ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 419 - 01/10/2001

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Zimbabwe
Un opéra dans un zoo humain


VIE SOCIALE

«Des tranches de vie» dans un dépôt typiquement africain de bus et de camions.

Une première visite au terminus des bus Kudzanayi à Gweru peut être une expérience étonnante et souvent inquiétante. Serré dans un coin du quartier commercial, au centre de la zone industrielle, c’est le rendez-vous de toutes sortes de gens, littéralement un zoo humain: voleurs, marchands, prétendus sorciers, voyageurs, mendiants, prédicateurs, maquereaux, hommes d’affaires, artistes, policiers en civil, vandales, fermiers et revendeurs, tous jouent leur rôle.

A l’entrée principale du terminus, un homme se balance sur la grille d’entrée. C’est là qu’il passe presque toute la journée, apparemment sourd à tous ces bruits et au chaos. Je lui demande si cette place est toujours aussi bruyante et pleine de monde. Il me regarde comme si j’étais fou. Je lui pose des questions sur les bus, et là il se déchaîne, me décrivant chaque marque de chaque compagnie, et quelle compagnie vient d’acquérir le dernier modèle de Volvo.

Mais les personnages les plus fascinants sont certainement les chauffeurs de bus. Avec une incroyable agilité ils se penchent et sautent de leur véhicule pour payer le droit d’entrer dans la station, même sans arrêter le bus. Pour ne pas être en reste, les revendeurs de tickets pour les bus respectifs prennent la relève dès que le chauffeur quitte les lieux. D’une voix perçante, ils chantent les louanges du bus de leur maître et à force de cajoleries, ils amènent les passagers à acheter un ticket.

Pendant ce temps, des agents de la municipalité, une bourse en cuir suspendue à leur cou, harcèlent les vendeurs (surtout des femmes) pour leur faire payer la redevance journalière (Z$ 15, à peu près US $ 0,30) pour la place qu’ils occupent au marché. «Paye», crient-ils à tue-tête, «je ne suis pas ton mari à qui tu peux raconter des tas de balivernes. Paye, sinon j’emporte ces œufs». Et la vendeuse lui lance goguenarde: «Ta bonne amie, là dans le coin, est-ce qu’elle paye autant que moi?»

Il y a aussi un vieillard qui essaye de vendre du tabac à priser à un écolier qui retourne à son pensionnat. Le jeune a toutes les peines du monde à convaincre le vieux qu’il n’utilise pas ce genre de choses.

De temps en temps, de la musique «Tuku» retentit, venant d’un bar ou d’une vieille cabine téléphonique convertie en boîte à musique. Personne n’y fait attention au milieu de toute cette folie et cette confusion.

Souvent une odeur nauséabonde vient des toilettes publiques, mais elle ne semble pas incommoder les infatigables vendeurs de choux qui ont installé leurs étals juste à côté. «L’odeur importe peu, disent-ils, ce qui importe c’est le dollar. L’argent nous permettra au moins d’acheter de quoi manger ce midi». «Mais l’odeur...», leur dis-je. Ils me regardent d’un oeil incrédule et secouent la tête. «La vie du marché c’est le commerce. Si nous cessons de vendre, il ne nous reste plus qu’à mourir, voilà tout».

Des lance-pierres rudimentaires pendent à une corde, en plein soleil. Le prix sur l’étiquette est de Z$ 25 (US $ 0,50) chacune. L’art d’acheter est d’abord de montrer de l’intérêt pour le produit et puis de commencer à marchander. Vous faites non de la tête et dites que vous n’avez que Z$ 10 (US $ 0,20). Le vendeur vous dit: «Ajoute ZS 5 (US $0,10) et je serai content». Vous répondez: «Pas question!». Finalement, un marché est conclu et le vendeur est satisfait parce qu’il a vendu quelque chose.

Un peu plus loin il y a un étal plein de jeunes plantes médicinales locales, exposées fièrement par son propriétaire. On se demande comment ces plantes peuvent survivre au milieu des exhalaisons des pots d’échappement des centaines de bus qui passent dans ce terminus. Cela témoigne certainement de leur résistance. Quelques pas de plus vers l’intérieur du marché, il y a tout un étalage de récipients en plastique. Une femme vante leurs mérites. L’usage que vous voulez en faire lui est complètement égal, du moment que vous achetiez quelque chose.

«Dar es Salaam»

Face à l’avenue, tout près de la pancarte avec l’inscription: «Bulawayo En Route», vous vous retrouvez dans le coin du marché couramment appelé «Dar es Salaam». Vous y trouvez une bonne paire de souliers, “importés de la Tanzanie”, dit le vendeur. Un coup d’œil à l’étal voisin et vous vous trouvez dans le monde de la haute couture. C’est du moins ce que les vendeurs veulent vous faire croire. Un blouson de cuir porte ce qui ressemble à une étiquette «d’origine», venant du fabricant, mais en regardant de plus près vous remarquez qu’elle a été mal orthographiée — une autre contrefaçon.

Les marchands sont hyper-créatifs et toujours optimistes. J’en remarque un avec, au-dessus de son étal, l’inscription «Ceci est ma maison”. Et c’est vrai. Il m’explique qu’il était venu en ville pour chercher un emploi, mais n’ayant rien trouvé, il s’est décidé à devenir travailleur indépendant. Bien qu’il soit un squatter (la nuit tombante, il jette son matelas par terre derrière sa boutique pour en faire son lit), c’est un homme fier. «Avec vos deux mains et un esprit noble vous ne pouvez mal tourner», dit-il. Par contraste, demandez à un marchand qui a installé sa librairie sur le trottoir, d’où viennent ses livres, sa réponse ressemblera à celle-ci: «Si vous voulez acheter, achetez. Mais ne posez pas de questions; vous pourriez le regretter!».

Cette bruyante visite à Kudzanayi ne serait pas complète, sans aller voir les vieilles femmes qui à l’intérieur du marché préparent des médicaments et donnent des conseils pour toute maladie réelle ou imaginaire. Faites un clin d’œil et demandez un médicament pour le mal au dos, elles vous donneront d’un air narquois une potion appelée «ZESA » (la compagnie d’électricité du Zimbabwe). On vous assure que si vous la prenez avec votre thé, coca-cola ou bière, vous aurez les prouesses sexuelles d’un babouin! On y trouve aussi les aphrodisiaques tels que le gingembre, et des tas d’herbes précieuses et des brouets que les femmes ne montrent qu’aux clients les plus importants.

Les autorités locales font tout ce qu’elles peuvent pour garder le marché propre et sans danger. Il y a deux toilettes publiques à l’eau courante, mais hélas tous ne se servent pas de ces installations sanitaires. A chaque coin, il y a des écriteaux qui vous somment de jeter vos détritus dans les poubelles et non sur le pavé; mais vous apercevez encore des gens qui jettent leurs détritus dans la rue ou les ruelles. Pourtant, les policiers en civil sont là, ils font le guet pour les fauteurs de trouble ou les voleurs à la tire.

Dans un coin, un quatuor d’aveugles donne un peu d’amusement, essayant d’attendrir les cœurs des passants, les invitant à jeter quelques sous dans leurs vieilles boîtes en fer-blanc. Des jeunes qui devraient être à l’école, sont obligés de leur servir de guides.

Au milieu de tous ces cris stridents, ces sifflets, ces feintes de bagarre, ces rires chahuteurs, l’argent continue de changer de main à ce terminus. Après tout, c’est pour cela que Kudzanayi est là!


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