ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 402 - 15/12/2000

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 Tchad

La difficile cohabitation intercommunautaire



ISLAM


Depuis la publication de la mouture du Code des personnes et de la famille commandité
par le gouvernement, une agitation fébrile s’empare de certains milieux musulmans

Le séminaire d’adoption du Code musulman des personnes et de la famille, organisé par l’Union des cadres musulmans du Tchad (UCMT) le 28 octobre, est perçu comme étant le summum de cette agitation. Laïcs et démocrates de tout bord soulèvent des questions existentielles jusque-là éludées des débats nationaux, et qui dépassent le cadre de rédaction d’un code.

Danger d’éclatement

La première interrogation que soulève le code musulman est liée à la forme de l’État. Est-ce que les Tchadiens peuvent vivre ensemble dans un État unitaire ou décentralisé, comme l’a proclamé la Constitution de mars 1996? En effet, beaucoup d’indices attestent quotidiennement que l’État unitaire est actuellement incompatible avec les aspirations des Tchadiens. Ils ont plutôt besoin de vivre dans des États fédérés, où ils peuvent exprimer leurs conceptions sociales, politiques et culturelles. Dans ce pays, affirme un haut cadre tchadien du secteur privé, il y a des citoyens qui savent ce qu’ils cherchent: ce sont les musulmans. Cela fait 100 ans qu’ils se battent pour conserver ou agrandir leur espace culturel. Les autres composantes religieuses manquent d’imagination et fuient le débat.

Si des Tchadiens veulent devenir Arabes, c’est leur droit; si d’autres se sentent plus proches des Français par leur histoire, c’est aussi leur problème. L’important est qu’ils se respectent mutuellement pour pouvoir vivre ensemble dans un même territoire. Or, chaque jour qui passe enregistre des signes d’intolérance très accentués du côté des musulmans. Ils sont prêts à cracher au passage d’un chrétien ou d’un animiste.

Plus grave encore, en 1998, une étudiante tchadienne rentrée de la Côte d’Ivoire a reçu un coup de gourdin au marché de Dembé, simplement parce qu’elle portait des habits trop collants. En 1999, Claire Boundou, une jeune femme de Moursal, a été poignardée par un boucher de l’ethnie kréda de confession musulmane, toujours au marché de Dembé. Ce dernier l’a traitée de “adjaba” (femme de rue), comme si la prostitution n’existait pas dans tous les milieux tchadiens. D’où alors viendrait le terme arabe “adjaba”, s’il n’y a pas de prostituées arabes?

Dans une pareille atmosphère, où les relents ethniques et confessionalistes surgissent de partout, est-il vraiment opportun d’édicter un code de vie en société? Si le secrétaire général de l’UCMT affirme qu’à la différence des autres religions, l’islam dispose déjà d’un code des personnes et de la famille, à quoi sert d’en rédiger un autre si ce n’est pour viser autre chose. La communauté musulmane a-t-elle déjà mené des discussions autour de ce nouveau code?

Nous pensons que l’État doit intervenir avec les arguments contenus dans les livres saints pour trancher le débat. Sinon, on risque d’inventer des choses superficielles qui vont diviser les uns des autres. L’important, c’est d’éviter de faire surgir les intégristes de tout bord. Déjà, lors d’une banale discussion sur la question, quelqu’un disait: «...si je suis invité chez un musulman, dès qu’il me dit d’ôter mes souliers avant d’entrer dans son salon, je repars tranquillement chez moi, parce que je n’ai rien à partager avec un type pareil». Ce cas s’est déjà produit à Doba, où le secrétaire général d’une des grandes communes du pays a été sommé d’enlever ses chaussures avant d’entrer dans le salon du préfet. Notre secrétaire général s’est entêté à entrer avec ses chaussures, et a fait capoter la réunion, car l’atmosphère créée par cet incident n’était plus favorable aux discussions.

Le rôle de l’Etat

Une seconde interrogation concerne la légitimité même des rédacteurs du code musulman des personnes et de la famille. Est-ce que l’UCMT, une association de la société civile, peut édicter un code devant régir tous les musulmans du pays? Selon nous, elle est une simple association de cadres musulmans et non de tous les musulmans, même si elle bénéficie en ce moment de la complicité agissante du Comité islamique du Tchad.

Elle peut, à la rigueur, réfléchir pour apporter sa contribution à l’édification d’une loi nationale, mais non pas proposer un texte de loi à caractère confessionnel. La rencontre qu’elle a organisée à la grande mosquée Roi Fayçal de N’Djaména autour du projet de code des personnes et de la famille a été saluée par beaucoup de Tchadiens comme un signe de maturité et de participation à l’élaboration des lois nationales. Or, c’était pour rejeter le projet de texte et en proposer un autre. Il s’agit là d’un activisme suicidaire pour le pays. Car si tous les groupes religieux se mettent à proposer leurs textes, quel sera le sort de la République?

Souvenons-nous du référendum constitutionnel en 1996 qui a mis en exergue la cassure du pays. Les musulmans (nordistes) avaient voté oui, le sud non. Conscient de la situation, le MPS au pouvoir avait créé le Front républicain, pour colmater cette division. Aujourd’hui, le gouvernement brille par un silence complice qui cache la position officielle des autorités. Cependant, pour cet homme d’affaires arabe qui réclame l’anonymat, il n’y a pas encore péril en la demeure. «Nous, Arabes, nous sommes aujourd’hui de simples spectateurs de la propagation de l’islam dans notre pays. L’islam, quoiqu’on dise, est un élément fédérateur et non disjonctif. Ces foqoha (“marginaux”) s’agitent pour rien», a-t-il conclu.

Beaucoup pensent qu’il s’agit d’une manipulation de certains milieux musulmans, en mal de se tailler une assise politique. Le fait de lancer le débat actuel dans le contexte électoral du Tchad n’est pas gratuit. «Ce sont les hommes politiques qui nous mélangent. Les musulmans tchadiens sont des gens essentiellement respectueux de la valeur humaine», a déclaré un grand commerçant musulman de la place. Ce qui fait dire qu’en dehors des Bornouans et des Arabes bédouins tchadiens, les ancêtres de tous ceux qui ont défendu bec et ongle la destruction de leur Muné animiste par les conquérants musulmans au XIIIème siècle doivent se retourner dans leur tombe.


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