ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 402 - 15/12/2000

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Cameroun

Le chemin de croix des veuves



VIE SOCIALE


Le rituel du veuvage résiste au modernisme. L’Etat, les ONG et d’autres s’opposent
aux dérives entraînées par ces pratiques. Les défenseurs de cette tradition n’en démordent pas.

«Des rites de veuvage j’ai gardé  beaucoup de nausée», se souvient Mme Abega d’un ton larmoyant, visiblement indignée.

Madame Abega perd son époux en juin 1999, victime d’un accident de circulation. Tradition oblige, elle doit subir le rite de viduité. Pendant les obsèques de son mari (trois jours), elle reste couchée à même le sol, pieds nus, le front collé contre le plancher, sans jamais se relever. Il lui est interdit de serrer la main à qui que ce soit, et cela jusqu’à l’inhumation du défunt.

Trois jours plus tard elle subit la coutume de l’“arkus” (Ndr: rite de veuvage chez les Beti, dans la province centrale du Cameroun). A ce stade, elle est roulée dans la boue. Ensuite, chargée d’un tronc de bananier, elle court le jeter sur la route, tout en évitant de tomber ou de laisser tomber son fardeau. L’étape de la position assise, poings fermés, précède celle des sauts de grenouilles qu’on lui impose, en passant par la cérémonie de purification à la rivière. Ointe d’huile de palme, elle doit ingurgiter des mixtures constituées de diverses herbes cueillies dans la forêt. Le retour vers la case est rythmé par des coups de fouets et sévices divers que lui administrent des anciennes veuves. Pour finir, la veuve Abega passera la nuit dans l’intimité avec l’un des oncles de son défunt époux.

D’après les régions

Comme Madame Abega, de nombreuses veuves gardent un mauvais souvenir du rituel du veuvage. Mais les habitudes varient selon les cultures et la région.

A l’ouest du pays, la veuve doit se raser le crâne et porter des vêtements noirs ou blancs, pendant une période de viduité qui va de 3 mois à 5 ans. L’interdiction de faire sa toilette intime, la position assise à même le sol, pendant une neuvaine, sont le lot de la veuve du littoral.

En revanche, pour la veuve de la ville de Mbe, dans le nord, le rituel de veuvage est “gai”. Durant les obsèques de son mari, la veuve est gardée par d’autres veuves qui la soutiennent moralement. Elle n’utilisera que des vêtements et des ustensiles neufs, “signes” parmi d’autres d’une nouvelle vie. Elle est dispensée de toute tâche ménagère. La seule obligation étant de ne pas élever la voix.

La femme n’est pas seule à essuyer les pratiques du veuvage. Mais pour le veuf, le rite est plus souple. A l’est du pays, par exemple, l’homme est juste contraint de se coucher sur le ventre, à même le sol, auprès du cadavre de son épouse, sans changer de position. L’épreuve dure une journée. La nuit succédant l’inhumation de son épouse, il devra la passer dans l’intimité d’une autre femme, à qui il laissera ses vêtements. En signe d’un nouveau statut, il vêtira de nouveaux habits. Dès lors, il pourra se remarier.

Croisade anti-veuvage

Selon Monsieur Atangana, chef du village d’Elig Mfomo, dans le centre du Cameroun, le rite du veuvage obéit à la tradition du deuil des sociétés bantoues. Il s’agit, pour le veuf ou la veuve, de rendre hommage au disparu. Pour l’abbé Prosper Abega, de l’archidiocèse de Yaoundé, tous ces rites semblent être «une thérapie de rééquilibrage moral et physique. Les rites doivent continuer, mais il faut les adapter aux conditions de vie de l’homme d’aujourd’hui». Malheureusement, s’insurgent plusieurs victimes, ces pratiques sont souvent l’occasion de beaucoup d‘abus. «Les belles-sœurs, les beaux-frères, etc., profitent de ces coutumes pour régler des comptes avec la veuve ou le veuf, envers qui ils nourrissaient des rancœurs».

Pour juguler ces pratiques inhumaines, des veuves se sont réunies au sein de l’Association des veuves du Cameroun. Objectif affiché: oeuvrer pour l’interdiction des rites de veuvage. Dans ce combat, elles sont assistées par l’Association camerounaise de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF). Les membres de cette ONG écoutent, soutiennent, et réconfortent les victimes de cette tradition. Très impliqué dans cette croisade, le Comité national camerounais des droits de l’homme (CNDL) ne ménage aucun effort pour venir à bout de ces pratiques qui portent «atteinte aux libertés fondamentales de la personne».

Pour l’instant, aucune disposition spécifique du code pénal camerounais ne condamne les violences physiques exercées au cours des rites de veuvage. Cependant, le ministère de la Condition féminine a initié une réflexion, en vue d’élaborer des textes de loi visant à assurer la protection intégrale de la femme dans la société camerounaise. Un texte toujours attendu sur la table des députés.


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