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Cameroun Le père Mveng, un sphinx de la pensée |
PERSONNALITES
Il y a six ans, mourait tragiquement le père Angelbert Mveng, de la Compagnie
de Jésus.
Aujourd’hui, il survit grâce à sa monumentale œuvre artistique,
intellectuelle et littéraire.
Evocation d’un sphinx de la pensée
Dans la nuit du 22 au 23 avril 1995, des sicaires visiblement commandités par les “puissances des ténèbres” scellaient son sort. Le 23 avril 1995, le petit village de Nkolfané (dans la banlieue ouest de Yaoundé) découvrait le corps inanimé du père jésuite. Etranglé, couché dans son lit face au plafond, les mains perpendiculaires au corps, en forme de croix. Depuis lors, une épaisse nébuleuse entoure toujours cette affaire. Black-out total sur les auteurs, les commanditaires et les mobiles de ce “crime de professionnel”.
Dans le clergé local et le pays tout entier, ce fut la consternation générale. Déplorant l’incurie des autorités, les évêques du Cameroun soulignaient que «(…) cela fait au moins naître des doutes sur la compétence ou plutôt sur la volonté réelle des services chargés de ce genre de choses dans notre pays».
Les propos du ministre camerounais de la Justice, le 31 mars dernier, selon lesquels l’affaire de l’assassinat du père Mveng serait encore au stade de l’instruction (six ans plus tard!) rajoute au flou ambiant. En fait, la disparition du père Mveng fut ressentie comme une perte monumentale pour l’Eglise catholique locale, le Cameroun et toute l’Afrique. Outre la prêtrise, le religieux était historien émérite, artiste distingué, théologien réputé et intellectuel intègre.
Un homme polyvalent
Artiste, il s’est distingué par sa polyvalence. Nouvelliste, poète, peintre et sculpteur, il était tout cela à la fois. Les fidèles catholiques de Yaoundé lui doivent la splendide mosaïque qui orne le cœur de la cathédrale Notre Dame des Victoires. En 1990, l’église Saint-Ange de Chicago (Etats-Unis) bénéficia d’une fresque, œuvre de feu le père Mveng. Le jésuite est aussi l’auteur d’une mosaïque à la basilique de Nazareth (en Terre Sainte).
Dans son esthétique littéraire, le père Mveng apparaît comme le chantre de l’ancrage des lettres au patrimoine culturel africain. Il rejette la légèreté de “l’art des aéroports”, un art superficiel, destiné à assouvir les fantasmes et les désirs des touristes, en mal d’exotisme. Parlant de la majorité des écrivains camerounais, et par ricochet africains, il regrette leur acculturation. «Ils ne connaissent leur société qu’à travers les drames de la crise au sein de cette société par l’agression coloniale. Voilà pourquoi ils ignorent leur langue, leur art, leur histoire, leur religion, leurs rites…». Joignant le geste à la parole, il publie le recueil de poèmes Balafon. Il y réécrit l’histoire africaine. Exaltant les temps glorieux de l’Afrique, il combat l’afro-pessimisme et réhabilite les honneurs perdus du continent noir. Au-delà de l’exploitation et de l’asservissement de l’Afrique, Balafon illustre aussi l’apport du continent noir à la civilisation universelle (voir le poème New York). A la fin du recueil, l’Afrique embrasse le monde. L’amour et le pardon priment sur toute autre considération, et sont au centre de toute existence pacifique.
Comme historien, le père Mveng était un homme engagé, soucieux de restituer à sa manière la personnalité bafouée de l’Afrique. C’est sans doute pourquoi il se passionne pour l’histoire des civilisations; celle qui étudie l’apport de l’Afrique au développement de l’humanité.
Théologien de la libération
En théologie, le père Mveng fut l’auteur d’une œuvre remarquable. Il fut ainsi l’un des chantres les plus en vue de la théologie de la libération en Afrique. Et contrairement aux idées reçues, il soutient même que l’Afrique est le berceau de la théologie de la libération. «En 1955, la revue “Présence africaine”, sous l’impulsion de son fondateur M. Alioune Dioup, lançait à travers le continent africain une campagne qui devait aboutir en 1956 à la publication d’un ouvrage célèbre: “Des prêtres noirs s’interrogent”. C’est le premier grand manifeste de la théologie africaine moderne de la libération. Ce n’est qu’à partir de 1960 que l’Amérique et plus tard les communautés noires des Etats-Unis d’Amérique vont lancer leur théologie de la libération. Les ouvrages de Gutierez et ceux de James Cone sont postérieurs à 1960».
Ceci dit, le père Mveng explique sa conception de la théologie de la libération. «La théologie de la libération, relève-t-il, a pour point de départ la fonction de notre foi dans la vie quotidienne de chacun de nous. Si Dieu s’est révélé à nous, c’est pourquoi? Voilà la question de la libération, et elle répond à cette question en ayant recours à la révélation. Qu’est-ce que Dieu nous dit dans ce que nous appelons la parole de Dieu? Et la Bible nous répond: Dieu s’adresse à l’homme pour sauver l’homme, pour le libérer». Ainsi précise-t-il la méthode. La théologie de la libération, selon lui, est d’abord contextuelle. «On lit toujours la Bible à partir de là où on est, c’est-à-dire à partir de son contexte». Pour les Africains, ce contexte est essentiellement lié à la libération culturelle et spirituelle. Car «l’Afrique a été dépouillée de toutes ses richesses (…), notamment de son identité, de sa culture, de son histoire et des multiples expressions de foi».
Précisons encore que le théologien se démarque de la théologie de la libération latino-américaine, teintée de marxisme. Selon lui, c’est une analyse partielle qui ne prend pas en compte la situation réelle de l’Afrique. L’apartheid, le racisme et la colonisation sont éludés. De plus, cette théologie coexiste avec le racisme au Brésil et dans toute l’Amérique latine, où «Peaux-Rouges et Noirs (…) n’ont pas droit à la parole». Heureusement, reconnaît le père Mveng, la situation évolue, grâce notamment à l’association oecuménique des théologiens du Tiers-Monde.
NB: (1) Toutes les citations sont extraites de l’ouvrage «Théologie, libération et culture africaines», entretien de Benjamin Lipawing avec Angelbert Mveng, Yaoundé, Editions Clé et Présence africaine, 1996, – BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE: «L’histoire du Cameroun», Paris 1963 - «Liturgie cosmique et langage religieux», Paris 1964 - «Dossier culturel panafricain», Paris 1966 -«Les sources grecques de l’histoire négro-africaine: depuis Homère jusqu’à Strabon», Paris 1972 - «L’art d’Afrique noire», Yaoundé, 1974 - «L’Afrique dans l’Eglise: parole d’un chrétien», Paris 1986 - «Spiritualité et Libération en Afrique», Paris 1987
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