ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 407 - 01/03/2001

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Afrique
ONG et développement


DEVELOPPEMENT


Les ONG sont de plus en plus critiquées.
Certains prétendent même que, malgré leurs meilleures intentions,
elles font plus de mal que de bien.
Quel est le problème?

Aider les nomades à savoir lire et écrire est un énorme défi. Les missionnaires s’y sont essayés. Mais le petit nombre de ceux qui finissent leur scolarité ne retournent pas à la vie nomade, ils émigrent vers la ville. Une ONG dans le nord de l’Ouganda a eu une idée lumineuse: former des instituteurs qui vivraient au milieu des nomades, se déplaceraient avec eux et leur apprendraient, sous un arbre, à lire et à écrire le soir, après le retour des vaches. Les volontaires ne manquaient pas, mais il y avait un problème. L’ONG offrait à ces instituteurs un salaire trois fois plus élevé que celui qu’ils recevaient du gouvernement, créant ainsi une crise dans l’enseignement, car les instituteurs qualifiés quittaient les écoles existantes pour s’enrôler chez elle.

Au Kenya, il y a des milliers d’ONG, actives dans tous les domaines possibles et imaginables. Elles canalisent de grosses sommes d’argent. En 1998-1999, elles ont dépensé 67 milliards de shillings kenyans, près d’un milliard de dollars. Les donateurs, devenant conscients de l’énorme corruption qui paralyse les projets du gouvernement, ont essayé de canaliser de plus en plus l’argent par le secteur privé. Sans aucun doute, beaucoup de bien a été réalisé par les ONG, souvent dans des situations extrêmement difficiles. Mais les ONG sont de plus en plus critiquées et certains sont d’avis que, malgré toutes leurs bonnes intentions, elles font parfois plus de mal que de bien. Pourquoi?

Une industrie en expansion

Les années 90 furent pour l’Afrique des années de croissance démocratique. Toutefois, très peu de pays ont réussi à mettre sur pied des démocraties multipartites qui fonctionnent, et les présidents ont du mal à ne pas s’accrocher au pouvoir absolu jusqu’à la mort. Malgré tout, il y a une culture démocratique qui se développe, et les ONG travaillant au développement, à la promotion de la femme et des droits de l’homme, y ont beaucoup contribué. Mais comme les fonds disponibles sont abondants dans le secteur privé, les ONG se sont multipliées — et pas toujours pour des motifs honorables. Les ministres et les fonctionnaires ne pouvant plus toucher si facilement leurs 10% sur les projets du gouvernement, ont commencé leurs propres ONG pour attirer des fonds. Beaucoup d’intellectuels, sans emploi ou dans une mauvaise situation, ont créé une ONG pour gagner leur vie. Les gens malins découvrent vite la dernière vogue dans le développement et ce que les donateurs aiment entendre pour faire couler l’argent. Malheureusement, comme dit la Bible: “Là où il y a un cadavre, les vautours se rassemblent”. Là où l’argent coule, la corruption abonde.

Une bureaucratie galopante

Toute ONG qui se respecte doit, pour commencer, disposer de trois choses: un bureau, un ordinateur et une Pajero 4x4. Mais souvent on engloutit tant d’argent dans l’organisation du bureau qu’il ne reste presque plus rien pour aider les gens que l’ONG se vante d’aider. Ce n’est pas tout à fait la faute des ONG. La vie dans les pays industrialisés est devenue bureaucratisée à l’extrême. Chaque dépense, même minime, doit être justifiée en cinq exemplaires, et toute décision ou action demande un tas de documents explicatifs jusqu’au moindre détail. Par peur des abus, les donateurs imposent aux ONG leur culture bureaucratique, si bien qu’à la fin la plus grande partie de l’argent et de l’énergie est investie dans l’administration et n’atteint plus le but pour lequel l’ONG a été créée. L’illusion sous-jacente est que la longueur des rapports et leur vocabulaire sont proportionnels à la quantité et la qualité du travail fait sur le terrain.

Un autre travail de bureau qui avale beaucoup d’argent, ce sont les études de faisabilité. Les experts étrangers qui font ces études, ne connaissent souvent pas grand chose des conditions locales, mais reçoivent de gros salaires et allocations. Un exemple connu est celui du Programme pour l’éradication de la pauvreté au Kenya. Pour commencer, 140 millions de Ksh iront à des experts, avant qu’un seul centime ne parvienne aux pauvres, qui n’ont d’ailleurs pas été invités aux discussions.

L’économie locale ébranlée

Un des aspects les plus regrettables est l’effet que les ONG ont sur l’économie locale. Les projets sont financés de l’extérieur et sont souvent dirigés par des expatriés, dont le barème de salaires et de dépenses est basé sur les normes occidentales. Un haut responsable d’une ONG peut recevoir un salaire qui dépasse de très loin celui d’un ministre ou d’un haut fonctionnaire local.

On dit que, pour avoir des personnes capables, il faut y mettre le prix. Le revers de la médaille est qu’on crée ainsi un monde artificiel, très loin des conditions locales. Les ONG vivent en Afrique, mais en réalité elles font partie du monde du dollar, sans beaucoup de connections avec l’économie locale. Au contraire, elles peuvent même déformer et ébranler cette économie locale, causant la hausse des loyers et des prix, et rendant ainsi la vie plus difficile à la population. Souvent, elles détruisent des institutions locales, qui ne pouvant pas rivaliser avec ces barèmes de salaires, perdent du personnel qualifié. Finalement, elles peuvent ruiner les efforts locaux pour bâtir une société civile, et créer une structure artificielle qui s’écroulera dès que les fonds se tariront.

L’esprit d’initiative étranglé

Tout travail de développement a comme devise: “Aider les gens à s’aider”. Mais la voie dans laquelle beaucoup d’ONG se sont lancées a plutôt des effets contraires: elles habituent les gens à recevoir. La pire des tactiques contre-productives introduites est celle des allocations de présence. Les gens sont payés, souvent généreusement, pour venir à une réunion, pour discuter de leurs besoins et de leurs problèmes, et y reçoivent beaucoup plus qu’ils ne gagneraient en travaillant. Le résultat? Plus personne ne fait quelque chose sans être payé. La communauté ne fait plus rien, elle attend le prochain colloque. Les seuls qui profitent de ce système, sont les organisateurs de ces réunions qui peuvent présenter fièrement aux donateurs le nombre de ceux qui sont venus à ces colloques. Peu importe que rien ne soit fait par après. Les ONG ont réussi parfois à créer une classe de gens qui vivent facilement en allant de réunion en réunion et en empochant les allocations. Que Dieu aide l’Eglise ou d’autres groupes qui essayent de mobiliser les gens à se prendre en charge eux-mêmes par leurs propres efforts! Ils ont du pain sur la planche pour réparer les dommage faits.

Manque de continuité

Les calamités attirent les ONG comme le miel attire les mouches. En 1994, lorsque 2 millions de réfugiés rwandais arrivèrent en masse dans les pays voisins (Congo et Tanzanie), les ONG y affluèrent aussi. Certaines ont fait du travail héroïque dans des conditions chaotiques et ont sauvé beaucoup de vies. La tragédie avait émut les cœurs et l’argent était devenu disponible. On a assisté alors à l’arrivée d’autres organisations pour se tailler une part des fonds et de la publicité. Quand les caméras des TV s’en allèrent et que les fonds se tarirent, ces organisations s’en allèrent aussi vite qu’elles étaient venues.

Ces genres d’organisations disparaissent aussi dès les premiers signes de danger. Restent les organisations avec des objectifs à long terme et dont les stratégies sont clairement élaborées. Celles qui restent plus longtemps encore, ce sont l’Eglise locale et la population locale, qui apportent leur aide avant que d’autres n’arrivent, et qui continuent aussi à travailler quand les autres s’en vont. Mais, pour elles, il n’y a généralement pas de caméras qui enregistrent leur travail et qui font de la publicité grandiose pour montrer au monde ce qu’elles font.

Seul le dialogue peut déterminer les besoins

La plus grande faiblesse de beaucoup d’ONG et d’autres organisations de développement est qu’elles arrivent avec un agenda préétabli. Des académiciens et des techniciens étudient les dernières théories en vogue en matière de développement et élaborent chez eux des programmes. Des managers et des spécialistes des relations publiques jaugent ce qui est le plus attractif pour les audiences occidentales. Puis, ils viennent en Afrique, cherchant où ils pourraient mettre en oeuvre ce programme, sous la devise: “A prendre ou à laisser”.

Les gouvernements africains, les Eglises et les communautés sourient, font un petit signe de tête affirmatif à ces sages venus de l’Occident, puis ils s’en vont et emploient l’argent à ce qu’ils pensent être leurs vrais besoins. Les donateurs protestent, mettent fin aux dons et vont ailleurs pour y commettre les mêmes fautes.

Ce jeu n’a pas changé durant ces dernières décennies. Peut-être même a-t-il plus contribué à la corruption qu’au développement. Les dirigeants africains, aussi bien dans l’Eglise que dans la société, ont souvent abusé sans vergogne de l’argent des donateurs, l’empochant eux-mêmes au lieu d’aider la communauté. Les donateurs occidentaux et les ONG ont souvent imposé leurs programmes et leurs idées sans respect pour la vie des communautés locales. Que faut-il donc faire pour sortir de ce dilemme? Un dialogue ouvert et honnête… ce qui est plus facile à dire qu’à faire.

L’Eglise, une ONG?

Dès le début, les Eglises en Afrique ont été les pionniers du travail de développement. Dans beaucoup de pays, elles ont été à la base du développement et les seules organisations à s’y atteler. Beaucoup des premières institutions éducationnelles, médicales et sociales ont été créées par des missionnaires. Ce n’est que plus tard que les gouvernements, et plus récemment les ONG, ont participé ou repris le travail de ces pionniers du développement. Dans la période après l’indépendance, l’Afrique avait de grandes espérances de rattraper le reste du monde, et les Eglises aussi se lancèrent plus profondément dans le développement, qui devint synonyme de la paix. Les diocèses mirent en place de grands bureaux pour le développement, et toute paroisse qui se respectait devait avoir quelques projets.

Maintenant, 30 ans plus tard, beaucoup d’ONG rivalisent avec les Eglises ou entre elles. Il est temps que les Eglises examinent les résultats et se posent quelques questions concrètes:

On peut aussi se demander si tout ce stress au service du développement économique et social n’a pas gêné l’Eglise dans sa mission essentielle: celle de conduire le peuple à Dieu. L’exode de beaucoup de catholiques vers d’autres mouvements religieux et sectes, à la recherche d’une spiritualité, n’est-il pas un signe que bon nombre de gens d’Eglise ont réduit la large vision du royaume de Dieu à des questions économiques et sociales?

Comment évaluer?

Ces critiques faites aux ONG et aussi parfois aux projets de l’Eglise doivent nous pousser à évaluer honnêtement nos efforts. Si on fait le bilan, la balance ne sera pas toute positive ou négative, ni pour les ONG , ni pour l’Eglise. Beaucoup de bien a été fait. Des vies humaines ont été sauvées, beaucoup de souffrances ont été allégées. Beaucoup sont devenus conscients qu’ils peuvent changer les choses et être mieux informés de leurs droits. Il y a eu un échange de connaissances et de savoir-faire pour survivre dans un monde moderne. Il y a eu aussi beaucoup d’engagements et de sacrifices, parfois héroïques.

Mais il y a aussi une longue liste d’ONG bidon, de faux projets ou de projets qui n’ont pas réussi, de gouffres financiers et de fonds qui ont été détournés. Pour évaluer nos projets, posons-nous une simple question: “Quelle est la partie des fonds reçus qui est réellement arrivée aux pauvres et qui a amélioré leur vie de chaque jour?”.


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