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Cameroun L’université coûte cher |
UNIVERSITE
Le problème du “partage des coûts” fait l’objet d’un débat national
Plusieurs centaines d’étudiants ont envahi, le 25 janvier 2001, un amphithéâtre de l’université de Yaoundé I, en brandissant les poings. Au lieu des slogans traditionnels hostiles au gouvernement, les chefs de file lançaient: «Soutenez le fonds!». Et la foule répondait en chœur: «Investissez dans l’éducation!». Ils ont ensuite défilé dans les rues de Yaoundé réclamant un plus grand soutien du gouvernement au “Fonds pour l’enseignement supérieur”.
Ce Fonds, qui était à l’étude au Parlement, est une solution novatrice aux pressions financières auxquelles sont soumises les six universités d’Etat. Pour de nombreux Camerounais, il est évident que le gouvernement, malgré les allocations budgétaires importantes, ne peut simplement plus faire face aux coûts croissants de l’éducation. Le financement de l’éducation est devenu une question politiquement sensible, surtout dans les universités où les étudiants sont bien organisés. A l’orée de 1993, l’imposition des “droits universitaires” au taux de 50.000 francs CFA par étudiant provoqua la fameuse opération “campus mort”. Fin 1999, les étudiants se sont brièvement mis en grève afin de dénoncer les “frais d’utilisation”, imposés par le ministère de l’Enseignement supérieur pour l’hébergement, les repas, l’utilisation des laboratoires et des bibliothèques.
L’université de Yaoundé I, appelée aussi “mère des universités”, nichée sur une des sept collines de la ville, est un motif de fierté nationale. Créée il y a une trentaine d’années, elle a produit de nombreux universitaires et dirigeants exceptionnels. Si Yaoundé I connaît une situation relativement plus favorable que les autres universités, elle commence également à être soumise à rude épreuve: les amphis et les dortoirs sont surchargés, la bibliothèque fait rarement de nouveaux achats, les laboratoires n’ont pas le matériel de base et les enseignants sont faiblement rémunérés.
Le gouvernement doit faire des choix difficiles. Depuis septembre 2000, un décret présidentiel stipule l’éducation de base gratuite et obligatoire pour tous. Comme 30% des enfants ne vont toujours pas à l’école primaire, cela signifie qu’une grande part du budget de l’éducation doit être allouée aux toutes premières classes. Résultat: «il ne reste pas grand-chose», selon le ministre de l’Enseignement supérieur. «La question morale se pose avec acuité, a souligné son homologue de l’Education nationale. Faut-il limiter le financement du Supérieur et se concentrer sur la scolarisation des 30% d’élèves qui seraient autrement condamnés àl’illettrisme?». «En même temps, a-t-il ajouté, nous savons que l’enseignement supérieur affecte grandement le processus de croissance et de développement et que nous ne devons pas minimiser son importance». «L’enseignement supérieur est essentiel pour que le Cameroun résolve ses problèmes de sécurité alimentaire, de santé, de bonne gouvernance et autres priorités de développement», a dit encore le secrétaire du ministère de l’Enseignement supérieur (MINESUP).
De nombreuses pressions
Selon les statistiques du Centre national de l’éducation, aux contraintes financières des universités s’est ajoutée une augmentation soudaine du nombre d’étudiants au cours des dix dernières années, un “débarquement massif” pour citer le doyen de la faculté des sciences de l’université de Yaoundé. Cette augmentation reflète en partie la population croissante des diplômés du secondaire, qui sont nombreux à vouloir entrer dans le supérieur. Durant l’année universitaire 1993-1994, les six universités d’Etat avaient, au total, 47.985 étudiants inscrits. En 1999-2000, la population étudiante globale avait atteint 61.373 inscrits. Mais les universités ne peuvent toujours admettre que 25-30% de ceux qui sont qualifiés, même avec les critères d’admission les plus stricts, constate le secrétaire général du MINESUP. Durant la même période, les infrastructures des universités ne se sont pas développées de manière appréciable. Ce qui a entraîné une détérioration de la qualité des études, avec trop peu d’installations et d’enseignants pour faire face à cet accroissement.
Pour subvenir aux frais d’entretien de base, sans même parler de développement, les universités ont été forcées d’augmenter divers frais imposés aux étudiants. Nombre d’étudiants reconnaissent le bien-fondé de ces frais, mais s’opposent à leur augmentation, car ceux qui viennent de familles démunies ont du mal à joindre les deux bouts. Tout en acceptant le principe du “partage des coûts”, ils insistent pour que le gouvernement et d’autres sources prennent en charge la grande partie.
Le président de l’Union nationale des étudiants camerounais (UNEC ) pense qu’une partie du problème tient aux politiques économiques prescrites par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Le gouvernement, a-t-il déclaré, n’a pas réussi à financer l’éducation de façon suffisante, «et ce pour satisfaire aux conditions de la Banque mondiale et du FMI» qui limitent les dépenses publiques. Or, selon lui, l’enseignement supérieur est «un atout public pour le bien public», et «l’éducation n’est pas un produit commercial, mais un service social qui ne devrait jamais dépendre des principes et des hypothèses du marché».
Le Fonds
Pour générer un nouveau financement pour l’éducation, l’UNEC propose depuis des années un Fonds spécial. Le président Paul Biya en a tenu compte dans son discours du 10 février dernier, à la fête nationale de la jeunesse. Un Comité consultatif interministériel en a dessiné les grandes lignes et les parlementaires négocient actuellement les détails du Fonds pour l’enseignement au Cameroun, destiné à lever chaque année quelque 6 milliards de francs CFA en fonds supplémentaires annuels pour l’éducation. La façon dont les ressources du fonds seront mobilisées et allouées n’a pas encore été finalisée et certains aspects en sont controversés. Certains ont suggéré d’augmenter de 1,3% la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui est actuellement de 18,7%, en consacrant la moitié des recettes supplémentaires au Fonds. Une augmentation de la TVA, cependant, risque d’être très impopulaire. L’UNEC , tout en soutenant globalement le Fonds, s’est dissociée de cette proposition, préférant que 1% de la TVA existante soit réaffecté à l’éducation.
Parmi les propositions moins controversées, figurent de nouvelles taxes sur l’alcool et le tabac, des prélèvements sur les bénéfices des entreprises, une “loterie pour l’éducation”, des contributions volontaires d’individus, d’associations et des collectivités locales... Des personnalités des trois provinces septentrionales, où la scolarisation est faible, organisent aussi un fonds de soutien comparable pour les étudiants et élèves du grand nord.
Seule une partie du Fonds sera consacrée aux universités. Le Programme national de gouvernance (PNG) et les experts du PNUD ont proposé que 40% des ressources du Fonds soient alloués à l’éducation de base et que le reste soit divisé également entre les institutions du secondaire et du supérieur. Le gouvernement voudrait par ailleurs utiliser le Fonds pour renflouer le système de bourses pour les étudiants méritants, qui a accumulé une grosse dette en raison du non-remboursement des prêts (en partie parce que les diplômés universitaires ont du mal à décrocher des postes convenables). Mais nombre d’enseignants du supérieur, regroupés au sein du Syndicat national des enseignants du supérieur (SYNES), préfèrent qu’une partie importante du Fonds serve à améliorer l’infrastructure, à revaloriser le salaire des professeurs et à recruter de nouveaux enseignants plus qualifiés.
Réactions mitigées des donateurs
Depuis 1987, les bailleurs de fonds ont versé un peu plus de 87 millions de dollars à l’enseignement supérieur du Cameroun, dont 30 millions sont venus de la Coopération bilatérale française dans le cadre du Projet d’enseignement supérieur 1993-1998.
L’Agence française de développement qui, pour l’instant, n’a pas d’initiative en matière d’enseignement supérieur au Cameroun, a qualifié le projet initial de “marginalement satisfaisant”. A son avis, les inscriptions à l’université ont augmenté trop rapidement, sans qu’une attention adéquate soit accordée à des mécanismes de financement durables ou à un programme global “cohérent” au-delà de l’éducation de base. Cette dernière critique est partagée par certains experts camerounais. Le Cameroun a besoin d’un “plan directeur” d’ensemble qui intègre diverses composantes, fait valoir M. Eric Kamgang, président du Centre pour la démocratie et le développement, un groupe de réflexion non gouvernemental. Une fois qu’un «programme crédible pour fournir un enseignement supérieur de bonne qualité à un coût viable sera en place, déclare Robert Lacey, le représentant résident de la Banque mondiale, les donateurs seront plus qu’heureux de venir et de soutenir cet effort important».
Les Camerounais devraient pouvoir développer leurs talents au plus haut niveau, soutient le coordonnateur du PNG, qui s’interroge: «Pourquoi devrions-nous, en football, concurrencer les meilleurs du monde, alors que pour d’autres talents certains maintiennent que c’est inapproprié?». «Les pays donateurs veulent-ils que le Cameroun reste tributaire de l’aide technique étrangère, afin d’assurer un emploi à leurs propres ressortissants?», demande-t-il. S’adressant aux donateurs qui privilégient uniquement l’éducation de base, le directeur du Centre national de l’éducation a également demandé: «Voulez-vous que les Camerounais se contentent de tailler du bois et de puiser de l’eau, ou qu’ils progressent?». Etant donné les besoins en développement du Cameroun et l’évolution rapide de l’économie mondiale, il faut que l’enseignement supérieur accède à l’ère nouvelle.
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