ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 423 - 01/12/2001

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Afrique
Terrorisme: 
un «ventre mou» à prendre en compte


VIOLENCE


L’Afrique veut combattre le terrorisme, tous les terrorismes.
Mais surtout celui issu de l’actuel système inégalitaire

Les gouvernements et peuples d’Afrique ont compati à la douleur des familles américaines frappées par les attentats de New York et Washington du 11 septembre dernier, et condamné les menées criminelles de leurs auteurs. Mais des penseurs du continent et d’ailleurs ont également eu la lucidité d’en faire ressortir les causes (cachées ou flagrantes) et de les comparer à d’autres tragédies tout aussi répréhensibles. Ils ont appelé à la recherche de voies pour sortir de cette ère de violence dans laquelle l’humanité est immergée.

La solidarité africaine qui s’est manifestée spontanément envers les populations lointaines de l’Amérique, n’a eu qu’un écho fort limité auprès de leurs autorités et de leurs médias. Elle a été toutefois l’occasion, pour une certaine Afrique, de comparer cette attitude avec le peu de considération accordée par ces mêmes «partenaires» à des événements beaucoup plus sanglants survenus en divers endroits du continent: au Soudan, au Rwanda, au Burundi, aux deux Congos et dans la région des Grands Lacs en général, au Libéria et en Sierra Leone…

Un islamisme rampant

Cela dit, il ne faut pas se voiler la face et penser que l’Afrique est à l’abri d’agissements islamistes éventuels. Selon l’hebdomadaire parisien L’Autre Afrique, on a observé «dans les années ‘90, une poussée islamiste croissante au sud du Sahara». Dans sa livraison du 10–16 octobre 2001, le magazine cite les cas de l’Afrique du Sud, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Nigeria… et conclut que «l’islamisme africain paraît encore résister aux tentations terroristes», mais que «la plupart des services de renseignements occidentaux n’excluent plus que certains groupes puissent, un jour, céder à leur attrait».

On peut constater que ces dernières années ont vu émerger sur le continent africain une multitude d’ONG et autres associations “arabo–musulmanes”, ou tout simplement “islamiques”, dont la présence se manifeste par la construction de nombreuses mosquées et l’implantation d’"Instituts islamiques" et d’écoles dites “franco–arabes”. Dans des soirées religieuses, lors de conférences publiques de plus en plus fréquentes, et à travers les médias, se distillent des messages qui laissent entrevoir une avancée progressive et subtile d’un “fondamentalisme musulman” qui ne dit pas son nom.

En certains endroits, comme dans quelques États fédérés du Nigeria, on n’a pas hésité à “passer le Rubicon” en adoptant la charia musulmane comme loi fondamentale. Ceci n’a pas manqué de susciter des réactions de ressortissants chrétiens, donnant naissance à des affrontements meurtriers. Les risques d’expansion de ces violences sont tels que se développent, par réaction, des sectes dites chrétiennes pour tenter de contenir l’avancée dite islamique. Cette situation, à consonance conflictuelle, ne semble pas être gérée par les gouvernements locaux.

Une situation évolutive

L’action militaire américaine engagée en Afghanistan depuis le 7 octobre dernier, jointe aux premières déclarations malheureuses de Washington sur l’amalgame entre terrorisme et Islam, a provoqué chez nombre de musulmans africains un sentiment de frustration. Celui-ci conduit progressivement à une désolidarisation d’avec le gouvernement américain et à un soutien de plus en plus conséquent au «peuple frère d’Afghanistan» et à Oussama Ben Laden, dont la culpabilité dans les attentats semble loin d’avoir été prouvée.

C’est le cas en particulier au Sénégal, où des manifestations diverses ont été organisées. Les initiateurs d’un grand rassemblement musulman à Dakar, le 28 octobre, ont affirmé que «les accusations contre Ben Laden nous imposent un choix: celui d’être musulmans et de nous assumer, ou de nous renier et de faire dans la forfaiture et l’hypocrisie. (...) Il s’agit, ni plus ni moins, d’un conflit entre civilisations: entre l’Orient musulman et l’Occident judéo–chrétien».

Cette opinion publique va à l’encontre de la position du chef d’Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, qui s’est prononcé contre l’appel au Jihad, lancé par Ben Laden aux musulmans du monde entier, et s’est rangé du côté des Américains, demandant même de «soutenir massivement les Anglo–Américains» dans leur action.

M. Wade a organisé le 17 octobre à Dakar un sommet africain pour l’examen d’un pacte africain contre le terrorisme. Mais sur les 53 pays que compte l’OUA, seulement 28 pays et 10 chefs d’Etat ont répondu à cette invitation. Et à la place du “pacte africain” proposé par le président Wade, les participants se sont contentés d’une simple déclaration.

Le texte de cette déclaration souligne «la nécessité de faire de l’Afrique un continent exempt de tout acte terroriste et de soutien au terrorisme, sans aucune restriction liée à des considérations d’ordre politique, philosophique, idéologique, racial, ethnique, religieux ou autres». Il invite «tous les pays africains à faire diligence pour ratifier la convention de l’OUA relative à la prévention et à la lutte contre le terrorisme et les instruments similaires de l’ONU, et à prendre les mesures juridiques, diplomatiques, financières et autres pour lutter contre le terrorisme aux niveaux national, sous–régional, régional et mondial».

Ce sommet a néanmoins «pris note» du projet de «pacte africain», et «des réflexions et propositions émises lors de la rencontre». L’ensemble de ces propositions considérées comme des «acquis importants» est destiné à préparer et à enrichir les discussions, dans le cadre d’un sommet extraordinaire de l’OUA dont la rencontre de Dakar a recommandé la convocation.

Contre tous les terrorismes

A quelques rares exceptions près, les Africains sont acquis à la lutte contre le terrorisme international, contre tous les terrorismes, de quelles qu’origine et nature qu’ils soient, et non pas seulement celui en provenance du monde musulman ou supposé tel. Le continent est déjà largement entamé par de «véritables terreaux ou fourriers du terrorisme que sont le déficit démocratique, la mal–gouvernance et la paupérisation», dit le journaliste sénégalais Babacar Justin Ndiaye. Quant au président Wade, il parle de l’Afrique comme «d’une passoire pour malfaiteurs en tout genre», estimant que la pauvreté du continent est une arme facile à la portée des «grands agitateurs».

Ces affirmations n’ont fait que prolonger celles d’Ahmed Ben Bella et de Mamadou Dia (respectivement anciens présidents de la République algérienne et du conseil du gouvernement du Sénégal). Dans un appel commun lancé au monde entier, quelques jours après le 11 septembre, ils faisaient remarquer que «le terrorisme et le fanatisme ne peuvent trouver meilleur terreau que la misère, le désespoir et le sentiment d’injustice qui pèsent sur les déshérités». Ils font ainsi ressortir les causes des menées comme celles du 11 septembre et appellent à des actions concrètes et immédiates pour «promouvoir davantage d’humanité à notre planète meurtrie».

«…Nous sommes convaincus qu’il faut lutter contre les fauteurs de violence et d’injustice qui ensanglantent le monde -– et pas seulement contre les auteurs d’un récent drame américain -– à la fois pour des raisons d’équité et d’efficacité. En ce sens, il faut évoquer aussi, et ce n’est que justice, le drame des milliers de victimes succombant sous le poids des déséquilibres écrasants des conditions de vie et de mort dans les différents continents, soumis à un système mondial si violemment inégalitaire.

«Un mort en Amérique, victime de la violence, a droit, certes, à autant de considération qu’un mort de la faim ou du sida en Afrique, privé de nourriture ou sans accès aux soins de santé; mais veillons à ce que la réciproque soit fondamentalement vraie. La communauté internationale et les Nations qui la constituent doivent se sentir responsables de s’attaquer aux différences à ce point meurtrières. Le refus ou l’insuffisance de l’aide, tout comme la tolérance ou l’imposition de mécanismes inégalitaires, blessent et tuent au même titre que le terrorisme.

«C’est la raison pour laquelle il serait insensé et injuste de vouloir constituer une coalition internationale contre le seul terrorisme, sans se préoccuper tout autant de nouer une coalition internationale d’égale force pour assurer à tous les êtres humains — victimes de la violence — le droit à la vie, à l’éducation, à la citoyenneté, au développement. La Déclaration universelle des droits de l’homme en établit l’ardente obligation. Nous devons constater que, sur ces points fondamentaux, en de nombreux pays elle demeure tragiquement lettre morte».

Un monde qui change

Et ces deux pères de l’indépendance africaine de se demander «pourquoi ne pas convoquer de toute urgence des assises internationales entre la violence et le terrorisme et pour le développement» dans le cadre des Nations unies(1). Demandant alors à la puissance américaine de «renoncer à prêcher une artificielle croisade du bien qu’elle déclare représenter contre le mal imputé à l’extérieur», ils l’adjurent «d’accepter de mesurer, au même titre que les autres puissances du monde, la façon dont elle est partie prenante à un système mondial inégalitaire dont les effets entretiennent l’esprit de violence et de vengeance».

Ce “vieux monde” est à changer, selon une opinion de plus en plus répandue en Afrique et ailleurs. «Il a même déjà changé depuis le 11 septembre, et l’Amérique doit prendre conscience de cette nouvelle donne et réorienter sa vision du monde», écrit Badara Diouf. Et dans ce changement, «l’Afrique doit être présente et participer à la définition des nouvelles stratégies…; elle doit être présente à tout prix, martèle le président Abdoulaye Wade, au lieu de demeurer en marge des décisions qui configureront le monde de demain».


(1) Le débat général de l’Assemblée générale de l’ONU (10–17 novembre 2001) est justement consacré à la lutte contre le terrorisme et la guerre en Afghanistan. Le secrétaire général Kofi Annan a dit que «le 11 septembre a rendu la nécessité d’un dialogue clair comme l’eau de roche entre les civilisations» du monde entier. Il est également d’avis que «la pauvreté est un terreau pour la violence.»


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