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Sierra Leone |
ECOLOGIE
Quand un pays est-il vraiment développé?
Le développement doit-il se faire
au détriment de l’environnement?
L’auteur analyse certains de ces problèmes
Le gigantesque dragueur de Payne (de la dimension d’un bâtiment de quatre étages, avec ces 68 godets creusant à 25 mètres de profondeur, chaque godet pouvant ramasser 3 tonnes) est capable de creuser jusqu’à 1.097 tonnes de minerais de rutile par heure. (Ndlr - Le rutile est un minerai de dioxyde de titane, sous forme cristalline; il est une source importante de titane). Deux autres dragueurs éventrent la terre, ne laissant que de l’eau et des vastes étendues de terre sans couche arable, inutilisable pour l’agriculture.
Il y a aussi une usine qui traite 34 à 40 tonnes de minerais de rutile par heure, et une usine de broyage à sec, réputée être l’endroit le plus dangereux pour les travailleurs. Elle peut produire par heure 16 à 20 tonnes de rutile pur à 97%. Le travail dans ces usines continue 24 heures sur 24, sans aucune interruption.
Problèmes d’environnement
Jamais, dans l’histoire de la Sierra Léone, on avait assisté à un désastre écologique comme celui causé dans la région par la Sierra Rutile Limited (SRL) avec ces trois gigantesques usines flottantes en pleine activité. La SRL ne s’intéresse qu’à l’exploitation des minerais et s’en va après avoir dévasté la terre. Ensuite, la Compagnie de construction ABU prend la relève, comble les excavations géantes ou construit des barrages pour avoir le contrôle des profonds étangs formés par l’eau qui a rempli ces grands trous. ABU y déverse aussi des déchets de produits chimiques non traités, utilisés dans l’attritionnement (processus de purification au moyen de produits chimiques), et dans la neutralisation et la purification du souffre et du zircon dans le lac Grey et les eaux environnantes: hydroxydes de sodium, acide chlorhydrique, acide sulfurique, bentonite, fluorine, xanthate, etc. Cela crée de très graves problèmes d’environnement pour la flore et la faune, et bien sûr pour les générations présentes et futures de la Sierra Leone.
Le mois dernier, le ministre des Ressources minérales, Swarray Deen, a annoncé qu’en juillet de l’année prochaine, après douze mois de travaux de rénovation, la SRL qui exploite le rutile dans le district de Moyamba, pourrait reprendre ses opérations . «Si on parvient à contrôler avec succès la situation politique et la sécurité nationale, alors l’exploitation et la production du rutile, qui s’est interrompue en 1995 quand les rebelles du RUF ont attaqué le site de la mine, pourra reprendre en juillet 2002».
Le gouvernement de la Sierra Leone a reporté la date des élections à la fin de l’année. Selon des sources au bureau électoral, le gouvernement est financièrement en faillite et ne peut organiser des élections démocratiques décentes. Il semble que le gouvernement essaye de gagner du temps pour contenir et chasser le Front révolutionnaire uni (RUF) des champs de diamants. Le gouvernement, qui avait d’abord exigé «des élections avant la paix», veut maintenant «la paix avec le RUF avant les élections». Des sources à Freetown affirment que «le gouvernement cherche des fonds dans tous les secteurs possibles, notamment celui des diamants et celui des mines de rutile». (Jusqu’en 1994, le dioxyde de titane [TiO2] connu sous le nom de rutile, avait été la plus grande source de devises étrangères pour le gouvernement).
L’histoire de la SRL désole bien des gens dans la chefferie d’Impere, dans le sud-ouest de la Sierra Leone. Quand les rebelles envahirent Mobimbi en 1995, les mines disposaient de ce que le gouvernement appelait une “base de soins et d’entretien” et étaient protégées par une “armée privée”, à savoir des mercenaires. Ensuite, la population locale n’a plus été protégée et beaucoup ont perdu la vie dans les incursions du Sobel (des soldats et des rebelles).
Selon le ministre Deen, les actionnaires ont perdu beaucoup durant ces six dernières années, mais, ajoute-t-il: «Heureusement, grâce à la qualité des réserves de rutile, le projet est encore robuste, et le gouvernement de la Sierra Leone, la population et les actionnaires tireront encore des profits de ces mines pendant au moins vingt ans». Ainsi, ces gigantesques dragueurs continueront bientôt à creuser de plus en plus profond dans la terre de la Sierra Leone. Mais le rutile de la Sierra Leone n’intéresse plus la population: il l’a lamentablement déçue.
Une visite des régions minières
Il y a quelques années, en 1992, j’ai eu l’occasion de visiter la région minière. J’ai pris place dans un véhicule de la compagnie à l’embranchement de Mosenesi, entre Mokanji et Gondama, et en vingt minutes je suis arrivé au site de la Sierra Rutile. C’était ma première visite et je n’étais pas très impressionné pendant que le véhicule cahotait le long d’une petite route mal entretenue. Des deux côtés, la compagnie avait planté des jeunes arbres, mais je compris vite que ces arbres avaient été plantés sur des terrains dégradés qu’on pouvait voir de la route. Par après j’ai appris que, trouvant leur entretien trop cher, la Sierra Rutile couvraient les routes conduisant au site avec du bitume mêlé à du sable. Pendant la saison des pluies, les accidents y sont fréquents.
Une catastrophe écologique
Je descendis à la station “Black and White”, où on venait chercher les travailleurs pour les conduire aux mines. Les travailleurs sont ramassés dans les villages avoisinants. Ils ne sont pas logés sur place, mais à Mogbewemo, Moriba-ville ou Gbetema, où il y a très peu d’équipements sociaux et sportifs. Ces travailleurs constituent environ 85% de la main-d’œuvre, ils doivent faire tout le sale travail manuel et les opérations fastidieuses de la mine. La plupart, vivent en surnombre dans des maisons de terre recouvertes d’herbes sèches. La compagnie n’a installé que quelques robinets d’eau; beaucoup doivent faire la queue pendant des heures pour avoir un peu d’eau. Cela les oblige à aller puiser pour leurs besoins domestiques dans les ruisseaux pollués par les produits chimiques venant des barrages de la SRL.
En fait, les activités minières non contrôlées de la Sierra Rutile ont plongé la chefferie d’Impere et tout le district de Moyamba dans une catastrophe écologique. Quatorze villages ont été éliminés, effacés de la carte de la Sierra Leone. La population a été transférée dans une autre région où la Sierra Rutile a défriché la terre pour eux. Ils ont reçu une petite compensation. Mais, pour construire leurs nouvelles maisons, ils devaient acheter à la compagnie tous les matériaux de construction, vendus à des prix exorbitants. Beaucoup de villageois ont préféré ne pas construire de maison, car elle aurait coûté beaucoup plus que la petite compensation reçue. Les monstrueux dragueurs ont donc avalé leurs plantations de cacao, de café, d’oranges et de mangues, leurs maisons et même les tombes de leurs ancêtres à jamais disparues.
La plus grande ville dans la chefferie d’Impere est Mogbewemo, située entre le site de la mine et Mobimbi, où habitent les cadres supérieurs. Les câbles d’électricité passent au-dessus de Mogbewemo, les tuyaux d’eau passent en bas de la ville allant de l’usine à Mobimbi. Le quartier des cadres a de l’eau et de l’électricité 24 heures sur 24. Mais la population de Mogbewemo ne jouit pas de ces facilités. Les centres de santé de la compagnie ne s’occupent pas des citoyens de la région qui ne sont pas ses ouvriers.
Bien que sa terre produise des centaines de millions de dollars pour les compagnies étrangères, la population locale n’a guère d’avenir sur la terre de ses ancêtres. Sierra Rutile prend soin de ses cadres et des expatriés, mais néglige lamentablement le logement, l’assistance médicale et les salaires de ses travailleurs ordinaires.
Elle fixe chaque année des objectifs à atteindre pour la production du
minerai. Si ces objectifs sont atteints, des primes sont supposées être
données. Il y a une prime trimestrielle, semestrielle et annuelle. On promet
à chacun des employés un sac de riz si les objectifs sont atteints. Ils
sont ainsi stimulés à travailler nuit et jour pour atteindre cet objectif.
Mais même alors, ils ne reçoivent pas toujours leur sac de riz. On comprend
mal pourquoi une compagnie si riche est si impitoyable et négative quant
au développement de la Sierra Leone.
Sierra Rutile déclare exploiter en
Sierra Leone uniquement du rutile, mais en fait elle y exploite au moins trois minerais importants: le rutile, le zircon et l’ilménite. Le zircon
et l’ilménite sont très demandés sur le marché international pour la fabrication
des fusées et des avions. Même si le prix du rutile tombe, la Sierra Rutile
fera encore des profits.
Si les plans du ministre Deen se matérialisent, les dragueurs de Sierra Rutile continueront à creuser encore plus profond qu’avant, pour regagner le temps perdu et gagner encore plus d’argent pour les actionnaires.
Mais est-ce là vraiment ce que la Sierra Leone désire et dont elle a besoin?
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