret défense”. La liberté de la presse est un acquis en République démocratique du Congo depuis qu’elle a été arrachée, de haute lutte, au régime Mobutu à la faveur du vent de la démocratisation qui a soufflé sur l’Afrique, début 90. Aux termes d’une loi sur la presse, votée au Parlement en 1996, les journalistes sont libres d’exprimer leurs opinions à condition de respecter les libertés d’autrui et les bonnes moeurs. Mais l’exercice de la profession est entaché d’une certaine faiblesse, avec l’irruption de journalistes occasionnels sans aucune formation ni pratique professionnelle.


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