ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 418 - 15/09/2001

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Cameroun
Les Camerounaises contre la violence


FEMMES

Des ONG camerounaises partent en campagne contre la violence à l’égard des femmes

A Yaoundé, une fille de 17 ans répond à la porte et se retrouve subitement aspergée d’acide par un ancien petit ami. Elle meurt quelques jours plus tard, horriblement défigurée. — A Bonabéri, un arrondissement de la ville de Douala, les soldats du commandement opérationnel font irruption dans le quartier après une bavure policière et violent six femmes au passage. Les autorités nient l’incident, même après la publication d’une photo des agressions dans plusieurs hebdomadaires et la diffusion d’entrevues avec les victimes dans les stations radio privées. — Dans la ville de Kousséri, province de l’extrême-nord, un homme fouette sa femme après une banale dispute. La femme ne peut pas déposer plainte, car aucun délit n’a été commis. Le droit coutumier – dont sont issues la plupart des unions (au moins 90%) de cette province peuplée en majorité de musulmans – permet à un mari de battre sa femme tant qu’aucune “blessure grave” n’ait été infligée. Ce qui réglemente, sans la pénaliser, cette forme de violence familiale.

Ces exemples, tirés des dossiers d’organisations de femmes camerounaises et de défense des droits humains, offrent un aperçu des fondements sociaux, traditionnels et politiques de ce que Mme Félicité Moutomé, représentante d’une des principales ONG de femmes camerounaises, l’Association camerounaise des femmes juristes, qualifie d’«épidémie de la violence» à l’encontre des femmes. S’adressant à un hebdomadaire local, Mme Moutomé a déclaré que les pratiques coutumières discriminatoires, le cadre constitutionnel et juridique hérité des anciennes constitutions, et le mur de silence qui entoure notamment la violence familiale, exposent les femmes aux viols et aux agressions sexuelles. «Il ne sert à rien de s’adresser à la police», a-t-elle déclaré. «Ils disent que c’est une affaire privée [entre le mari et son épouse] qui ne les concerne pas. Ils se contentent de demander à la femme: qu’as-tu fait pour mériter cela?».

Les efforts du gouvernement pour réduire la violence à l’égard des femmes ont manqué d’enthousiasme durant les premières années de règne du président Paul Biya (arrivé au pouvoir en novembre 1982). Après la création d’une Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (CNDHL) en 1992, le gouvernement a organisé quelques ateliers nationaux sur les causes de la violence et a annoncé des projets d’ouverture de centres d’aide juridique et de conseils pour les victimes.

Aujourd’hui, cinq programmes juridiques, ayant touché entre 500 et 700 femmes, ont été consacrés à la vulgarisation de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, dans les localités de Yaoundé au centre, Bafoussam à l’ouest, et Garoua dans le nord. Mais les programmes ont été jugés peu crédibles par les organisations camerounaises des femmes et des droits de la personne, et n’ont guère reçu de soutien politique conséquent ou financier de la part d’un régime qui, par ses pratiques répressives, s’est acquis une triste réputation.

Initiative des Nations unies

Avec l’aide du Fonds de développement des Nations unies pour la femme (UNIFEM), les Camerounaises ont profité de la transition du pays vers la démocratie, au début de la décennie 90, pour lancer une campagne ambitieuse de lutte contre la violence à l’encontre des femmes.

Le programme comprend des services juridiques et sociaux pour les victimes et leurs familles, une formation destinée aux responsables du gouvernement et des forces de l’ordre, ainsi que des activités éducatives communautaires et destinées principalement aux jeunes. L’UNIFEM et le Centre des femmes pour la promotion et le développement, une ONG de femmes basée dans la province du littoral, ont lancé le projet “Plaidoyer social contre la violence à l’égard des femmes” (PSVF) à la fin de 1998, grâce au financement du fonds de l’UNIFEM pour le soutien aux actions destinées à éradiquer la violence à l’encontre des femmes.

Le PSVF a organisé en septembre 1998 le premier des ateliers consacrés au problème, en encourageant la production et la représentation des pièces de théâtre et autres jeux éducatifs, des chants et des danses, et la confection des spots publicitaires radiodiffusés et télévisés pour illustrer les répercussions de la violence sur les femmes et leurs familles.

Les militantes du PSVF ont également créé des clubs d’éducation dans plus d’une quinzaine d’écoles secondaires du pays. Les clubs organisent des activités locales destinées à briser les stéréotypes qui incitent à la violence et à rapprocher filles et garçons en vue de mettre un terme à la violence dans leurs communautés. Le projet PSVF s’est officiellement achevé en novembre 2000 par une conférence nationale consacrée à la couverture médiatique du problème et par la création d’une nouvelle ONG, Project Alert, destinée à combattre la violence contre les femmes par l’éducation, la recherche et les campagnes de promotion. Project Alert est la première organisation camerounaise à se consacrer exclusivement à cette cause, et vise à accroître et à coordonner les programmes d’autres organismes, gouvernementaux et non gouvernementaux, en matière d’"autonomisation" des femmes, de conseils et d’aide juridique.

Une liberté confisquée!

Dans nombre de communautés ethniques camerounaises, l’homme apparaît généralement comme le nkunkuma, c’est-à-dire le maître.

Dans les zones rurales, la femme est presque sans personnalité, soumise aux rudesses des conditions de vie. Au sein de la famille, elle est appelée à jouer deux rôles essentiels: épouse (elle est productrice) et mère (elle est procréatrice). Si, selon les circonstances, elle remplit un autre rôle, il ne peut être que secondaire. Sa vie est faite d’alternances de grossesses et d’allaitements. Malgré ses nombreuses grossesses, la femme ne peut que difficilement se dérober à sa charge de nourrir les siens. Elle est la principale actrice de la sécurité alimentaire de la famille. Le quotidien des femmes est d’ailleurs principalement lié à l’autosuffisance alimentaire: eau, bois de chauffe, nourriture,...

En ville, les travaux des champs au village sont remplacés par le petit commerce ou le jardinage. Pour ces tâches, elle ne peut pratiquement pas compter sur l’appui du mari et parfois la gestion du revenu de son travail lui est de surcroît confisquée. Les travaux effectués par les femmes sont rendus plus difficiles encore par l’utilisation d’outils rudimentaires et souvent peu appropriés.

Les femmes aspirent pourtant à des conditions de travail moins lourdes, à un travail plus rémunérateur, à une vie décente. Malheureusement, le niveau d’instruction de la majorité d’entre elles est si bas et leur ignorance si grande que les revendications ou même la simple remise en question de leur situation est impossible. Le “Caucus des Femmes”, un regroupement de femmes issues d’horizons professionnels divers, intervient en faveur d’une prise de conscience effective de la femme, comme bénéficiaire et acteur du développement. Il agit à travers la Ligue pour l’éducation de la femme et de l’enfant, qui a retenu une stratégie agressive de vulgarisation des principes de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

“Maintenant, les femmes agissent”

Personne ne crie cependant victoire avant l’heure. Mme Tony Madeleine, secrétaire générale adjointe du Comité inter-africain de lutte contre les pratiques traditionnelles affectant la santé de la femme et de l’enfant, a déclaré à l’issue du séminaire sur le thème des mutilations génitales féminines (20% de femmes vivant au Cameroun, selon des données conjointes FNUAP-OMS  publiées en juillet 2000) qui s’est tenu à Yaoundé du 14 au 17 mai 2001: «Malgré des améliorations significatives, pour ce qui est des droits humains et civiques, sous le gouvernement actuel, la situation des femmes ne s’est pas vraiment améliorée. Il y a quelques progrès sensibles, mais beaucoup reste encore à faire.»

Le problème s’explique en partie, selon Mme Edjongo Ebelle Grâce de l’ONG Femmes et développement au Cameroun, par la quasi-absence de femmes dans les nouvelles législatures locales et nationales. En effet, seuls 10 des 180 parlementaires camerounais sont des femmes, tandis qu’on ne compte que 114 femmes (sur 9.031) aux conseils municipaux. Au gouvernement, il n’y a que 2 femmes sur les 45 membres du cabinet. Ce qui ne facilite pas l’inscription des questions purement féminines à l’ordre du jour des politiques macro-structurelles du pays.

«La violence à l’égard des femmes renvoie à la question plus générale de l’importance sociale et économique des femmes dans le pays, et le sentiment que les femmes ne peuvent pas diriger subsiste», fait-elle remarquer. «Nous encourageons hommes et femmes à comprendre que les femmes ont un rôle à jouer en faveur de la démocratie», susurre-t-on presque partout au sein des 149 organisations non gouvernementales et associations nationales de promotion féminine. «Nous voulons aujourd’hui briser le silence. Il nous reste un long chemin à parcourir, mais maintenant, les femmes agissent».


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