ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 406 - 15/02/2001

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Afrique
Pacifier d’abord — unir par la suite



ORGAN. INTERNAT.


Quelle «Union» peut-on espérer pour une Afrique en proie à la tourmente
de conflits internes et sous-régionaux, de xénophobie, de racisme
et du lourd fardeau d’une dette extérieure qui s’échelonne sans cesse...?

D’une simple déclaration d’intention en septembre 1999 à Syrte, en Libye, l’Union africaine a vu le jour à Lomé au Togo, le 12 juillet 2000. L’ambition des panafricanistes comme Kwamé Nkrumah, Marcus Garvey, Georges Padmore, William Dubois, Cheikh Anta Diop, qui a longtemps nourri l’attente de nombreux Africains, vient enfin d’être transformée en une réalité. Un exploit. Nombre d’Africains, pour ne pas dire tous, pensent que dans cette ère de globalisation, une unité sur des bases solides est une nécessité pour un continent qui ne manque pas de ressources tant humaines qu’économiques.

Ainsi, à l’instar de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’acte constitutif de l’Union consacre les principes fondamentaux d’égalité, de souveraineté et d’interdépendance de tous les Etats membres, de coexistence pacifique et de respect des principes démocratiques. Mais, plus profonde, plus large et plus solide que l’OUA, l’Union africaine est dotée d’une Conférence composée des chefs d’Etat et de gouvernement, d’un Conseil exécutif où siègent les ministres des Affaires étrangères, d’un Parlement panafricain, d’une Cour de justice, d’une Commission exécutive, d’un Comité de représentants permanents, de Comités techniques spécialisés, d’un Conseil économique, social et culturel, et des institutions financières comme la Banque centrale africaine d’investissements et le Fonds monétaire africain. Ainsi, si l’acte est ratifié par les deux tiers des membres, l’OUA disparaîtra en mars 2001 à Syrte, a-t-on décidé à Lomé.

Réticences et erreurs

 Mais, pour noble qu’il soit — et il n’est nullement question de pessimisme mais plutôt de pragmatisme — le projet du leader libyen demande à être examiné de très près. Bien des difficultés jonchent le chemin conduisant à sa réalisation, vu les appréciations diverses, les critiques et les réticences qu’il suscite.

Celles du Sud-Africain Thabo Mbeki, qui le qualifie “d’imprudent”, ont bien un sens, même si d’aucuns les placent dans le cadre de ses ambitions personnelles. Car, à en croire certaines bouches, Mbeki veut avant tout réussir l’intégration rapide des pays de la communauté de développement d’Afrique australe (SADC), sous la houlette de l’Afrique du Sud. De plus, le numéro un sud-africain veut aussi créer un “axe Pretoria-Lagos-Alger”. «C’est pour cette raison qu’il fait de l’Union africaine une priorité accessoire. Ainsi pourra-t-il se présenter comme le représentant souverain de l’Afrique tout entière, et sur un pied d’égalité face aux grandes puissances, lorsqu’il ira discuter de la réduction de la dette extérieure africaine et des questions liées au sida. Il donne l’impression d’un leader qui a besoin de l’Afrique pour mieux se faire entendre sur la scène internationale», ironise un diplomate angolais. Il ne faudrait pas, en effet, que les chefs d’Etat africains utilisent l’Union africaine pour aboutir à leurs ambitions personnelles. Certaines voix laissent entendre aussi que le leader libyen veut, derrière son projet, réaliser son vieux rêve: celui de propager l’islam à travers toute l’Afrique.

Quant au président sénégalais Abdoulaye Wade, il a fait remarquer qu’une certaine dose de prudence a manqué aux chefs d’Etat africains: «Lorsqu’on parle de l’unité africaine, il s’agit d’abord de garantir la possibilité de franchir librement les frontières d’un pays à l’autre. Si cela n’est pas possible, alors ce n’est pas la peine de parler d’unité. En second lieu, je mets les échanges des télécommunications. Puis en troisième, la santé: une même politique d’un pays à l’autre», a-t-il affirmé.

Les chefs d’Etat africains semblent ignorer que l’idée de l’Union passe mieux dans leur propre esprit que dans celui des populations africaines. Pourtant, ce ne sont pas eux qui vont s’unir mais l’Afrique tout entière, dans sa diversité communautaire, politique, économique, culturelle et sociale. C’est pourquoi il aurait fallu procéder par étapes. Chaque gouvernement devrait mener une campagne d’explication du texte et de ses objectifs afin de susciter un débat interne dans chaque pays. Chaque Parlement pourrait ensuite adopter un texte tenant compte des aspirations de la population, et la synthèse de ces différents textes aboutirait au traité de l’Union. En fin de compte, le traité devrait être ratifié par référendum. Si on avait procédé ainsi, l’Union africaine s’instaurerait avec l’assurance d’être assimilée par les populations.

Par ailleurs, que constate-t-on actuellement dans presque tous les pays africains? La xénophobie a atteint un niveau inquiétant, tout comme le racisme. Ce qui s’est passé dernièrement en Libye entre Libyens et ressortissants des pays de l’Afrique subsaharienne sont des faits qui devraient interpeller l’Afrique tout entière. Bien d’autres exemples existent partout en Afrique. Dans tous les pays africains, les communautés étrangères reçoivent de la part des nationaux des noms péjoratifs: les Guinéens sont des Diallo en Côte d’Ivoire; au Congo-Brazzaville et en RDC les Togolais et Béninois sont des Popo, et les Sénégalais, Maliens et Guinéens des Longari.  Les Centrafricains sont des Niaks au Sénégal; les Mossi une “main-d’œuvre spécialisée au service des Ivoiriens” en Côte d’ivoire, et les femmes ghanéennes sont des toutous. Brazzaville et Kinshasa ne sont séparées que par un fleuve, et pourtant les populations de ces villes ne se considèrent pas du tout comme frères, en dépit des efforts déployés par les musiciens des deux pays qui dans leurs chansons en appellent à l’amour du prochain. C’est à peine si la politique du jumelage des deux capitales instaurée par les autorités des deux pays a commencé à porter des fruits. Où en est alors la possibilité de passer librement d’un pays à l’autre comme le veut le Sénégalais Wade?

Pragmatisme

«Nous n’avons pas à porter de jugement sur ce que les Africains choisissent. Nous avons plutôt à être à l’écoute de nos amis africains et, s’ils nous le demandent, à leur donner un appui. Je veux simplement dire que l’expérience que nous avons de la construction de l’Europe nous a enseigné qu’il faut faire preuve de beaucoup de pragmatisme, que les constructions idéales sont difficiles à mettre en œuvre, qu’il faut procéder par étapes. Si ce projet d’Union africaine doit permettre aux Africains de mieux dialoguer entre eux, d’exister mieux aussi par rapport au reste du monde, alors vive l’Union africaine!». Ces propos du ministre français de la Coopération, Charles Josselin, donnent matière à réflexion. D’autant qu’ils font appel à la maturité politique et, partant, au pragmatisme.

L’on s’interroge à cet effet: quelle maturité ont acquis les chefs d’Etat africains pour pouvoir unir l’Afrique, alors qu’ils ne parviennent pas à instaurer l’unité nationale dans leurs pays respectifs, ou à asseoir des régimes démocratiques. Comment un continent en proie aux conflits internes et sous-régionaux peut-il en même temps s’unir? Pourquoi, en effet, la République démocratique du Congo, l’Angola, la Côte d’Ivoire, n’ont-ils pas pris part au sommet de Lomé? N’est-ce pas parce qu’ils s’embrasent? Comment parler de l’unité dans l’ensemble, s’il n’y a pas au préalable d’unité chez chacun?

La Sierra Leone, le Libéria, le Soudan, l’Ethiopie, l’Erythrée, l’Angola, le Niger, la RDC, voire le Congo-Brazzaville et bien d’autres pays en proie aux conflits internes nécessitent d’être pacifiés d’abord, avant d’être intégrés dans les «Etats-Unis d’Afrique». Ceci est une priorité incontournable. Mais, la pacification en Afrique passe nécessairement par l’instauration de régimes démocratiques et de la bonne gouvernance, et de la réduction de la dette extérieure. Il faudrait aussi la suspension des dépenses inutiles, comme les dépenses militaires, car ce genre de dépenses rendent inopérants les programmes de développement.

La stabilité de l’économie de l’Union passera par la stabilité des économies nationales des pays membres. Ne prenons qu’un exemple, celui du pétrole. Dans nombre de pays africains, la supervision du secteur pétrolier a souvent été une affaire exclusive d’un cabinet spécial lié à la présidence de la République, et les sociétés pétrolières servent à remplir des “caisses noires”. Ce n’est qu’un exemple qui atteste de la mauvaise gestion des revenus publics en Afrique. Ce sont là des tares à surmonter si l’on veut faire de l’Union africaine un ensemble économique capable de rivaliser avec d’autres grands ensembles économiques mondiaux.


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