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DROITS DE L’HOMME
La FIDH accuse le gouvernement camerounais de violer les droits de l’homme.
La Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) a publié un rapport s’intitulant «Cameroun: peur au ventre et chape de plomb» qui dresse le bilan des exactions du Commandement opérationnel (CO), une unité spéciale des forces armées camerounaises créée pour lutter contre le grand banditisme dans la ville de Douala. Dans ses différentes articulations, le rapport présente la situation des droits de l’homme au Cameroun, déplore le silence du pouvoir de Yaoundé, s’indigne de l’absence de réaction appropriée de la communauté internationale devant les cas de tortures et les exécutions sommaires en cours au Cameroun, puis lance un appel aux organisations de défense des droits de l’homme pour contraindre les autorités camerounaises à mettre fin aux violences des forces de l’ordre, et accepter la constitution d’une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur toutes les exactions commises par le CO.
Le rapport de la FIDH est le résultat de près d’un an d’enquêtes, couronnées par une mission effectuée à Douala du 9 au 13 juin 2001 par Jean Pierre Getti, un magistrat de la cour d’assises de Paris. Avec le concours de l’antenne locale de l’Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT), la FIDH décrit les conditions inhumaines de détention qui règnent dans les centres de détention du CO, et affirme avoir recensé 154 victimes et 12 fosses communes dans lesquelles ont été ensevelies les dépouilles mortelles des personnes exécutées sommairement.
Actions contraignantes
Pour faire face à cette situation alarmante, la FIDH estime qu’en l’absence d’actions contraignantes de la communauté internationale, la situation des droits de l’homme au Cameroun ne pourrait guère s’améliorer. A cet effet, elle propose la mise sur pied, avec d’autres organisations internationales de défense des droits de l’homme, d’une commission d’enquête indépendante qui puisse se rendre sur le territoire camerounais et y faire une enquête approfondie, afin que des mesures concrètes et tangibles puissent être mises en œuvre pour mettre fin à la torture. La FIDH invite également les institutions internationales ou régionales à examiner la situation camerounaise avec la plus grande attention, et en particulier l’ONU à qui elle demande de continuer l’examen de la situation des droits de l’homme. Elle demande aussi que des rapporteurs spéciaux se rendent au Cameroun afin d’enquêter sur les exactions du CO et des autres corps constitués pour la lutte contre le banditisme.
A la Banque mondiale et au Fonds monétaire international, elle demande de prendre en compte la situation alarmante des droits de l’homme avant de procéder à des aides qui profiteraient aux dirigeants du pays. L’objectif de cette stratégie étant de contraindre le Cameroun à donner des signes concrets de sa volonté de rétablir un véritable Etat de droit et de lutter contre l’impunité avant de bénéficier du soutien de la communauté internationale. La FIDH adresse la même demande aux bailleurs de fonds bilatéraux, en particulier la France.
Mais les observateurs avertis de la scène camerounaise sont sceptiques quant à l’aboutissement d’une telle démarche. Si l’on tient compte de la complaisance de la communauté internationale envers les dirigeants africains, et de la sauvegarde de certains intérêts personnels, il y a lieu de craindre que l’action de la FIDH ne soit qu’un coup d’épée dans l’eau. A titre d’exemple, on se rappelle qu’en mai 1999 le rapporteur spécial des Nations unies avait mené une enquête au Cameroun sur les droits de l’homme et la répression du banditisme. Les douze recommandations qui avaient été proposées n’ont été suivies d’aucun effet.
Insécurité généralisée
Le Commandement opérationnel, responsable de la levée de boucliers de la communauté internationale contre le Cameroun, a été créée le 20 février 2000 par le président Paul Biya pour combattre les bandits qui semaient la terreur à Douala. Les statistiques données par le chef de la police Pierre Minlo Medjo, indiquaient qu’à Douala et à Yaoundé, un braquage était commis toutes les 80 mn. Les malfaiteurs s’attaquaient indifféremment aux simples populations, aux diplomates, ou aux autorités administratives et militaires. Devant cette situation d’insécurité généralisée, le président a donc créé cette unité spéciale pour ramener le calme à Douala. En quelques mois, l’armée a réussi à nettoyer la capitale économique de ses bandits, à la grande satisfaction des populations.
Mais très vite, des éléments égarés du CO vont s’écarter de leur mission d’origine pour devenir les bourreaux des populations qu’ils étaient censés protéger: arrestations arbitraires, tortures, exécutions sommaires, enlèvements, rançonnements, abus d’autorité, interpellations et détentions arbitraires de citoyens, sous prétexte de la lutte contre le grand banditisme… Le détonateur des réactions aura été l’affaire des 9 jeunes gens enlevés à Bépanda, un quartier populaire de Douala, et exécutés sommairement. Cette affaire, qui a vu s’étaler au grand jour les violations flagrantes des droits de la personne humaine au Cameroun, a permis de révéler à l’opinion le degré scandaleux des abus d’autorité dont sont coupables les hommes en tenue, assurés d’une impunité de fait.
Le gouvernement paye aujourd’hui la rançon du laxisme et du laisser-aller longtemps dénoncé par des personnalités de la société civile nationale. L’ACAT qui a collaboré avec la FIDH dans le cadre de son rapport, a mené sa propre enquête et estime à plus de 1.000 le nombre de personnes exécutées sommairement, enlevées, torturées ou disparues sous le CO. C’est ce sombre palmarès qui fait aujourd’hui du Cameroun la cible des organismes de défense des droits de l’homme.
L’Eglise catholique au créneau
Face à cette situation, l’Eglise catholique du Cameroun n’est pas restée les bras croisés. Elle est sortie de sa réserve pour signifier au pouvoir sa totale désapprobation des crimes du CO. Dans une correspondance adressée le 16 juin 2000 au gouverneur de la province du Littoral, l’archevêque de Douala, le cardinal Christian Tumi, avertissait: «Les exécutions extrajudiciaires constituent une violation des droits fondamentaux de l’homme et sont un outrage à la conscience universelle. Ces homicides illégaux, perpétrés sur ordre du gouvernement, ont toujours été condamnés par les Nations unies et le demeurent…».
A la suite du cardinal Tumi, la conférence épiscopale nationale du Cameroun est montée au créneau le 26 juin 2001 en ces termes: «La création du Commandement opérationnel a été accueillie avec joie par un peuple terrorisé par des bandits sans scrupule. Cette création a comblé l’attente du peuple, car le Commandement opérationnel a réellement ramené la sécurité dans notre pays. Mais il y a eu ici et là, et surtout dans la ville de Douala, des dérives et des dérapages graves (...). Si nous sommes heureux de son apport pour le bien de notre peuple, nous dénonçons et condamnons ses dérapages et ses dérives. Plusieurs voix s’étaient déjà élevées dans notre pays (...). Nous sommes cependant peinés de constater, avec tous nos concitoyens, que les exactions dénoncées par le cardinal Christian Tumi, par le conseil permanent de l’épiscopat et par plusieurs organisations des droits humains, se sont malheureusement poursuivies dans la suite, dans tout le pays, et surtout dans le grand Nord. La disparition tragique des neuf jeunes gens de Bépanda en est un signe, hélas parmi tant d’autres…».
Une parodie de procès
Les accusations de la FIDH et de l’Eglise catholique n’ont pas suffi pour ébranler la sérénité du gouvernement. Aucune déclaration officielle n’a été faite à ce sujet. Les autorités n’ont pas pris le temps de faire une lecture humaine des critiques qui leur sont adressées sur les violations des droits de l’homme. Priés de donner leur point de vue personnel sur cette affaire, certaines personnalités proches du pouvoir estiment que le rapport de la FIDH n’est qu’un «tissu de mensonges élaboré avec la complicité des ennemis du pouvoir, et dont l’objectif est de porter atteinte à l’image de marque du Cameroun sur le plan international».
Pour distraire la communauté internationale, le gouvernement a organisé tout un cirque. Le président Paul Biya a ordonné une enquête approfondie sur les exactions du CO, mais l’identité des membres de cette commission n’a jamais été révélée au public. Des officiers supérieurs et d’autres hommes de rang ont été arrêtés et écroués à la prison militaire de Yaoundé. Le général Philippe Mpay, commandant du CO, a été affecté précipitamment à Bamenda dans le nord-ouest du pays. Le gouverneur de la province du Littoral, Emmanuel Eban Otong, a été démis de ses fonctions. Mais jusqu’à ce jour, le procès s’enlise. Sa gestion mystérieuse montre que le gouvernement veut distraire l’opinion et que Yaoundé mise sur l’effet du temps pour éponger cette histoire des droits de l’homme.
Le gouvernement se trouve dans un dilemme: sanctionner des commis à qui il a donné l’ordre de tuer. Dans l’état actuel des choses, on se rend compte que le gouvernement ne fera pas ce genre de concession. Il se trouve dans l’obligation de protéger ceux à qui il a donné la mission de semer la mort et la terreur sous son manteau pour garantir sa propre survie.
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