ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 405 - 01/02/2001

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


Tchad
Le Tchad des faussaires


VIE SOCIALE


Le faux est en voie d’entrer dans les moeurs des Tchadiens.

Ces derniers temps, c’est comme si tout le monde ne vivait que par le faux: fausse monnaie, faux médecins, faux médicaments, faux douaniers, faux policiers, faux diplômes, faux documents... Tous ces faux rendent l’atmosphère invivable et les citoyens anxieux.

Faux monnayeurs

Au niveau de la monnaie, le comble a été atteint lorsqu’en 1998 une affaire de faux monnayage a mis en cause la présidence de la République. Au mois de juin de cette année, Lazare Pédro, un Togolais se disant ami du président Déby, est arrêté à Paris en possession de faux dinars de Bahreïn pour un montant avoisinant 2 milliards de francs français. Il s’apprêtait à déposer cette somme pour le compte de M. Hassan Fadoul Kidir, conseiller spécial du président Déby, écrira plus tard François-Xavier Verschave dans son livre Noir Silence (paru aux éditions Arènes en mars 2000). Pour beaucoup de Tchadiens, c’est cette louche affaire qui légitime aujourd’hui les faussaires du pays.

A N’Djaména et dans les autres grandes villes du pays apparaît subitement une classe de faux-monnayeurs qui opèrent en toute impunité. Ils excellent dans la contrefaçon de billets de banque. Ils se font remarquer par un habillement riche et varié: souliers luisants, grosses gourmettes au poing, chapeaux melons et grosses chaînes en or au cou. A cause des nombreuses protections, ils ne sont pas inquiétés et narguent les citoyens à tout bout de champ. Ils détournent des épouses et des filles mineures en quête de pitance quotidienne.

Aidés par des trafiquants camerounais, nigérians et libériens, les faux-monnayeurs tchadiens bâtissent leur fortune au su et au vu de tous. Les commerçants, les banques et les entreprises sont obligés de tester tous les billets de banque qu’ils reçoivent. Les coupures préférées sont celles de 2.000, 5.000 et 10.000 F. Des hommes d’affaires bien connus se font rouler, et finissent dans les filets de la police. Une police misérable et sans moyens, ne peut pas faire valablement son travail. Pire, certains agents de l’ordre pactisent avec les faussaires pour arrondir leurs fins de mois.

Un phénomène généralisé

Le phénomène est encore plus grave lorsqu’il atteint le personnel soignant. En août dernier, un jeune homme de 28 ans se faisant passer pour médecin, “soigne” tranquillement les malades à l’Hôpital général de référence nationale (HGRN) de N’Djaména. Il vient au “travail” chaque matin, participe à la réunion du personnel soignant, comme tout docteur ou infirmier. Il fait des piqûres, consulte les malades, perçoit l’argent de consultation ou d’achat de médicaments pendant 3 mois, avant d’être découvert par les agents de renseignements. Traîné devant la police, le faux médecin affirme qu’il fait cela pour survivre parce qu’il est pauvre...

La douane également n’en est pas épargnée. En septembre 2000, trois jeunes gens, Ali Haggar, Ali Issa Ali et Djidda Abdallah, obtiennent des bulletins, des reçus et des cachets de la douane de N’Djaména. Grâce à ces instruments, Djidda arrive à extraire 30% par quittance. Ali Issa a même eu le culot d’aller au Trésor public retirer une somme de 100.000 fcfa.

Des produits alimentaires comme le sucre en poudre, le sel, le lait, la farine de maïs, vendus aux marchés de N’Djaména, sont faux. Le sucre en poudre, par exemple, vient des pays voisins comme le Nigeria et le Cameroun par le biais de trafiquants. Ceux-ci sont généralement des handicapés (borgnes, aveugles, lépreux, infirmes) qui vont à pied ou dans leur tricycle à Koussri, ville frontalière camerounaise, pour se procurer du sucre et autres articles de ménage qu’ils revendent aux marchés de la capitale. Par pitié, la douane les laisse se débrouiller, dit-on. «A un handicapé, on ne peut prendre son sac de sucre ou de sel; il faut quand même être humain», déclare un jeune brigadier des douanes. Ces handicapés, une fois arrivés chez eux, mélangent le sucre et le sel avec de la levure. Ainsi, d’un coro (environ 2 kg) de sucre, dit-on, ces fraudeurs obtiennent le double. Cette spéculation se généralise au niveau des autres produits comme les liqueurs, les crèmes de beauté, le thé et les médicaments.

Incurie de l’Etat et de la société

Quelles explications donner à cette conjoncture? La pauvreté, la crise économique et sociale, l’absence de contrôle des pouvoirs de l’État, l’oisiveté, le voisinage avec certains pays jugés peu scrupuleux et l’impunité incitent les gens à entrer dans ces manigances. Le fait est que la société tchadienne se sclérose. On entend certains Tchadiens déclarer publiquement qu’ils n’aiment pas la morale. Les moeurs sont dévoyées. L’attitude du Tchadien affable, crédule et naïf est judicieusement exploitée par les faussaires.

Ce phénomène urbain fait encore plus de victimes dans les campagnes. Les éleveurs et les agriculteurs, qui n’ont pas de moyens pour contrôler les faux billets de banque, sont la cible privilégiée des “fay-man”, ces marchands d’illusion. Ces derniers peuvent acheter des têtes de bétail ou des sacs de céréales aux paysans avec la fausse monnaie.

Nombreux sont ceux qui déplorent l’attitude des pouvoirs d’État, trop soucieux d’assurer la sécurité physique. Ils abandonnent complètement le champ social à la débrouille, sans mesurer son impact négatif dans le pays. La répression qu’on voit partout dans le pays est employée pour garantir la sécurité du régime et non pas celle des citoyens. Les pouvoirs publics oublient que les maux sociaux non combattus peuvent constituer la cause essentielle des troubles qui peuvent emporter un régime. Des exemples existent un peu partout dans le monde.

Qu’est-ce qui empêche les services d’hygiène, la brigade financière et même les agents de renseignements, qui essaiment comme des mouches dans la capitale, de faire leur travail? Ils sont corrompus, disent sèchement certains. Cependant, dans une République, les citoyens eux-mêmes peuvent combler les carences de l’Etat par des mouvements associatifs, mais les Tchadiens sont encore loin de jouer ce rôle. Le front syndical, qui peut interpeller les autorités, se préoccupe beaucoup plus de questions de salaire que des conditions de vie des travailleurs. Certaines ONG, qui disent oeuvrer pour le bien-être des populations, ne font que courtiser les pays donateurs pour renflouer leurs caisses, et délaissent les problèmes à l’intérieur du pays. Seule l’association pour la défense des consommateurs (ADC) lève de temps en temps le petit doigt pour dénoncer certaines dérives sociales. Mais l’ADC elle-même a des limites assez graves et arrive difficilement à mobiliser ses militants. Ses mots d’ordres au sujet de la surconsommation d’eau et d’électricité, par exemple, n’ont pas atteint l’écho souhaité. Lors de l’opération de collecte de fausses factures qu’elle a organisée, l’ADC n’en a enregistré qu’une centaine alors que l’affaire concernait des milliers de clients.

Dans un passé récent encore, le Tchadien incarnait à l’extérieur l’image de l’honnêteté, de l’humilité et de la bonté. Cette image n’est plus que souvenir aujourd’hui. Pourquoi, en une décennie seulement, dilapide-t-on un si grand crédit?




SOMMAIRE FRANCAIS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS


PeaceLink 2001 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement