ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 421 - 01/11/2001

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Congo RDC
Les musiciens créent des emplois


VIE SOCIALE

“Dire d’un Zaïrois qu’il sait chanter, c’est une tautologie, un pléonasme,
car être Zaïrois, par définition, c’est savoir chanter” (Eric Vincent, chanteur français)

La musique congolaise moderne (rumba-soukouss) est reine un peu partout en Afrique urbaine. Malheureusement, chez nous, cet art ne nourrit pas encore son homme. Or, comme on l’a fait remarquer, «seul le domaine musical aura défendu l’honneur du grand Zaïre, au moment où le vent démocratique des années ‘90, avec son corollaire de troubles socio-politiques, emportait et brisait tout sur son passage». Alors que le tissu socio-économique se fragilisait à outrance (chômage, monnaie nationale en perpétuelle chute libre, productions minières et agricoles à l’agonie), le secteur musical se mettait en évidence et les artistes ont propulsé leurs oeuvres au plan international.

Malgré cela, la musique reste un des secteurs les plus ignorés par les investisseurs, ainsi que par les divers gouvernements qui se sont succédé. Le présent régime changera-t-il son cheval de bataille? Jusqu’ici, aucune régime n’a créé de meilleures infrastructures musicales, ni instauré une politique de promotion culturelle digne de ce nom. Les droits d’auteur n’existent même pas...

Heureux qui chante et qui danse

Peu importe. Face à la longue crise multisectorielle, les jeunes se sont lancés à corps perdu dans l’activité musicale, créant d’innombrables orchestres, avec une idée fixe: partir en Europe, et ramener au pays de beaux habits, des voitures et briller dans la société. A ceux qui pensent que la musique apparaît comme un refuge pour ceux qui ont échoué dans leurs études, les musiciens rétorquent: «A quoi bon les diplômes s’ils n’offrent pas de débouchés, et à quoi sert d’être bureaucrate s’il faut attendre des mois pour toucher la moitié ou le quart de son salaire?».

Pendant que le gouvernement tente de relancer le secteur minier (du moins dans la partie du sous-sol qui lui reste, car les autres gisements se trouvent sous les pieds des rebelles et des agresseurs du pays), la même musique se joue et s’écoute dans tous ces territoires, comme pour marquer l’unité entre tous les belligérants.

Musique, une chance nouvelle pour le développement de la RDC et, au-delà, de l’Afrique? A condition d’y investir, comme le souhaite Wemba, star congolaise: «Nous-mêmes, artistes, ne pouvant être à la fois juge et partie, il faudrait que des hommes d’affaires africains s’associent à nous afin de mettre en place les infrastructures qui nous conviennent, à l’instar de Tamla Motown, la maison de disques noire américaine» (qui a lancé les Jacksons five, Stevie Wonder, Diana Ross...). L’idée est partagée par Daniel Cuxac, producteur musical et cinématographique d’origine sénégalaise, résidant en Côte d’Ivoire: «Il faut d’abord une volonté politique pour développer le marché musical africain. Ensuite, nous, producteurs et artistes réunis, nous nous organiserons en pools sous-régionaux».

Bienheureux ces inventeurs de jobs

En attendant des financements, les artistes musiciens essayent de développer eux-mêmes leur gagne-pain à leur façon, et créent des jobs nouveaux et originaux.

Les “Atalaku” ou animateurs-crieurs – Avec des phrases musicales braillées sur fond de guitares endiablées, les “Atalaku” donnent le pas à la danse et l’accompagnent. Leurs “cris d’animation” veulent susciter l’engouement du public pour une chanson, même dénuée de tout message. C’est ainsi que plusieurs danses venues de Kinshasa ont rayonné ces dernières années sur le continent et dans la diaspora. Preuve de leur efficacité: dans leurs programmes musicaux, les radios Africa nº1 et RFI ne jouent prioritairement que les parties les plus chaudes, les plus animées des chansons congolaises. Les présentateurs s’expliquent: «C’est ce que nos auditeurs recherchent avant tout!». L’offre d’emploi est donc encore ouverte pour longtemps dans la filière Atalaku (terme dont la signification reste floue). Ils sont les “vendeurs à la criée” de la musique congolaise et ne ratent aucune tournée de leur groupe.

Les attachés à la propagande – Il s’agit là aussi de “vendeurs à la criée”. Compétition oblige, les groupes musicaux et leurs leaders cherchent à être magnifiés dans la presse. Ils utilisent donc certains de leurs fanatiques, auxquels on attribue le titre d’attaché de presse, même s’ils ne sont pas formés pour le métier de la communication. Ils apprennent par essais et erreurs. Beaucoup de grandiloquence dans leur discours, mais le tout a pour finalité de “descendre l’ennemi” et de hisser son idole sur le piédestal. Koffi Olomidé, musicien congolais de renom, s’insurge: «Je suis contre ces gens qu’on appelle maintenant “des chargés de presse” et qui profitent des médias pour tromper l’opinion. En fait, ils assurent leur propre promotion et tuent notre musique qui ne peut évoluer que sur base de polémiques inutiles». Mais Sankara de Kunta, lui, est heureux. Chargé de presse de l’orchestre Wenge Musica, il a accompagné son groupe en tournée européenne! Une première dans la petite histoire de ce nouveau métier. «Il n’y a pas de sot métier. J’avais choisi le bon camp!», s’enthousiasme-t-il. Ce phénomène de propagande fait déjà des émules à Brazzaville, au même titre que les cris d’animation des Atalaku, dont les services sont aujourd’hui sollicités par quelques artistes du Gabon, de Côte d’Ivoire et, évidemment, du Congo-Brazzaville.

Système “Libanga” – En lingala, “libanga” veut dire “pierre”. Alors, “lancer sa pierre à quelqu’un”, c’est une nouvelle expression argotique dans le monde musical, signifiant “citer son nom dans une chanson”. Cette pratique fait rage actuellement, car elle assure les beaux jours et des artistes et des gens cités, ainsi que de leurs intermédiaires. Depuis des lustres, le répertoire musical des deux Congos a toujours été truffé de noms d’individus. De la part des musiciens, cela constitue un signe d’amitié, de reconnaissance ou de récompense pour un bienfait. Mais depuis une dizaine d’années, le système prend de l’ampleur, et les motivations ne sont plus simplement morales, mais plutôt lucratives. Le coup d’envoi avait été donné par l’importante communauté congolaise d’Europe, qui voulait se faire remarquer par des parents et relations restés au pays. Et les artistes musiciens de leur servir de “porte-parole”, moyennant argent, habits de luxe et divers services plus ou moins inavoués. La pratique a fait boule de neige ces cinq dernières années, entraînant des clients habitant Kinshasa, les provinces, Brazzaville et Pointe-Noire, et de plus en plus d’autres pays comme l’Angola, l’Afrique du Sud, le Gabon, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, etc. Il suffit d’auditionner des disques congolais pour s’en convaincre.

L’enjeu, pour les clients du libanga, est de se faire une popularité. Les plus ambitieux d’entre eux en profitent pour (re)lancer leurs affaires, sous la séduisante réputation de “l’homme que les stars vantent dans leurs disques”. Au bout d’un tournée, des artistes s’en sortent plein les poches. Peu importe alors que leur patron ne les ait pas rémunérés.

Par enchaînement, ce marché florissant s’est enrichi d’un nouveau partenaire: le commissionnaire. Celui-ci, s’il est une relation du musicien, sera chargé de lui trouver des “candidats au lancement de la pierre”, ou inversement. Les artistes font ainsi concurrence aux médias, qui voient leur échapper des marchés publicitaires, certaines petites entreprises préférant la souplesse des musiciens à la rigidité des médias classiques.

A présent, le phénomène libanga s’étend dans l’univers du théâtre, où le schéma se reproduit. Un journal de Kinshasa s’interrogeait: «Théâtre publicitaire ou publicité théâtrale?».

De leur côté, les médias audio-visuels ont été récupérés par le système, mais de façon officieuse: le client au libanga graisse la patte à un présentateur ou à un des techniciens pour que son nom et son business soient évoqués en cours d’émission. Ce procédé permet d’éviter les contrôles rigoureux des services commerciaux de l’audio-visuel. Là encore, après le Congo-Brazzaville voisin, le reste du continent va-t-il également “jeter cette espèce de pierre”? Quelques artistes camerounais, gabonais et ivoiriens ont déjà essayé.

La République démocratique du Congo est consciente de la position prépondérante et stratégique de sa musique. Il ne lui reste qu’à y investir pour en faire une réelle industrie musicale, touristique, économique. Comme le souligne le jeune Yannick Ntinu, élève en secondaire et apprenti électronicien: «Si notre pays était correctement équipé en infrastructures musicales, on battrait la musique américaine!».


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