ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 419 - 01/10/2001

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Cameroun
Les enfants martyrs du travail et du trafic


ENFANTS

Des conventions internationales et un arsenal juridique interdisent le travail des moins de quinze ans. 
Ils constituent pourtant une bonne part de la main-d’œuvre du secteur informel...

Des sandalettes aux semelles éculées, un pantalon rapiécé, un plateau d’arachides grillées sur la tête, des bouts de papiers servant d’emballage dans une main. C’est ainsi que nous est apparu le jeune Touka devant la poste centrale de Yaoundé, le 9 juillet dernier.

Interrogé sur ses conditions de travail, le jeune vendeur dénonce la mesquinerie dont il est victime: «Les gens goûtent à mes arachides sans en acheter. D’autres en prennent à crédit et ne payent pas». Agé de huit ans, Touka est issu d’une famille polygame et habite Mvog-Ada, un quartier populaire de Yaoundé. Il raconte avec force détails qu’il est toujours partagé entre ses cours à l’école publique de Nkolndongo-Mbida et le commerce. «A l’école, on fait la mi-temps. Quand j’ai cours le matin je vends dans l’après-midi». Il a un peu de temps pour son instruction.

Rien à voir avec le cas du jeune Hamed, rencontré devant l’enceinte de la Société nationale d’investissement: «J’ai sept ans. J’accompagne ma mère pour vendre la bouillie le matin et le soir». Son travail consiste à ramasser les gobelets. «Très souvent, les vendeurs à la sauvette dispersent les gobelets et c’est mon fils Hamed qui sait où et comment les récupérer. Ce sont ses amis», explique sa mère.

Inutile de multiplier ces exemples. «Le travail des enfants est un phénomène récent au Cameroun. Il se pose dans le secteur informel depuis l’avènement de la crise économique». C’est ainsi que M. Ella Menye, responsable à la direction du Bien-être de la famille et de l’enfant au ministère des Affaires sociales, situe la montée du travail des enfants au Cameroun.

Exploitation

Le secteur informel constitue un ramassis d’activités accessibles à tous. Ainsi, certains chômeurs de fraîche date n’hésitent pas à s’y frayer une place, avec leur progéniture. D’aucuns confient carrément leur fonds de commerce aux enfants et se découvrent des talents de contrôleur financier. Comme en témoignent les jeunes Talla et Bakop qui tiennent une échoppe achalandée au quartier Emombo à Yaoundé. Leur oncle ou patron ne tarit pas d’éloges: «Ils sont jeunes et vendent bien. C’est un avantage, car ils sont insensibles aux charmes des jeunes filles qu’ils ne connaissent pas encore et restent appliqués au commerce».

Aucune étude n’a été menée par le gouvernement camerounais pour avoir une idée de l’ampleur du phénomène. Pour en parler, les autorités évoquent l’opuscule de M. Kégné Fodouop. Il en ressort qu’en 1991, 10% des Camerounais de moins de quinze ans exerçaient quelque 121 petits métiers, et que 90% des enfants domestiques (sept-huit ans) étaient employés par leur famille. Dans son Rapport 2000 sur la situation des enfants dans le monde, l’Unicef classe le Cameroun parmi les pays où la situation des enfants est particulièrement préoccupante. Le Bureau international du travail (BIT) révèle par ailleurs dans une enquête publiée il y a quelques temps, que trois millions d’enfants sont concernés par le travail au Cameroun.

Une triste réalité qui s’explique par les effets conjugués de la crise, l’affaiblissement des liens familiaux et la détresse qui jettent les enfants dans la rue où ils s’exposent aux pires formes d’exploitation telles que la prostitution, le trafic des enfants et surtout la drogue qui, selon les estimations du ministère camerounais de la Santé publique, touche 60% des moins de 25 ans. Marie Madeleine Fouda, ministre des Affaires sociales, précise que selon les conclusions d’une étude récemment menée dans notre pays par le BIT et ses partenaires, sur 610.209 enfants au travail, 531.591 sont victimes du trafic interne transfrontalier.

Trafic des enfants

Le BIT et l’Unicef considèrent que le trafic des enfants à des fins d’exploitation de travail est une pratique analogue à l’esclavage, assimilable au travail forcé. Selon l’article 1/D de la Convention complémentaire relative à l’abolition de l’esclavage et de la traite des esclaves, les pratiques analogues à l’esclavage sont définies comme étant «toute institution ou pratique en vertu de laquelle un enfant ou un adolescent de moins de 18 ans est remis, soit par ses parents ou par l’un d’entre eux, soit par son tuteur, à un tiers, contre paiement ou non, en vue de l’exploitation de sa personne ou du travail du dit enfant adolescent».

Au Cameroun, les régions où les enfants sont victimes de trafic sont connues. L’exemple le plus cité est celui du Nord-Ouest qui est, selon le journal Mutations (nº 375), «à la fois édifiant et déplorant: des enfants sont vendus au vu et au su de certaines personnalités qui plongent dans un mutisme complice». La Nouvelle Expression (nº 704) étend le phénomène: «Les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont pourvoyeuses de main-d’œuvre féminine comme domestique de maison (…) Elles ont entre treize et dix-huit ans».

Ces cas ont été évoqués à la consultation sous-régionale de Libreville, organisée par l’Unicef en collaboration avec le BIT du 22 au 24 février 2000 sur le développement des stratégies de lutte contre le trafic des enfants, et à l’atelier sous-régional de Cotonou, organisé par le BIT et le Programme international pour l’élimination du travail des enfants.

Le trafic se caractérise par la présence d’un intermédiaire “placeur” au Cameroun. Organisés ou non en réseau, les intermédiaires sont en majorité des hommes, dont 60% sont des ressortissants des pays d’origine des enfants. Ils sillonnent les zones rurales enclavées pour recruter les enfants en contactant directement leurs parents. Très souvent les enfants se présentent eux-mêmes aux intermédiaires qui disposent d’offices clandestins de placement de main-d’œuvre. En général, le motif de départ évoqué par l’une des parties en présence (intermédiaires, parents, enfants) est soit le placement dans un emploi, soit la recherche d’opportunités de formation, d’un soutien familial ou encore de professionnalisme en matière de football à l’étranger.

En ce qui concerne la transaction, l’enquête de Nathalie Feujio pour le compte du BIT indique que l’intermédiaire perçoit deux rémunérations, au titre des frais de transport et de commission. Dans le trafic transfrontalier, la traite des enfants à destination du Cameroun rapporterait en moyenne 100.000 fcfa (1000fca=1,52eu) par enfant vendu dans les îles du sud-ouest, et un million par enfant camerounais exporté en Occident.

Quant au déplacement des enfants, les zones réceptrices sont par ordre d’importance Douala et Yaoundé, respectivement capitale économique et politique du Cameroun. Pour ce qui est le trafic transfrontalier à destination du Cameroun, les pays pourvoyeurs sont par ordre d’importance le Nigeria, le Bénin, le Tchad, le Congo, la République centrafricaine, le Togo et le Mali. Alors que la France, le Danemark et l’Australie sont les principaux pays récepteurs d’enfants en provenance du Cameroun. Selon la même étude du BIT, les enfants victimes du trafic sont utilisés en grande partie dans le secteur informel au Cameroun. Ils exercent surtout les métiers suivants: domestiques 31%, vendeurs dans la rue 19,8%, manœuvres 9,4%, serveurs dans un bar ou un café 7%, prostitution 7%, veilleurs de nuit 3,3%, autres 16,5%. Le cloisonnement des circuits de drogue n’a pas permis des recherches dans ce secteur qui va généralement de paire avec la prostitution.

Très souvent, ces enfants travaillent à longueur de journée, ne connaissent ni congés ni repos hebdomadaires, et se contentent de faibles rémunérations quand elles existent. Selon certains, la délimitation du nombre d’activités est inexistante dans l’informel, ainsi que le nombre d’heures de travail. Tout cela porte atteinte à la croissance de l’enfant jeté prématurément dans les relations d’adultes, où il s’initie à la violence. Les autorités attendent-elles que l’ampleur de ce phénomène atteigne un seuil de non-retour? «Les ministères des Affaires sociales et du Travail viennent d’élaborer un plan d’action nationale pour contrôler le travail des enfants», explique-t-on officiellement. Il s’agira, promet-on, de protéger les mineurs de la rue et de susciter leur retour en famille.

Sur le plan international, le Cameroun a ratifié la Convention internationale des Nations unies sur les droits de l’enfant. Mais cette convention reste inconnue dans le secteur informel. Beaucoup pensent que le salut passe par l’application des conventions du BIT sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et sur l’interdiction des pires formes du travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination.

Quant aux responsabilités, elles sont selon Mukama Nicolas, de l’Ong Jeunesse Horizon, individuelles et collectives: «Dans un contexte de paupérisation et d’effondrement de la solidarité traditionnelle, devant la précarité des systèmes de protection de proximité, tout se passe comme si les parents comptent sur leurs enfants pour survivre… Beaucoup reste à faire au niveau de la sensibilisation et de l’éducation pour un changement de mentalité».


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