ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 415 - 01/07/2001

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Burkina Faso
Tourner une page douloureuse


PAIX


Le 30 mars 2001 restera gravé en lettres d’or dans les annales du Burkina Faso.
C’est ce jour que les Burkinabé ont choisi pour se retrouver,
afin de procéder à un examen de leur passé et de se pardonner

Première du genre dans l’histoire du pays, la célébration de cette journée répond à l’une des recommandations du Collège des sages, institué le 21 mai 1999 par le président du Burkina. Une journée qui, même célébrée dans la tranquillité, a mis à nu les divergences qui existent entre les acteurs politiques. Une fois encore les Burkinabé étaient partagés entre cœur et raison.

«En cet instant solennel, en notre qualité de président du Faso assurant la continuité de l’Etat, nous demandons pardon et exprimons nos profonds regrets pour les tortures, les crimes, les injustices, les brimades et tous les autres torts commis sur des Burkinabé par d’autres Burkinabé, agissant au nom et sous le couvert de l’Etat, de 1960 à nos jours». C’est en ces termes que le président Blaise Compaoré s’est adressé au peuple burkinabé, le 30 mars 2001, lors de la célébration de la journée nationale de pardon. En toute humilité, il s’est prêté à cet exercice, après avoir évoqué l’évolution politique tumultueuse du pays, depuis son indépendance en 1960. Une évolution dans laquelle tout le monde est responsable.

La journée nationale de pardon s’inscrit en droite ligne de la nécessaire réconciliation d’un peuple qui vit aujourd’hui les affres des rancunes et de l’intolérance, fruits d’une succession de régimes politiques, dont la plupart ont donné cours à des dérapages qui ont distendu le tissu social. Quarante années d’indépendance, dont presque 25 de régimes d’exception... Tel est le palmarès de l’ancienne Haute Volta, où la paix sociale et la sécurité des populations ont été mises à rude épreuve.

Nul n’est innocent...

Le paysage socio-politique au Faso est tel que nul ne peut se targuer d’être innocent dans la multitude de crimes économiques et de sang qui jalonnent l’histoire du pays. Les différents régimes d’exception sont nés de coups d’Etat militaires qui ont bénéficié, dans leur préparation et dans leur gestion, de l’onction de groupes politiques civils.

La responsabilité n’incombe donc pas aux seuls militaires, car très souvent les civils ont été leurs commanditaires. Ainsi, si l’on aime à dire que le Burkina a épuisé toute la haute hiérarchie militaire comme présidents (un général, un colonel, un commandant et deux capitaines), on oublie d’ajouter qu’il a aussi usé de toute l’élite intellectuelle politique, et expérimenté toutes les idéologies (communisante, socialisante, libérale, sociale-démocrate...).

Pour les crimes économiques, on n’a d’yeux que pour ceux touchant aux deniers publics, et accessoirement à la corruption et autres trafics. Or, la blessure la plus grave est certainement celle portée par les leaders politiques. Non contents d’être les champions des trafics d’influence, ils se sont tous comportés comme de véritables prédateurs des ressources de leurs partis qu’ils géraient comme des biens personnels. Conséquence, les partis politiques n’arrivaient pas à jouer pleinement leurs rôles, la démocratie était piégée, ouvrant la voie au désespoir des militants, aux frustrations et aux coups d’Etat. Et que dire des responsables des associations de la société civile, si ce n’est que le pire y a été vécu.

La crise sociale, qui a peiné le pays ces deux dernières années, a mis à rude épreuve la cohésion sociale et l’unité nationale. Il s’agit de l’assassinat crapuleux du journaliste Norbert Zongo et ses trois compagnons, le 13 décembre 1998. Après ce drame, le Burkina s’est transformé en un vaste terrain d’affrontements, et les gaz lacrymogènes sont entrés dans le quotidien des populations. Les institutions régulières ayant perdu la confiance des Burkinabé, le pouvoir a été contraint de recourir à des institutions spéciales pour examiner la situation et proposer des remèdes. Entre autres le Collège des sages, qui pour décrisper la situation, a proposé de suivre une trilogie: vérité, justice et réconciliation nationale, avec l’organisation d’une journée de pardon.

La magie du pardon

Si tout le monde a été d’accord pour cette journée de pardon, des divergences se sont exprimées sur le moyen d’y parvenir. Une partie de l’opinion nationale souhaitait que la vérité et la justice soient faites avant le pardon; une autre, dans laquelle on retrouve la majorité des «voies autorisées» du pays, estimait que le pardon n’empêche pas la recherche de la vérité et de la justice.

La nécessité s’imposait de réconcilier les cœurs meurtris, afin que le pays ne s’engage pas dans une situation de non-retour. Elle revenait même comme un leitmotiv dans toutes les interventions: celles des chefs coutumiers, des religieux, des parents de victimes. Dans sa Lettre de carême du 9 mars 2001, Monseigneur Jean-Marie Compaoré, l’archevêque de Ouagadougou, écrivait: «Le contexte national me fait un devoir …de vous inviter à aller jusqu’au bout de l’amour d’autrui, à être des hommes et des femmes de paix. L’homme, la femme de paix, c’est celui, celle qui est capable de réintégrer l’ennemi, c’est-à-dire de restaurer l’ordre dans lequel il avait sa place… Nous sommes hommes et femmes de paix si nous sommes capables de pardon. Pardonner! c’est la voie royale de la paix…».

Le 30 mars, le président Compaoré lance un ultime appel à tous les Burkinabé, sans exclusions, à faire preuve de dépassement de soi, en vue de franchir le dernier obstacle qui les sépare de la paix sociale indispensable au développement de leur nation.

La journée nationale de pardon était ainsi une première étape de réconciliation des cœurs. Son objectif était de tourner ensemble définitivement la page douloureuse de l’histoire commune, de rompre résolument avec les pratiques de l’Etat d’exception et d’œuvrer sans relâche à l’amélioration du fonctionnement des institutions républicaines. L’exemple de nombreux pays d’Afrique et d’ailleurs, montre à quel point la persistance de crises sociales mal résolues, la négation du dialogue, le manque de tolérance et l’absence de clairvoyance des acteurs politiques et sociaux ont conduit à des déchirures du tissu social. Par contre, de l’Afrique du Sud au Mali, de l’Algérie à la Côte d’Ivoire, tous ces pays ont emprunté le chemin du pardon pour essayer de mettre un terme à une spirale négationniste menaçant leur cohésion et ruinant tous leurs efforts de développement.

Réactions différentes

Au Burkina, l’organisation de la journée nationale n’a pas reçu l’adhésion de tout le monde, surtout de toute la classe politique. Beaucoup ont été partagés entre leur cœur et leur raison. Certains ont laissé parler leur cœur en manifestant l’affection qu’ils avaient pour celui des leurs qui avait été victime de la violence politique. D’autres par contre, ayant perdu aussi un des leurs dans les mêmes conditions, ont soutenu tout de même la journée nationale de pardon. On ne peut demander à tous de réagir de la même manière. Le président ne l’ignore pas et c’est pourquoi il a lancé un appel à tous ceux qui ont choisi d’autres formes de manifestation en cette journée de pardon, de ne pas fermer la porte au pardon. Il leur a demandé de faire preuve de responsabilité, pour qu’ensemble ils cherchent les voies de la paix et de la justice.

La journée nationale de pardon a connu un engouement de la part des hommes politiques, des coutumiers, des religieux. Le président a annoncé sept mesures en vue d’apaiser les cœurs et réparer les torts. Elles n’ont pas reçu l’adhésion de toute la classe politique. Mais tous reconnaissent la nécessité de faire la lumière sur les crimes économiques et de sang pour une véritable réconciliation nationale. Il ne reste plus qu’à souhaiter qu’après cette journée de pardon et les contre-manifestations, le dialogue soit réinstauré de façon franche pour sortir le Burkina du bourbier.


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