ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 410 - 15/04/2001

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Cameroun
Le “Commandement opérationnel” 
fait des vagues


DROITS DE L’HOMME


Exécutions extrajudiciaires, disparitions mystérieuses
dont celle des “neuf de Bépanda” qui défraie la chronique.
Des réactions de par le monde.
Le président Paul Biya sort de sa réserve

En créant par décret présidentiel du 20 février 2000, un Commandement opérationnel (C.O.) chargé de lutter contre le grand banditisme dans la province du littoral, dont Douala est la capitale, Paul Biya ne redoutait pas des contestations. Officieusement baptisé “Opération scorpion noir”, ce C.O. est venu remplacer les opérations “Araignée I” et “Araignée II”, mises en place pour mettre un terme à la recrudescence de la criminalité dans la ville de Douala. Le C.O. est chargé de coordonner les activités de tous les services de sécurité basés dans la province du Littoral. Le général Mpay est nommé commandant opérationnel, en cumul avec ses fonctions de commandant de la deuxième région militaire. A sa disposition, outre les hommes en tenue, un budget de trois milliards de francs CFA et un matériel qualifié de pointe.

Les résultats ne se feront pas attendre. Dès le démarrage de la mission, douze malfrats sont neutralisés à grand renfort de publicité. Des armes et munitions sont saisies. Mais bientôt, les descentes intempestives des militaires sur le terrain donnent lieu à des bavures et des exécutions sommaires. Le 6 avril 2000 à l’aéroport international de Douala, Ebanda Emmanuel trouve la mort suite à une altercation avec des hommes en uniforme, qui rapporteront plus tard qu’il s’est lui-même donné la mort en se cognant la tête sur le macadam. Le 27 avril 2000, Mlle Cécile Ngono est tuée par balle dans un taxi; selon les militaires, le chauffeur aurait refusé de s’arrêter à un poste de contrôle...

La fosse commune au “Bois de singes”

La découverte d’une fosse commune au cimetière “Bois de singes”, à Douala, provoque un tollé. Le professeur Jacques Fame Ndongo, ministre de la Communication, apporte un démenti aux propos du correspondant local de la BBC, qui a employé le mot «charnier». Selon le ministre, il n’y a aucun lien avec le C.O.: «il s’agit de corps abandonnés à l’hôpital Laquintini, ou qui traînent parfois dans nos rues(…), et qui ont été inhumés de façon sommaire».

Entre-temps, les contestations vont bon train. Le ton de ces critiques est donné le 16 juin 2000 par celui que beaucoup appellent “le prélat rebelle”. Il s’agit du card. Christian Tumi, qui n’a pas hésité à saisir le gouverneur de la province du Littoral sur les agissements du commandement opérationnel. Christian Tumi relève «de nombreux cas de torture, de blessures graves et d’assassinats(…) sur des victimes innocentes, ou peut-être coupables, mais sans jugement». Il précise que «beaucoup de familles n’ont pas retrouvé le corps de leur fils: plus de 500 personnes exécutées, hommes et femmes confondus, jeunes filles et garçons».

Accusé de soutien aux malfrats, le cardinal Tumi écrit une autre lettre le 20 août 2000. Cette fois, elle est destinée «Aux voleurs et aux braqueurs, pour leur dire en quoi je les soutiens et en quoi je ne les soutiens pas(…) Je ne dis pas qu’il faut laisser libres les voleurs, ni qu’il ne faut pas les condamner s’ils sont reconnus coupables». Et il poursuit: «L’Eglise catholique a, elle aussi, des raisons particulières de ne pas soutenir les voleurs: prêtres, religieux et missionnaires ont été victimes des brigands ces derniers mois. Il n’empêche qu’il faut leur donner la possibilité de s’expliquer et les juger en droit».

Les neuf de Bépanda

Les lettres de condamnation du C.O. se multiplieront avec l’annonce de la disparition des “neuf de Bépanda”: Marc Etaha, Frédéric Ngouffa, Chatry Rutty, Eric Chila, Jean Roger Chiwan, Kouatou Charles, Chia Effician, Kouatou Elysée, Kuaté Fabrice. Ils furent arrêtés le 23 février 2001, soupçonnés de vol d’une bouteille de gaz. Transférés dans un centre de détention du C.O. à Bonanjo-Douala, ils reçurent les membres de leurs familles le 26 et le 27 février 2001. Ils seront par la suite conduits vers une destination inconnue. Toutes les démarches réalisées et les recours présentés pour les localiser s’avèrent vains.

A la suite d’Amnesty International, Ivan Tossevski, président du groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires, vient de saisir l’État du Cameroun sur la disparition des neuf de Bépanda. Il écrit: «Le groupe de travail souhaiterait attirer l’attention du gouvernement sur les principes fondamentaux inscrits dans la déclaration universelle des droits de l’homme et dans les instruments internationaux concernant le droit à la vie et à la sécurité de la personne, en particulier pour les personnes qui sont en détention ou en garde en vue». Il exprime aussi l’espoir que des enquêtes appropriées seront entreprises pour élucider le sort des personnes portées disparues, de même que l’endroit où elles se trouvent.

Selon le bulletin de l’Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT), les neuf de Bépanda ne représentent en réalité qu’une infime partie des victimes du C.O. entre février 2000 et février 2001. L’ACAT déplore la focalisation de l’opinion internationale sur ces neuf jeunes gens, alors que les données dont elle dispose permettent d’estimer sans risque d’erreur à plus de mille le nombre de victimes. L’ACAT communique par ailleurs les modes et les lieux d’exécution, et affirme que ces exécutions revêtent le même caractère arbitraire et extrajudiciaire. L’ACAT demande àl’ONU, à la Commission des droits de l’homme de l’OUA et aux organisations internationales des droits de l’homme d’envoyer d’urgence au Cameroun une commission d’enquête internationale afin de faire le point sur les faits et amener l’Etat camerounais à rendre justice aux victimes.

La réaction du Social Democratic Front (SDF), principale formation politique de l’opposition représentée à l’Assemblée nationale, ne s’est pas fait attendre. Le groupe parlementaire du SDF, par la voix de son président Mbah Ndam Joseph Njang, a rendu publique sa résolution portant constitution d’une commission d’enquête parlementaire concernant les neuf disparus à Douala. «L’heure est grave. Il faut se mobiliser pour arrêter les escadrons de la mort qui prennent nos villes en otages», a déclaré le député SDF.

Il n’en fallait pas plus pour que Paul Biya, président de la République, sorte de sa réserve. Il vient par décret présidentiel de créer une commission d’enquête approfondie sur le cas des neuf Camerounais kidnappés à Bépanda par l’armée. Une réaction du président qui suscite des commentaires. Selon l’honorable Mbah Ndam, «les tueries viennent d’être confirmées par la création par le chef de l’Etat d’une commission d’enquête approfondie (…) Nous préconisons une marche de dénonciation du C.O. à Douala en avril 2001».

Albert Dzongang, ex-député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti au pouvoir, propose «de constituer autour de l’ACAT, une commission indépendante pour établir, comme elle a commencé à le faire, la liste exhaustive des victimes du C.O.».

Beaucoup souhaitent que les résultats de la commission d’enquête approfondie soient rendus publics, contrairement à d’autres enquêtes dont les conclusions sont toujours restées un mystère pour les Camerounais.


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