ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 407 - 01/03/2001

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Rwanda
La population sortira-t-elle un jour de son cauchemar?


VIE SOCIALE


Une rapide évaluation de la situation, qui se veut objective tant que faire se peut...

Le 6 avril prochain, jour après jour, sept ans se seront écoulés depuis le déclenchement d’un des génocides les plus inquiétants du siècle passé: le génocide au Rwanda contre les Tutsi et les Hutu communément appelés “modérés”, en 1994. Le crime des premiers était d’avoir la même appartenance ethnique que les membres du Front patriotique rwandais (FPR) qui combattait militairement le régime en place. Celui des seconds, d’avoir d’une façon ou d’une autre manifesté leur hostilité contre ce régime et avoir essayé de le renverser démocratiquement.

La prise du pouvoir par le FPR en juillet 1994 avait suscité beaucoup d’espoir, tant chez les Rwandais qui avaient désapprouvé le génocide, que dans l’ensemble de la communauté internationale. Cet espoir a cependant vite été déçu, à la suite du comportement répréhensible des membres de ce front et du nouveau pouvoir: squattage des propriétés privées, emprisonnements arbitraires et disparitions, gestion médiocre du problème de la justice, massacres des populations hutu aussi bien à l’intérieur (destruction du camp de déplacés de Kibeho en avril 1995 par exemple, où plus de 4.000 personnes ont trouvé la mort) qu’à l’extérieur (destruction des camps de réfugiés et chasse de ces derniers en République démocratique du Congo en 1996, où des centaines de milliers de réfugiés hutu ont trouvé la mort), etc.

Il est vrai que l’horrible héritage était et reste lourd à porter: une guerre et un génocide qui ont profondément déchiré le tissu social des Rwandais et provoqué la destruction d’une bonne partie des infrastructures et des biens tant publics que privés; une difficile gestion de cohabitation entre trois composantes de la population — les Tutsi rescapés du génocide, les anciens réfugiés tutsi rentrés après la victoire du FPR, et les Hutu qui habitaient le pays durant tous ces événements — qui ont toutes les raisons de ne pas bien s’entendre entre elles. Quel espoir de sortir de ce cauchemar et de vivre enfin une ère de paix, reste-t-il encore permis aujourd’hui à cette population minée par le poids de son lourd passé?

Sept ans se seront bientôt écoulés sur ce long chemin vers la paix (les plus pessimistes disent vers d’autres drames), parsemé jusqu’ici aussi bien de signes d’espoir que des doutes, souvent assez fondés. Une rapide évaluation, qui se veut aussi objective que possible, tentera de relever les faits les plus saillants de l’évolution de ces dernières années.

Une sécurité et un calme apparents

Au niveau sécuritaire, le calme semble régner aussi bien dans les villes que dans les campagnes. On parle beaucoup moins d’arrestations arbitraires, de disparitions et d’autres sortes d’abus. On parle cependant ici et là d’emprisonnements qui répondent à des impératifs politiques, souvent difficiles à vérifier. (C’est le cas de deux personnes dont l’arrestation est liée à l’emprisonnement du député Mbanda, survenu quelques temps après sa dénonciation des abus excessifs de la classe dirigeante au Rwanda).

Mais cette sécurité est relative. La population se plaint toujours de l’oppression qu’exercent les autorités locales. Certaines d’entre elles continueraient à ravir les biens d’autrui, à menacer les gens et à les contraindre à fuir le pays. Dans la ville de Kigali, on dénonce une recrudescence des vols à main armée et autres actes de banditisme. La psychose du lendemain persiste, tout comme l’absence de perspectives pour bon nombre de personnes. Ainsi, le mouvement de fuir le pays continue et s’accroît. Et il concerne tout le monde, Hutu et Tutsi, simples citoyens et hauts dignitaires (civils et militaires).

Beaucoup de gens se demandent si cette apparente sécurité n’est pas liée au fait que le gros des troupes se trouve au front dans la guerre au Congo. Guerre qui reste une préoccupation de tout Rwandais. Mais en parler reste un tabou, dans la mesure où chacun sait qu’une critique à ce sujet serait mal vue par le régime, voire mortelle. Même les événements comme l’assassinat du président Kabila du Congo en janvier dernier, tout comme la mort d’une centaine d’officiers et hommes de troupes rwandais dans un “crash” d’avion au Congo en avril 2000, passent comme inaperçus dans l’opinion publique rwandaise, alors qu’ils auraient pu servir d’occasion pour un débat de fond sur ce sujet. On préfère se taire. Mais de plus en plus de parents se lamentent pour la perte de leurs enfants sur le front, car il s’agit malgré tout d’une guerre très meurtrière.

Une vie sociale particulièrement nourrie

Au niveau social, quatre thèmes ont nourri les conversations ces dernières années: la récupération des propriétés privées illégalement occupées, le projet de villagisation, les relations Etat-Eglise catholique, le sommet national sur l’unité et la réconciliation nationale, et les juridictions “gacaca”.

Le droit à la propriété privée réhabilité — Au niveau du droit à la propriété privée, on salue en général les efforts faits par le pouvoir depuis ces deux ou trois dernières années pour consacrer ce droit. Beaucoup de personnes récupèrent de plus en plus leurs biens illégalement occupés. On déplore cependant le fait qu’ils soient rendus en très mauvais état, souvent comme conséquence de la colère de ceux qui doivent les rendre, sans jamais pouvoir leur faire payer les dégâts. On trouve aussi des cas de résistance en fonction du rang et du pouvoir de l’occupant, surtout dans les coins retirés, loin du regard de la plus haute autorité du pays. Mais le mouvement semble d’ores et déjà irréversible.

La villagisation et les relations Etat-Eglise — La tension sur deux autres sujets, le projet de villagisation (forcé) et les relations entre le gouvernement et l’Eglise catholique (surtout avec l’emprisonnement de l’évêque Augustin Misago de Gikongoro) a aujourd’hui baissé, le gouvernement ayant lâché du lest sur le projet de villagisation, et la justice ayant prononcé l’acquittement de l’évêque.

N’empêche que ce projet de villagisation imposé de force —officiellement pour faciliter l’accès de la population aux infrastructures de base (curieusement inexistantes), pour des raisons de sécurité disent d’autres personnes — a laissé un goût amer à la population qui l’a subi et qui lui attribue en partie les problèmes économiques qu’elle vit.

Par contre, l’acquittement le 15 juin 2000 de Mgr Misago (jugé pour génocide et crimes contre l’humanité) a détendu l’atmosphère. D’aucuns pensent que ce dossier était hautement politique, y compris le rôle du substitut du procureur de la République qui représentait l’accusation dans cette affaire, et qui a fui le pays après le verdict d’acquittement en faveur de l’évêque, contre lequel la peine de mort avait été requise. Cette affaire aurait aidé à enfoncer l’ancien président Bizimungu, qui l’a déclenché en croyant servir les intérêts de certains membres du FPR qui entendaient faire payer à l’Eglise catholique du Rwanda un coût (moral et financier) élevé de sa soi-disant implication dans le génocide. Cela a par contre été de tout profit à l’actuel président, le général Paul Kagamé, qui est resté en dehors de l’affaire, et qui entretiendrait personnellement de bonnes relations avec l’Eglise catholique.

Les gens continuent cependant, comme par le passé, à déplorer l’attentisme de la conférence épiscopale et son incapacité à user de son pouvoir pour faire évoluer positivement la situation. Certains parlent même de compromission de certains de ses membres avec le pouvoir.

Sommet sur l’unité et la réconciliation nationale
La fin de l’année 2000 a été marquée aussi par le sommet national sur l’unité et la réconciliation nationale, tenu à Kigali du 18 au 21 octobre. Un sommet réussi, mais resté sans garantie de lendemain. Il a rassemblé quelque 800 personnes, dont cinq représentants par commune, une quinzaine de personnes invitées de la diaspora, des représentants d’associations nationales, des représentants des bourgmestres, les préfets, les députés et les ministres. Dans la diaspora, beaucoup de critiques ont été lancées sur la façon dont les participants venant de l’étranger ont été choisis (manque de transparence, à la seule discrétion du régime, refus de billets à certains candidats à la dernière minute, etc.).

De l’avis de ceux qui y ont participé, le séminaire a cependant été un succès, dans le sens où les participants ont osé s’exprimer librement, abordant des sujets qui étaient resté tabous jusque là (droit de deuil pour les Hutu, cas de délations en rapport avec le génocide, etc.). Ils regrettaient cependant la censure exercée par les médias officiels dans la retransmission du déroulement du séminaire, et doutaient sérieusement des possibilités de l’exploitation positive des résultats de ce séminaire qui avait traité des sujets sensibles, notamment: le rôle de la sécurité dans le processus de réconciliation, le rôle de l’histoire, de la gouvernance et des dirigeants dans la gestion de conflits, la promotion de la justice dans le processus de réconciliation.

Le paradoxe de l’économie

Au niveau économique, la situation est assez inquiétante, avec une longue sécheresse qui a sévi surtout dans les régions de l’est du pays (Kibungo, Umutara et Ubugesera) depuis 2000. Une situation aggravée par le fait que les nouveaux occupants, selon l’opinion publique, se sont peu préoccupés de l’entretien de ces terres. En mai dernier, on faisait déjà actionner le levier de la solidarité entre régions, collectant des produits vivriers dans le nord et des contributions financières auprès des fonctionnaires pour venir en aide aux régions sinistrées, particulièrement l’Ubugesera.

Dans la suite, on n’a enregistré que détérioration. De fortes pluies ont pris la relève dès octobre 2000, détruisant dans beaucoup de régions des récoltes prêtes pour la moisson, emportant même des habitations dans le nord du pays, vers la fin de l’année. Résultat: un kg de haricots qui, en avril 2000, coûtait 80 FRW au marché de Kigali, en coûtait 200 six mois plus tard. Dans la même période, un kg de pommes de terre était passé de 30 à 80 FRW. Dans la région d’Ubugesera, la production agricole est tombée de 56.185 tonnes en 1997 à 5.409 tonnes en 2000, soit une diminution de 90,3%! Plus de cinquante personnes sont mortes de faim, cinq mille ont émigré vers d’autres régions, d’autres encore souffrent de maladies liées à la malnutrition.

Cela se passe au moment où le paysan et la personne de la rue dénoncent ouvertement la corruption et le détournement des biens publics par la classe dirigeante qu’ils tiennent pour responsable de leur pauvreté! Ils vous diront volontiers qu’aucun dirigeant ne construit plus de maison sans piscine; que l’Etat brade des marais — dont vivait la population, sans se soucier de son sort — à des firmes privées dans lesquelles les grands détiennent des parts; que les fonctionnaires vivent d’un salaire de misère au moment où leurs dirigeants roulent dans des voitures d’un luxe insolent, etc.

Dans ces conditions, il est étonnant d’entendre la Banque mondiale et le FMI parler de croissance de l’économie du Rwanda. Il est vrai que les critères d’appréciation ne sont pas les mêmes.

Juridictions “gacaca” controversées

L’autre point chaud reste la préparation du système de juridictions traditionnelles “gacaca” pour juger les participants au génocide (autres que ceux accusés de planification du génocide ou de viol). Ce système devrait être déjà opérationnel, mais il reste encore en “pipeline”. Bien qu’en général la population soit favorable à cette alternative, présentée à la fois comme un moyen de désengorger les prisons et de promouvoir la réconciliation des Rwandais, il est étonnant de voir la discrétion dont cette préparation est entourée. On ne sent pas une réelle campagne d’information de la population à ce sujet, alors qu’une sensibilisation maximale, au même titre que sa dépolitisation, est une des conditions de la réussite de cette alternative.

Il convient aussi de souligner le scepticisme qu’affichent beaucoup de professionnels du droit quant à la légitimité et l’efficacité de ces juridictions. Ils ont surtout peur que le système contribue à minimiser le drame même du génocide et qu’il puisse bafouer les droits de la défense. Cette initiative est également décriée par “Ibuka”, organisation des rescapés du génocide, qui voit en elle, ni plus ni moins, une “amnistie déguisée des génocidaires”.

Une démocratisation taillée sur mesure

Au niveau politique, on est en pleine campagne pour les élections communales (de bourgmestres) qui auraient dû se faire déjà en novembre dernier, suivant le calendrier initial. Ces élections se feront désormais le 6 mars 2001 au scrutin secret, mais par voie de système indirect. Les conseillers (responsables des secteurs) élus en début de l’année, auxquels s’ajouteront trois élus au niveau de chaque secteur, éliront le conseil communal, dont les membres éliront en leur sein un bourgmestre. On parle déjà d’une évolution positive à ce sujet, par rapport au système ougandais d’élection par alignement derrière le candidat de son choix, qui avait été critiqué lors des élections des conseillers de secteurs.

On critique cependant le climat de conditionnement qui entoure toute l’opération. On sent que tout est monté de façon à ce que ne puissent percer que les candidats soutenus par le FPR, au pouvoir. En effet, il est interdit aux partis politiques (qui n’existent que de nom, pour les besoins de répartition de postes entre chefs de partis et leurs proches) de faire campagne pour qui que ce soit. Cette interdiction vaut également pour les éventuels candidats. Ces derniers ne feront campagne que lors des élections, quand ils seront présentés aux électeurs!

L’autre inquiétude est liée au caractère particulièrement élitiste du système, pour une population à près de 52% analphabète, dont la grande majorité n’a pas dépassé le cap de l’enseignement primaire, par ailleurs très lacunaire. Les conditions sont telles que, celui qui n’a pas de diplôme de licence ou une ancienneté de carrière de 10 ans dans l’administration ou de 5 ans dans la fonction de bourgmestre, ne pourra prétendre à ce poste! Pour les conseillers de secteurs élus dernièrement, pour être candidat, il fallait être détenteur d’un certificat de quatre ans d’études secondaires. Evidemment, pour la fonction de bourgmestre, on a des communes qui sont en déficit de candidats.

Mais le système a pallié le problème: on peut poser sa candidature dans n’importe quelle commune. Y être recensé comme habitant n’a aucune importance. Dans ces conditions, peut-on dire que les postes sont encore politiques, que la population a une emprise quelconque sur ses dirigeants et ses représentants? Le fossé entre la population et la classe dirigeante est en train de se creuser davantage.

Mais la machine est déjà en route. Les électeurs se sont inscrits au rôle en trois jours, du 5 au 7 janvier dernier. Tout se fait toujours en vitesse, sauf le bien-être de la population. Le processus aboutira en fin de parcours en 2003, à l’issue de la présente transition, avec l’élection du président de la république. Qui sera-t-il? Beaucoup de gens disent que les jeux sont déjà faits. Ce sera toujours le président actuel. Sauf imprévus.


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