ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 413 - 01/06/2001

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Zimbabwe

L’exode des cerveaux


VIE SOCIALE


Beaucoup de travailleurs qualifiés quittent le pays, à la recherche de meilleures perspectives.
C’est une situation inquiétante pour un pays passant d’une crise à l’autre

Les brochures de publicité touristique décrivent le Zimbabwe comme “le paradis de l’Afrique”. Dans une certaine mesure, pour le voyageur étanger à qui cette publicité est destinée, c’est peut-être vrai. Un climat idéal, des gens affables et quelques-uns des paysages les plus impressionnants du monde font du Zimbabwe une destination touristique attractive. Ajoutez à cela, la faiblesse du dollar zimbabwéen et vous avez un “paradis” au rabais.

Mais pour la plupart des Zimbabwéens, la situation est totalement différente. Les conditions économiques du pays ne font qu’empirer. Liées à une violence politique sans fin, commencée à l’approche des élections législatives de juin, elles ont poussé beaucoup de Zimbabwéens à chercher un “paradis” ailleurs. Au début, dans les années 1990, ce furent surtout les Blancs qui choisirent de quitter le pays, bien avant que l’économie n’ait commencé son déclin inexorable. Mais de plus en plus de jeunes Noirs partent aussi. Le chômage est à son apogée (65%!) et les entreprises commerciales doivent fermer ou réduire leur production. La main-d’œuvre non qualifiée est la plus atteinte; ces ouvriers sont les premiers à être mis au chômage. Mais ce qui est tragique, c’est que ce sont les personnes qualifiées, celles que le pays ne peut se permettre de perdre, qui quittent le pays de plus en plus nombreuses pour de plus “verts pâturages” dans d’autres parties de l’Afrique ou ailleurs. Dans la plupart des cas, ceux qui partent sont des jeunes, dont la formation a pourtant coûté très cher au gouvernement.

 

Le secteur de la santé

Le secteur de la santé est un de ceux qui ont été le plus durement touchés. Les infirmières et les médecins quittent en foule le pays. La destination favorite semble être la Grande-Bretagne. Les infirmières zimbabwéennes y sont très demandées, dit le porte-parole du Haut Commissaire britannique. «Elles ont eu une bonne formation et elles s’adaptent vite aux standards britanniques». Il ne peut cependant donner des chiffres, l’ambassade ne donnant que des visas. Les permis de travail sont accordés par le Département britannique de l’éducation et de l’emploi. Il y a quelques années, la crise créée par l’exode de tant d’infirmières atteignit un point si critique, que le gouvernement envisagea de recruter des infirmières tanzaniennes.

Dans cet exode, il n’y a pas que l’attrait d’une meilleure rémunération, il y a aussi d’autres facteurs. Selon le Dr Reginald Matchaba-Hove, chargé de cours en santé professionnelle à l’Ecole de médecine de l’université du Zimbabwe, les jeunes infirmières cherchent surtout la satisfaction dans le travail et la possibilité de perfectionner leur formation. Une d’entre elles qui envisage sérieusement d’aller travailler en Angleterre, affirme: «Le manque de médicaments et d’équipements dans nos hôpitaux est terrible. Cela brise le cœur de voir mourir des patients d’une maladie curable, parce qu’il n’y a pas de médicaments».

Le professeur Norman Nyazema, directeur du Programme de troisième cycle, a le même sentiment: «Nos hôpitaux deviennent de plus en plus des mouroirs. Il n’y a pas de médicaments, pas de nourriture et bientôt il faudra apporter sa propre literie». Certaines personnes s’en vont aussi parce qu’ailleurs elles sont acceptées et reconnues, ce qui n’est pas toujours le cas au Zimbabwe. «Le gouvernement les traite de manière injuste».

Pour le moment, moins de deux mille médecins sont enregistrés au Conseil de la profession médicale du Zimbabwe. «Cela ne signifie pas que tous exercent la médecine dans le pays», précise un porte-parole du Conseil. A cause du manque de médecins, le gouvernement a dû faire appel à des médecins venant d’autres pays, surtout de Cuba.

D’autres pays, en particulier le Botswana, la Namibie et l’Afrique du Sud, ont profité de cet exode. «Beaucoup de médecins sont allés en Afrique du Sud, mais actuellement ce n’est plus si facile d’y aller», dit Matchaba–Hove, faisant allusion à un traité entre les gouvernements de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe visant à endiguer l’exode.

L’Australie et le Canada sont aussi deux destinations favorites pour beaucoup de Zimbabwéens; des “experts en migration” privés de ces deux pays ont des bureaux au Zimbabwe. Ils font régulièrement de la publicité dans les médias. Certains ont des années d’expérience dans l’implantation d’émigrants venant de l’Afrique du Sud. Un porte-parole de l’ambassade d’Australie admet que les demandes pour un visa augmentent, tout comme les demandes de renseignements pour trouver un travail. Pour l’Australie, les permis de travail sont traités à Pretoria.

Adieux définitifs

Certains quittent temporairement, juste pour faire un peu d’argent, pour aider la famille et peut-être pour acheter une maison ou une voiture, ou pour se lancer dans les affaires. Pour d’autres le départ est définitif. L’infirmière Angela Moyo, son mari Nicolas, comptable, et leurs deux enfants sont en route pour San Francisco, Etats-Unis. Ils ne comptent pas revenir au pays. «La vie devient très difficile ici. Nous ne pouvons même pas acheter une maison à cause des hauts taux d’intérêt. Nous devons aussi songer à nos enfants. La tournure que prennent les choses pour le moment ne laisse pas beaucoup d’espoir pour l’avenir», dit-elle.

Par manque de techniciens en informatique, les pays industrialisés recrutent du personnel dans les pays en développement. Au Zimbabwe aussi on assiste à l’exode de ces techniciens. «Nous avons toujours eu des personnes qui quittaient le pays, mais pas à ce point», dit Geoff Fairail, directeur exécutif de la Société d’informatique du Zimbabwe. Selon lui, deux cents personnes, surtout des jeunes, travaillant dans l’informatique, ont quitté le pays ces deux derniers mois. «Même nos propres membres donnent leur démission et demandent une recommandation pour s’engager dans des sociétés d’informatique dans un autre pays. Il y en a aussi qui veulent passer un examen pour la licence de “Computer Driver”». Cette licence devient de plus en plus une condition que les employeurs exigent des personnes qui utilisent leurs ordinateurs.

Jusqu’ici, la Société d’informatique du Zimbabwe ne connaît pas de compagnies qui ont dû fermer à cause du manque de personnel, mais Fairail croit que l’industrie va le ressentir: «A court terme, nous devrons remplacer les positions devenues vacantes par du personnel inexpérimenté. Mais si cet exode continue, nous serons obligés de faire venir des expatriés». Et il ajoute: «Il est aussi possible d’utiliser des systèmes contrôlés depuis l’Afrique du Sud, mais dans les deux cas nous devrons les payer en devises étrangères, dont nous manquons». Par ironie du sort, les techniciens sont embauchés via Internet, où des “chasseurs de têtes” font leur publicité.

L’incertitude...

D’autres personnes qualifiées et professionnelles se joignent à l‘exode, pour différentes raisons. Mais c’est l’incertitude économique et politique qui est la plus importante. Un cadre d’une agence de placement, qui requiert l’anonymat, dit: «Beaucoup de professionnels s’en vont – des comptables, des artisans, même des dirigeants d’entreprises; et à cause de la fermeture des mines, des personnes qualifiées de ce secteur sont aussi obligées de partir».

Selon le responsable des relations publiques du Zimbabwe Institut of Management, Joy Mutema, des contrats plus avantageux attirent ailleurs des dirigeants expérimentés. «Nous n’avons pas des données sûres, nous savons que certains quittent le pays, et c’est là un des facteurs qui affecte notre économie».

Certains suivent la filière officielle pour régulariser leur résidence dans le pays qu’ils ont choisi, mais des milliers y sont illégalement, s’occupant de tâches ingrates et risquant la déportation malgré leurs hautes qualifications. “John” est un enseignant diplômé dans le secondaire; il a fait la plonge et d’autres petits boulots à Londres pendant trois ans. Il raconte: «Je gagnais plus que ce que j’ai jamais pu gagner ici. J’envoyais de l’argent au pays pour aider mes enfants pour qu’ils puissent aller à l’école. Je suis revenu au pays et je regarde autour de moi, mais ce que je vois m’incite à retourner en Angleterre ou dans un autre pays». N’a-t-il jamais le mal du pays? «Bien sûr. Mais à quoi sert le pays si vous ne pouvez vous nourrir ou vous habiller, et si vous n’avez pas d’avenir?».


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