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Côte d’Ivoire La IIème République de la violence? |
DEMOCRATIE
Après le “hold-up électoral” du général Gueï
Ce qu’on avait craint au lendemain du coup d’Etat du 24 décembre 1999, a failli vraiment se réaliser en Côte d’Ivoire: la confiscation du pouvoir par les militaires. En effet, envers et contre tous, le général Robert Gueï, chef de la junte, s’est non seulement présenté à la présidentielle du 22 octobre, mais il a tenté, au vu et au su de tout le monde, de faire un “hold-up électoral”. Il donnait ainsi raison à ceux qui ont parlé de “mascarade électorale” : une certaine opinion nationale et la communauté internationale, les Etats-Unis en tête, ainsi que l’ONU, la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et l’OUA qui avait même proposé le report du scrutin à cause de la tension sociale qui régnait… Mais toutes ces propositions avaient été rejetées par la junte militaire qui voulait aller aux élections pour légitimer son pouvoir.
D’où la grande suspicion qui pesait sur cette présidentielle. Si les militaires étaient si pressés d’organiser les élections, c’est qu’ils entendaient les gagner par tous les moyens. N’ont-ils pas commencé par éliminer les candidats potentiels? Notamment l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara (ADO) du RDR (Rassemblement des Républicains) et tous les candidats de l’ancien parti au pouvoir, le PDCI-RDA (Parti démocratique de Côte d’Ivoire, section ivoirienne du Rassemblement démocratique africain), parmi lesquels l’ancien président déchu Henri Konan Bédié, exilé à Paris, et Emile Constant Bombet, ancien ministre de l’intérieur, un homme qui avait le vent en poupe depuis “l’affaire Alassane Ouattara” et qui était le candidat officiel du PDCI-RDA.
Laurent Gbagbo, seul poids lourd
Au total, cinq candidats (sur 19) avaient été retenus par la Cour suprême aux ordres du pouvoir militaire. Et parmi les cinq, seul Laurent Gbagbo du FPI (Front populaire ivoirien) était un candidat de poids contre le général-candidat. Celui-ci avait certainement sous-estimé le “chef historique de l’opposition ivoirienne” qui menait le combat sur le terrain depuis officiellement dix ans! Le général était convaincu de sa popularité, vu le “succès populaire” de sa tournée à l’intérieur du pays dans le cadre de la campagne pour le référendum. Il avait confondu “soutien au référendum” et “soutien à sa personne”. Il n’avait même pas fait campagne!
Il avait fait retenir la candidature de Laurent Gbagbo (malgré son éligibilité discutable, vu son statut de fonctionnaire) pour cautionner sa propre élection. Celle-ci devait être crédible aux yeux de la communauté internationale. Le général n’avait jamais imaginé que le candidat du FPI pouvait le battre! Il y avait aussi le fait que le chef de la junte voulait récompenser le leader du FPI, le seul a avoir “collaboré” avec les militaires. Au point que d’aucuns parlaient d’un “pacte” entre les deux hommes pour se partager le pouvoir: le général Gueï à la présidence et Laurent Gbagbo à la primature... Mais il semble que la stratégie du leader du FPI était de se montrer “docile” pour tromper la vigilance du chef de la junte. Et cette stratégie a été payante: non seulement sa candidature a été retenue mais il a pu donner au général l’estocade au dernier moment!
Il faut dire que le chef historique de l’opposition a eu la chance de profiter de l’hostilité générale, aussi bien nationale qu’internationale, contre la candidature du général. Sur le plan national, la cote de la junte était au plus bas au moment de l’élection: frustrations nées de l’élimination injuste des candidats du PDCI-RDA et du RDR, qui ont appelé au boycott du scrutin, et surtout le ras-le-bol des Ivoiriens fatigués de la transition et de la dictature militaire, des arrestations arbitraires et des tortures; mais aussi aggravation de la situation économique, suspension des aides extérieures et de toutes sortes de coopérations; cherté de la vie, etc.
Balayeur balayé
Cette situation défavorable à la junte a donc favorisé la victoire du candidat du FPI, considéré comme “l’espoir de tout un peuple” (thème-slogan de sa campagne) pour mettre fin à la “dictature militaire”. Ainsi donc, le 22 octobre, le général Gueï, qui s’était vu refuser l’investiture du PDCI-RDA – parti qu’il avait renversé et sur lequel il voulait faire une O.P.A.! – et qui s’est finalement présenté sous l’étiquette de candidat indépendant, était pratiquement seul face au vrai “candidat du peuple”, Laurent Gbagbo.
Le 24 octobre, le général, sentant venir sa défaite, a voulu faire exactement comme le général Eyadéma en 1993 au Togo, Maïnassara en 1996 au Niger et Slobodan Milosevic en Yougoslavie: suspension de l’opération “décompte des voix”, dissolution de la CNE (Commission nationale électorale), arrestation de son président et de ses autres membres, puis proclamation des résultats en sa faveur par le ministère de l’Intérieur: 52,72% des suffrages exprimés contre 41,02% pour Laurent Gbagbo.
Mal lui en prit: à l’appel de ce dernier, le peuple, comme en Yougoslavie, est descendu dans les rues, aussi bien à Abidjan qu’à l’intérieur du pays, pour dire non au “hold-up électoral” du général. Celui-ci, après quelques moments de résistance qui ont fait plusieurs morts, notamment parmi les manifestants tombés sous les balles des militaires, capitula comme Milosevic à Belgrade, et le socialiste Laurent Gbagbo est devenu le nouveau président de la République de Côte d’Ivoire. Il aura finalement obtenu 59,36% des suffrages exprimés, contre 32,72 % pour le général qui a pris la fuite. Robert Gueï, qui était venu pour “balayer la maison ivoirienne et partir” mais qui avait voulu finalement s’y installer, a été lui-même “balayé”!
Quel bilan?
Maintenant, que peut-on dire? Il semble que le spectre d’une guerre civile ne soit pas encore écarté. A cause notamment d’Alassane Ouattara qui refuse de reconnaître le scrutin et la légitimité du président élu, sous prétexte que son éviction a été injuste et qu’avec le double boycott du PDCI-RDA et du RDR, 80% des Ivoiriens n’ont pu s’exprimer. A noter que selon les chiffres officiels, le taux de participation a été de 37,42 %, donc un taux d’abstention de 62,58 %. Ce qui n’est pas catastrophique, à comparer avec certaines élections en Afrique et ailleurs.
ADO, lui, exige toujours l’annulation du scrutin, soutenu en cela par des pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Afrique du Sud, et des organisations comme l’ONU, l’OUA et la CEDEAO. La classe politique française était divisée: tandis que les socialistes étaient pour la reconnaissance, le RPR de Jacques Chirac militait pour la reprise du scrutin. Mais de passage à Paris, le général Eyadéma, président en exercice de l’OUA, a plaidé pour la reconnaissance du scrutin ivoirien.
Il restait à convaincre Ouattara lui-même qui, joignant l’acte à la parole, avait jeté dans les rues, les 25 et 26 octobre, ses militants pour commettre des actes de vandalisme à Abidjan et dans plusieurs villes de l’intérieur: brutalités sur les populations, incendies de véhicules et de maisons, notamment des lieux de culte (églises et mosquées), casses, pillages, affrontements entre militants RDR et FPI et forces de l’ordre, le tout occasionnant de nombreux dégâts matériels. Surtout, on déplore au moins une centaine de morts, dont la plupart sont des militants du parti d’ADO. Après la découverte d’un charnier de 50 personnes tuées par balles près d’Abidjan, on attendait encore le bilan des tueries. La Côte d’Ivoire, pays réputé pour sa stabilité politique et sa légendaire paix sociale – “la paix, notre seconde religion”, disait F. Houphouët-Boigny – va-t-elle basculer dans la violence et la guerre civile, ethnique et religieuse? Tout est à craindre, vu la détermination d’ADO et l’intrusion de musulmans entraînés par le CNI (Conseil national islamique) d’Idriss Koudouss.
Rappelons que l’origine de la crise politique ivoirienne remonte à la mort du président Houphouët-Boigny en 1993. ADO, alors Premier ministre, contesta l’application de l’article 11 de la Constitution faisant du président de l’Assemblée nationale le successeur du président de la République. Mais pour les musulmans, après Houphouët-Boigny, un homme du centre et chrétien qu’ils avaient servi loyalement, il fallait à la tête du pays un homme du nord et musulman, l’islam constituant la première communauté religieuse du pays: 40% de la population.
Si ce chiffre n’est pas contesté, certains l’expliquent par la grande immigration en Côte d’Ivoire dont le plus gros contingent est constitué par des musulmans venus du Mali, de la Guinée, du Burkina, du Sénégal, de la Mauritanie, du Niger, du Nigeria, etc. Il règne entre eux une telle solidarité que l’“ivoirité”, concept se voulant rassembleur des Ivoiriens, est vu par les musulmans comme un concept diviseur en “Ivoiriens de souche” et “Ivoiriens de circonstance”. Peut-être cela est-il vrai. Mais les Ivoiriens, angoissés par une immigration sans comparaison dans le monde – on parle de 40 % de la population! – se sentent de moins en moins en sécurité, surtout depuis la mort du président Houphouët-Boigny dont la forte personnalité constituait une sorte de soupape de sécurité.
Aujourd’hui, les Ivoiriens se sentent agressés démographiquement, culturellement, économiquement (la crise aidant) et maintenant politiquement avec “l’affaire Alassane Ouattara”, l’ancien Premier ministre étant considéré comme un Burkinabé et “candidat des étrangers”. Un “Front patriotique” a même été formé sous la diligence du FPI et du PDCI-RDA pour contrer “l’étranger”! Mais pour les ressortissants du nord musulman, c’est “ADO ou personne” ! Ils se vanteraient d’être les artisans de la chute de Bédié (par la prière) et de Gueï, et ils affirment qu’ils auront aussi la peau de Gbagbo!
Alassane Ouattara, qui a l’esprit rationnel, veut passer par une autre voie: rendre le pays ingouvernable. Une situation qui fait craindre la guerre civile ou l’instabilité chronique en Côte d’Ivoire. En tout cas, tout dépend du leader du RDR qui, après s’être réfugié à l’ambassade d’Allemagne lors des événements des 25 et 26 octobre, a finalement rencontré le président Gbagbo et appelé ses militants à l’apaisement. Mais pour combien de temps? Surtout avec l’intrusion de la religion, où règne le fanatisme, et après le refus d’ADO de participer au “gouvernement d’ouverture”. Laurent Gbagbo promet un “Forum national” à l’instar du “Forum de vérité” de l’Afrique du Sud, pour la réconciliation nationale. L’espoir est permis...
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