ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 415 - 01/07/2001

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Congo RDC

Nouvelles mesures économiques


ECONOMIE


Inquiétudes des Congolais devant les premières mesures économiques du nouveau gouvernement.
Une réaction à chaud de Kinshasa au début juin, après la dévaluation...

Entre la sagesse africaine — qui conseille de se contenter de ce qu’on a, même si cela ne vaut pas grand-chose, — et l’espoir d’un futur hypothétique, la conscience collective congolaise tangue. Les mesures économiques du nouveau gouvernement, composé de technocrates, astreignent la population à une austérité ascétique assortie d’une promesse de conjoncture meilleure dans le futur. La face au mur, les Congolais sont obligés d’accepter le sacrifice sans toutefois beaucoup de conviction.

Ces mesures sentent la Banque mondiale, et tous les Congolais redoutent les thérapeutiques prônées par les institutions de Bretton Woods. Mais ce sont les premières mesures économiques d’un gouvernement qui a promis de faire la différence d’avec l’équipe sortante des pseudo-révolutionnaires issus du maquis. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, les Congolais sont prêts à tenter l’aventure, encouragés il est vrai par la volonté d’ouverture de l’espace politique du nouveau chef de l’Etat, qui promet de remettre le pays dans les rangs des nations fréquentables. Mais la pilule reste très dure à avaler.

Près d’une semaine après la publication de ces premières mesures, la vie semble s’être arrêtée dans la capitale congolaise. Le franc congolais (FC) a connu une dévaluation de 84%. Depuis le 26 mai, le gouvernement a opté pour un taux flottant de la monnaie par rapport aux devises étrangères. Conséquence, les prix sont montés en flèche. Celui du litre d’essence a été multiplié par 4 à la pompe. C’est dur, très dur pour une population contrainte à marcher à pied, car les propriétaires des taxis et des minibus ont décidé, à titre de protestation, de garder les véhicules au garage. Kinshasa est littéralement en panne.

Le litre le moins cher du monde

L’idée d’une augmentation du prix du carburant était déjà, d’une certaine façon, acceptée par la population, et même souhaitée par les automobilistes devant les difficultés du gouvernement à approvisionner le pays en produits pétroliers et, plus grave, devant l’entêtement du gouvernement à refuser de pratiquer la vérité des prix. Le litre d’essence coûtait 20 cents, donc moins cher qu’une bouteille de coca-cola. Forcément, il était difficile de renouveler les stocks. Seulement, les Congolais ne s’attendaient pas à une hausse aussi brutale et vertigineuse. Véritable thermomètre du coût de la vie, le prix du litre d’essence ou de gasoil à la pompe constitue une base significative à partir de laquelle se calculent les prix dans d’autres secteurs de la vie économique et sociale.

A 20 cents, le litre d’essence en RDC était, sinon le moins cher au monde, en tous cas parmi les plus bas. Au point que les taximen du Congo-Brazzaville traversaient le fleuve Congo uniquement pour faire le plein d’essence et repartir chez eux. Le gouvernement congolais — qui a le quasi-monopole de l’importation du carburant — était toujours partagé entre ce commerce à pure perte et suicidaire, et le risque d’une implosion sociale en appliquant les prix réels. En décidant de relever les prix du litre de 20 cents à 87 cents, le gouvernement a délibérément pris un pari risqué. Il perdra sûrement en popularité; mais il gagnera peut-être la lutte contre l’inflation monétaire qui ne manquera pas de résulter des mesures en cours.

Le litre d’essence à 87 cents est excessif pour le Congolais moyen, mais les automobilistes préfèrent payer le litre plus cher plutôt que de passer des nuits et des journées entières devant les stations d’essence, sans aucune certitude d’être servis, le carburant ayant toujours été contingenté.

Depuis la publication des mesures gouvernementales, les stations d’essence sont dûment approvisionnées, mais restent curieusement désertes. Pour M. Noël Kahindo, directeur commercial de Shell-RDC, les automobilistes sont encore en état de choc. «Il est vrai que nous ne vendons plus autant de carburant qu’avant, a-t-il déclaré, mais dans une semaine, la situation redeviendra normale». La situation reste tout de même préoccupante chez les sociétés pétrolières qui multiplient des rencontres pour débattre de la question. Le spectacle des Kinois marchant à pied sur toutes les artères de la capitale a quelque chose d’inquiétant. Résignés, bon nombre bravent les très longues distances qui les séparent du centre de la ville.

Répercussions

Les hommes d’affaires, petits et grands commerçants, ont carrément décidé de fermer boutique, en attendant de voir quelles conséquences entraîneront les nouvelles mesures économiques sur leurs affaires. Les prix du carburant se répercutent presque automatiquement sur ceux des denrées alimentaires. La ville de Kinshasa, approvisionnée par la province, est souvent victime des caprices des transporteurs qui profitent de la hausse des prix du carburant pour pratiquer des prix prohibitifs sur les produits alimentaires.

Autre produit de grande consommation, le ciment. Kinshasa, immense chantier de construction, n’est fournie que par une seule cimenterie, celle de Lukala, à une centaine de km dans la province du Bas-Congo. Ses prix sont fonction non seulement du prix du gasoil mais aussi de sa situation de quasi-monopole. Tous ces prix, qui d’une façon ou d’une autre se répercutent sur le panier de la ménagère, rendent les Congolais encore plus vulnérables et plus pauvres.

Les premières mesures du nouveau gouvernement sentent la main de la Banque mondiale et du Fond monétaire international dont les experts viennent de séjourner à Kinshasa pendant près de deux mois, en avril et mai derniers.

Tout observateur averti savait que les mesures qui découleraient de leurs différentes rencontres avec le gouvernement congolais n’auraient rien de populaire. M. Faustin Lukwena, conseiller du chef de l’Etat en matière économique, ne s’en était pas caché devant des journalistes au cours d’une conférence de presse: «La RDC doit redevenir un Etat normal et reprendre sa place au sein du concert des nations. Pour ce faire, il doit assainir son économie et observer une discipline en matière de gestion des finances publiques».

Au point où ils en sont, les Congolais n’ont plus beaucoup de choix et semblent prêts à avaler stoïquement les pilules les plus amères contre des garanties d’une amélioration à terme de leurs conditions sociales. Pourtant, rien ne leur garantit que le nouveau gouvernement soit lui aussi à même d’accepter le sacrifice.

Le Potentiel, un quotidien influent paraissant à Kinshasa, ne cache pas son scepticisme. Dans son éditorial du 28 mai dernier, il critique la multiplicité des centres d’ordonnancement des dépenses de l’Etat qui échappent à l’autorité du ministère de l’Economie, des Finances et du Budget. Le journal cite, à titre d’exemple, les dépenses sans contrôle de la présidence de la République et de l’armée.

Abandon de la planche à billets

A la télévision d’Etat, le 26 mai, le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, M. Matungulu Buyamu, et le gouverneur de la banque centrale du Congo, M. Jean-Claude Masangu, les deux personnes clés chargées désormais de piloter la politique monétaire de la RDC, ont clamé leur bonne foi dans l’application des mesures d’encadrement de la nouvelle politique monétaire. Jean-Claude Masangu a annoncé avoir renoncé au recours au financement monétaire par la banque centrale du Congo: «Ma politique, a-t-il déclaré, sera de canaliser le plus possible de francs congolais qui circulent dans l’informel vers la banque centrale, afin d’en maîtriser la circulation».

Quant au ministre, il a dit s’être imposé comme discipline de gérer le budget de l’Etat de sorte que les dépenses ne dépassent pas les recettes encaissées, d’adopter le budget 2001, de lancer les travaux préparatoires du projet de budget 2002 et, enfin, de mettre en place des bureaux de change, des messageries financières ainsi que des comptoirs d’achat et d’exportation des matières précieuses.

Le pari est difficile à gagner, compte tenu de la profondeur du marasme économique. L’évolution du taux de change en RDC est, depuis plus de 20 ans, caractérisée par une dépréciation vertigineuse de la monnaie nationale. Rien que depuis octobre 2000, l’écart entre le taux de change parallèle et officiel est de 600%. En décidant, le 26 mai, de relever le taux officiel de 50 FC à 313,5 FC par rapport au dollar, le gouvernement n’a fait que rapprocher l’écart entre les deux taux.

Cependant, il y a un risque. Outre que les conséquences sur la vie sociale frisent la catastrophe, le gouvernement ne dispose pas de matelas de devises suffisant pour soutenir ses mesures et atténuer leur incidence sur le coût social. Il y a donc un réel risque de ne jamais rattraper le taux parallèle dont les paramètres sont loin d’être maîtrisés.

Le gouvernement affirme pouvoir compter sur l’apport des partenaires étrangers, ainsi que sur les devises générées par l’économie nationale. Or ces devises sont pour la plupart générées la vente du diamant. Les diamantaires contactés ne comprennent pas comment le gouvernement peut se montrer si optimiste, dans la mesure où la profession des diamantaires est très mal organisée. «Depuis la fin du monopole accordé à la société israélienne IDI Congo (Industrial Diamond International), aucun comptoir de diamant n’est encore opérationnel, et cela par la faute du gouvernement», déclare Charles Mputu, un diamantaire congolais. Autrement dit, tout le diamant artisanal reste commercialisé en dehors du circuit bancaire.

Quant à l’apport des partenaires étrangers, il reste encore hypothétique, tant que l’argent n’est pas tombé dans l’escarcelle du pays. Le gouverneur de la banque centrale dit pouvoir compter sur deux promesses sûres: 123 millions d’euros en provenance de l’Union européenne, et 45 millions de dollars attendus des Etats-Unis.

Panique au marché central

En attendant de vérifier sur le terrain l’efficacité des nouvelles mesures gouvernementales, au marché central de Kinshasa c’est la panique généralisée. Non seulement la panne des transports en commun handicape tant les vendeurs que les acheteurs pour se déplacer, mais les quelques rares vendeurs qui ont pu le faire ne vendent pratiquement rien.

Jean Mvumbi est vendeur de poulets congelés. En temps normal, il vend 6 à 7 cartons par jour. Depuis les mesures gouvernementales, c’est avec peine qu’il arrive à écouler 5 poulets.

Anita Mbuyi, quant à elle, vend du poisson. Depuis quatre jours, elle n’a rien vendu et son poisson va probablement pourrir. Elle est devenue vendeuse au marché central parce que le salaire de son mari, fonctionnaire de l’Etat, ne suffisait plus à nourrir sa famille. Elle est très pessimiste pour l’avenir du pays et doute de l’efficacité des mesures gouvernementales: «Déjà les affaires marchaient mal, dit-elle. Avec la nouvelle hausse des prix, plus personne ne viendra au marché. A l’époque de Mobutu, on souffrait des nombreuses tracasseries policières, mais on mangeait à sa faim. Maintenant on en est à se demander comment les enfants pourront continuer d’étudier. La scolarité des enfants sera hors de prix».

Beaucoup de Congolais partagent l’inquiétude de Mme Mbuyi, mais ne savent malheureusement pas à qui jeter la pierre. Au gouvernement, qui déclare la main sur le cœur avoir recouru à ces mesures pour assurer le bonheur du peuple? A Dieu, qui est sensé tout savoir et tout pouvoir, mais qui, visiblement, reste insensible aux supplications du peuple congolais? A Kinshasa, les églises et autres lieux de culte n’ont jamais été autant fréquentés.


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