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Côte d’Ivoire |
POLITIQUE
Le Forum pour la réconciliation nationale avait suscité beaucoup d’espoir.
Mais
l’absence de deux grands leaders, Gueï et Ouattara, avait fait naître des
inquiétudes
Va-t-on dépenser tant d’argent (environ un milliard de francs CFA), tant d’énergie et tant d’espoir pour rien? On est malheureusement tenté de répondre par l’affir-mative, vu l’absence au Forum de l’ancien Premier ministre, M. Alassane Dramane Ouattara (ADO), président du RDR (Rassemblement des républicains), et du chef de l’ex-junte militaire, le général Robert Gueï, le mentor de l’UDPCI (Union pour la paix et la démocratie en Côte d’Ivoire).
Le 13 novembre avait été décrété “Journée des quatre grands leaders” de la vie politique ivoirienne. Malheureusement, les deux hommes ont brillé par leur absence, créant ainsi des incertitudes. D’où la colère des Ivoiriens qui ont exprimé leur ras-le-bol et leur mépris. Avec leur refus de répondre à l’appel, les deux hommes ont failli à leur devoir, mettant leurs intérêts égoïstes au-dessus de ceux de la nation.
Les deux personnalités, plus que toute autre, sont considérées comme les principaux responsables de la tension socio-politique que connaît la Côte d’Ivoire depuis plus d’une dizaine d’années et qui a débouché sur le coup d’Etat du 24 décembre 1999. D’où l’importance de ce Forum initié par le président Laurent Gbagbo pour réconcilier les Ivoiriens par la “magie du verbe”. Se référant à la Bible, lors de la cérémonie d’ouverture le 9 octobre, il implorait: «Venez dire seulement une parole pour que la Côte d’Ivoire soit guérie!»
Nombreux problèmes
Du 10 octobre au 13 novembre, les Ivoiriens — partis politiques, syndicats, patronats, institutions, témoins, ambassadeurs, etc. — ont défilé devant le Directoire présidé par l’ambassadeur Elimane Seydou Diarra, ancien Premier ministre de la transition. Chacun disait sa part de vérité, identifiant de nombreux problèmes, lointains ou actuels, qui seraient à l’origine de la fracture sociale: “les faux complots” d’Houphouët Boigny, l’affaire Alassane Ouattara, l’ivoirité, l’immigration sauvage, le foncier rural, la politisation de l’école et de la religion, la frustration musulmane, les disparités régionales, la fracture Nord-Sud, le conflit musulmans-chrétiens, la non-maîtrise du multipartisme et de la démocratie, la lutte pour la conquête ou la conservation du pouvoir, etc.
On a rappelé le coup d’Etat du 24 décembre 1999 et la transition militaire chaotique, avec ses nombreuses exactions et ses nombreux manquements aux droits de l’homme: arrestations et emprisonnements arbitraires, assassinats, tortures, humiliations, pillages, vols, viols, etc. Et aussi les “élections calamiteuses” marquées par des éliminations injustes et arbitraires de candidats potentiels, notamment ceux du PDCI (Parti démocrate de Côte d’Ivoire, l’ancien parti au pouvoir) et du RDR, le parti d’ADO. Elles ont occasionné des centaines de morts, dont le fameux charnier de Yopougon (banlieue d’Abidjan) où l’on a découvert 57 cadavres. Officiellement, ces violences ont fait en tout 303 morts, 65 disparus et 1.546 blessés, surtout dans le milieu du RDR, des étrangers et des musulmans.
Mais pour beaucoup d’intervenants, les vrais problèmes de la Côte d’Ivoire aujourd’hui, c’est d’abord Alassane Ouattara, un homme à la “nationalité douteuse” qui, depuis son irruption sur la scène politique ivoirienne en 1990, n’a fait que créer des problèmes; et ensuite le général Gueï qui, en perpétrant le coup d’Etat en décembre 1999 et surtout en voulant confisquer le pouvoir après la présidentielle perdue d’octobre 2000, a enfoncé le pays dans l’abîme. Le général constitue une menace d’autant plus réelle qu’il s’est retranché depuis, avec une vingtaine de soldats puissamment armés, dans son village de Gouessesso.
Les Ivoiriens les attendaient donc pour qu’ils s’expliquent. Curieusement, ce sont eux qui ont posé des conditions et des préalables. ADO exigeait sa “réhabilitation”, c’est-à-dire la reconnaissance de sa nationalité et le rétablissement dans tous ses droits civiques et politiques; et Gueï, la restauration de sa résidence d’Abidjan saccagée après sa chute et la reconnaissance de son statut d’ancien chef d’Etat.
A son audition, le 13 novembre au Forum, Laurent Gbagbo a opposé une fin de non-recevoir à toutes ces revendications, légitimes ou non. Notamment celles d’ADO. «Je ne suis pas juge. Depuis ma prestation de serment le 26 octobre 2000, j’ai juré de ne jamais interférer dans les affaires de la justice. Or, le problème d’Alassane Ouattara est une affaire de justice», déclare-t-il avant d’asséner: «D’ailleurs le problème Alassane Ouattara a été réglé par la Constitution en son article 35: “Ne peut être candidat à la présidence de la République en Côte d’Ivoire celui qui s’est prévalu d’une autre nationalité”. Il est choquant que quelqu’un qui a été haut fonctionnaire dans un autre pays, se présente à la présidence en Côte d’Ivoire».
Inquiétudes et espoirs
Pour le président Gbagbo, l’affaire est claire. «Ayons le courage d’appeler un chat, un chat. Cet article est pour Alassane Ouattara. Son problème est donc réglé: il ne peut être candidat en Côte d’Ivoire, car je n’ai pas envie de réviser la Constitution. Elle vient d’être votée à 86,53% par le peuple qui, en m’élisant, exige de moi le respect de cette Constitution».
Pour beaucoup, la guerre est déclarée! Car Alassane Ouattara, de son côté, déclare poursuivre la lutte. Tout comme son parti, le RDR, qui veut poursuivre le combat jusqu’à la reconnaissance des droits civiques et politiques de son mentor. Premier acte: le parti a décidé de retirer ses représentants du Conseil économique et social, et de suspendre sa participation au Forum. «Nous ne voulons pas d’une réconciliation de façade», clament ses responsables, ajoutant que Gbagbo tombera comme Bédié et Guéï!
Alors, que va-t-il se passer? Nous le saurons d’ici au 10 décembre, date de la clôture officielle du Forum. L’espoir demeure cependant, car Laurent Gbagbo a laissé les portes des négociations ouvertes: «Je laisse ma main tendue vers le RDR. Qu’ils viennent pour la réconciliation nationale». Révélant qu’il a déjà tout fait pour montrer sa bonne foi: rétablissement des indemnités des anciens responsables des institutions (dont Ouattara en tant qu’ancien Premier ministre), envoi au Gabon d’une délégation de chefs traditionnels pour persuader ADO. De son côté, le président du Forum, Elimane Seydou Diarra, a effectué à plusieurs reprises le déplacement à Libreville et à Paris: «Que puis-je faire d’autre?», se demande t-il en adoptant visiblement une attitude de fermeté.
Le danger vient aussi des radicaux du FPI (Front populaire ivoirien, parti au pouvoir) qui demandent l’arrêt de toute négociation avec l’ancien Premier ministre d’Houphouët-Boigny: «Sans lui, la Côte d’Ivoire peut avancer. S’il ne veut pas monter dans le train de la “Refondation”, il se met lui-même en marge. Avançons!», disent-ils. Ils se disent prêts à barrer la route à toute subversion. Et pour Laurent Gbagbo, il vaut mieux pour chacun de monter dans le train, parce que le temps des coups d’Etat est passé: «S’ils veulent faire un coup d’Etat, ils peuvent le faire, mais qu’ils sachent qu’ils ne pourront jamais gouverner. Le peuple est aguerri», dit-il confiant.
Le hic, c’est que les bailleurs de fonds attendent la réconciliation pour décider de la reprise de toute coopération avec la Côte d’Ivoire. Si l’affaire Ouattara n’est pas réglée, la tension socio-politique va persister, et donc adieu à toute coopération. Il est vrai que ces radicaux disent être prêts à manger des “feuilles de manioc”, c’est-à-dire à faire face en cas d’asphyxie de la Côte d’Ivoire par les bailleurs de fonds. A voir.
Mise à jour de l’auteur - Le gén. Gueï et A. Ouattara ont finalement décidé de participer au Forum. Le 26 novembre, le général Robert Gueï est intervenu au Forum: justifiant ses différentes actions, il a toutefois demandé pardon au peuple ivoirien pour tous les dérapages enregistrés pendant qu’il était au pouvoir. Dans son intervention du 1er décembre, A. Ouattara s’est appesanti sur la polémique de la nationalité et a réclamé, entre autres, de nouvelles élections. La clôture de Forum, prévue pour le 17 décembre, nous dira si la tension socio-politique aura diminué. (5 décembre 2001)
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