ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 414 - 15/06/2001

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Cameroun
Partis politiques:
entre illusions et réalités


DEMOCRATIE


Le multipartisme camerounais a 10 ans d’âge;
mais l’apprentissage à la concurrence et au professionnalisme n’est pas évident...

Le foisonnement des partis politiques au Cameroun, en une décennie seulement, pourrait traduire d’après certains commentateurs “l’expression de la citoyenneté démocratique”. D’année en année, le nombre de partis politiques s’accroît avec, comme paradoxe, la mise entre parenthèses de l’essence même d’un parti politique, qui se veut instrument de conquête et de conservation du pouvoir. Cette conception utilitariste ferait défaut à la quasi-totalité des partis politiques camerounais, à quelques exceptions près. Il en découle d’interminables débats, aussi bien au sein de la classe dirigeante du pays que de la société civile, qui n’hésitent pas à qualifier ces chefs de partis de marchands d’illusions, de carriéristes ou d’opportunistes en mal d’inspiration. Hormis quelques partis, les 4/5 des diverses formations politiques ne s’avèrent ni doctrinales, ni idéologiques.

Illusions et réalités

168 partis politiques ont été reconnus officiellement depuis la naissance aux forceps du multipartisme, en février 1991. Ce chiffre reflète à la fois la liberté totale dont jouissent les Camerounais pour créer des partis politiques, et l’engouement, voire la convoitise que suscite la chose publique. Formellement, la Constitution reconnaît aux partis politiques une place et un rôle importants dans la démocratie parce qu’ils «concourent à l’expression du suffrage».

Machines électorales et instruments de pouvoir, les partis politiques, par définition, ont vocation de conquérir le pouvoir et de le gérer de manière à le conserver. Vocation classique, à laquelle ne s’est soustraite aucune formation politique dès le retour au multipartisme. Le premier rendez-vous électoral de la nouvelle ère pluraliste, les législatives de mars 1992, a mobilisé tous les partis politiques alors légalisés, une soixantaine. Une mobilisation d’autant plus attrayante que les pouvoirs publics avaient décidé d’octroyer une aide financière à tous les partis y prenant part. La manne n’est plus tombée aux autres rendez-vous électoraux: les présidentielles d’octobre 1992, puis d’octobre 1997; les législatives de mai 1997; les municipales de janvier 1996. Ces dernières consultations, parce que locales, auraient pu mobiliser toutes les formations politiques; il n’en a rien été.

Sur la scène politique nationale aujourd’hui, une dizaine de partis politiques seulement ont réussi à convaincre les électeurs et à conquérir des suffrages leur permettant d’obtenir des sièges dans les conseils municipaux ou à l’Assemblée nationale. C’est ainsi qu’après les municipales de janvier 1996, 11 partis politiques seulement participent à la gestion des 336 communes du pays. Les résultats des législatives de mai 1997 ont fait entrer à l’Assemblée nationale des personnalités issues de sept formations politiques. Hormis les périodes électorales, seuls ces partis font parler d’eux de manière plus ou moins permanente à travers des séminaires, des activités sociales, des cérémonies commémoratives. Quelques articles de presse s’en font l’écho, tout comme les émissions radiodiffusées ou télévisées réservées aux partis politiques représentés à l’Assemblée nationale.

La vie politique nationale semble se réduire aux campagnes électorales. Elle se ramène à des spéculations intellectuelles et occasionnelles, à des déclarations ponctuelles et fallacieuses, à des gesticulations grandiloquentes et mercantiles. Ce qui est bien loin des prescriptions de la Loi 90/056 du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques, qui exige, dans tout dossier constitutif d’une formation politique, un document intitulé «mémorandum sur le projet de société ou le programme politique du parti». Ce qui fait dire au professeur Luc Sindjoun que «au Cameroun, comme dans beaucoup de pays africains, le multipartisme est lié à ce que l’on pourrait appeler la “saisonnalité démocratique”, c’est-à-dire, les conjonctions d’intenses activités partisanes».

La réflexion sur l’avenir de la société camerounaise et la formation des militants ont souvent été occultées par les luttes pour le leadership au sein des formations politiques (certaines se sont même achevées par des schismes appuyés de menaces de mort ou d’enlèvements) et par la fixation de certains dirigeants sur un seul objectif: la conquête immédiate du pouvoir.

D’où l’inexistence de véritables politiques, et la désagréable impression pour le citoyen ordinaire que politique rime avec démagogie. Cette absence de projets et d’idées est symptomatique de l’une des grandes faiblesses de nombreux partis: l’amateurisme politique. Nombre de partis le reconnaissent, lorsque leurs leaders affirment la nécessité de la formation et du renouvellement des cadres.

Mort ou survie

L’opinion publique s’interroge sur la logique qui accepte les 168 partis politiques dûment enregistrés à la date du 4 octobre 2000. Le paysage politique n’est pas aussi diversifié dans sa plate-forme actuelle, car beaucoup de partis deviennent inactifs après les élections. Hormis les sept partis qui se partagent les 180 sièges de l’Assemblée nationale(1), les 162 autres sont virtuellement, à des degrés divers, des simples embryons refaisant surface seulement quand le besoin s’en fait sentir. A ces sept cependant pourraient être ajoutés quelques autres, représentés dans les conseils municipaux. Certains de ces partis satellites sont la résultante de leur petit nombre, ce que certains appellent, pince-sans-rire, des “partis familiaux” ou des “partis politiques de village”...

On assiste donc à une sorte de léthargie permanente des partis politiques. La rareté d’alternatives, d’idées neuves ou originales caractérise la scène politique camerounaise.

L’opposition est-elle k.o.? Cette question était au centre des débats qui ont émaillé le 10e anniversaire du multipartisme en février dernier. Selon certains responsables du RDPC, le parti au pouvoir, il ne fait pas de doute que l’opposition est en panne d’alternatives. Ce à quoi les responsables des partis de l’opposition rétorquent: «On n’est pas fatigué, on est frustré (...); le débat est confisqué.»

Toutes proportions gardées, le problème de nouvelles idées au sein des partis politiques se trouve lié à la manière dont ceux-ci se situent dans le fameux “contexte camerounais” dont parlent si souvent les pontes du régime. Les responsables politiques de tous bords soutiennent qu’ils ont une vocation gestionnaire. Ce qui, à l’analyse, serait un dérivatif du rôle de plus en plus fort que jouent les institutions internationales, telles le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Les programmes des partis politiques se réduisent aux maîtres mots élaborés par ces institutions financières. La plupart de ces partis se contentant de vouloir reprendre tel ou tel aspect mis en exergue par ces institutions.

Il faut toutefois remarquer que le multipartisme est encore en phase de maturation. Aussi peut-on comprendre le problème en terme de structuration de la vie ordinaire. En politique comme dans tous les domaines de la vie, le professionnalisme est indispensable. Seuls les partis politiques conscients de cette réalité peuvent sortir du lot et contribuer à consolider la démocratie souhaitée par tous les citoyens.


(1) Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), 116 députés; Social democratic front (SDF), 43 députés; Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), 13 députés; Union démocratique du Cameroun (UDC), 5 députés; Union des populations du Cameroun (UPC), 1 député; Mouvement de libération de la jeunesse camerounaise (MLJC), 1 député; Mouvement pour la défense de la République (MDR), 1 député.


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